Harga, terme tunisien, qui signifie migrer clandestinement après avoir brûlé ses papiers d’identité pour débarquer ailleurs, est une véritable mosaïque sociale. Le grand large est désormais un immense monstre impétueux qui décide de la destinée d’êtres humains, embarqués dans une frêle barque, qui ne demandent qu’à être reconnus en tant que tels. Pour eux, traverser le large en est la condition et l’objectif ultime.
En ce sens, le réalisateur Lassaad Oueslati, avec sa caméra, oppresse merveilleusement le téléspectateur avec des vues aériennes, essayant de dominer ce monstre et offre un regard pris de vertige et d’angoisse comme si une puissance céleste et divine nous rappelait l’absurdité de la vie où chaque personnage n’est qu’un infime détail plongé dans l’oubli. Sa focale traduit littéralement un œil, le nôtre, qui refuse de voir la réalité en face et peine à faire le point. Ses plans fixes sont toujours à la bonne hauteur et donc au diapason de la construction de ses personnages.
Harga est une histoire de destins croisés de personnages rongés par le désespoir, oppressés par un système qui n’a pas été fondé pour eux, bien au contraire; il se nourrit de leur accablement. Harga réussit à égarer le téléspectateur entre l’immensément grand et vaste, le rêve des immigrés clandestins et le ridiculement petit et étouffant, cette Tunisie qui semble ne plus pouvoir bercer aucun rêve.
Lassaad Oueslati ne se contente pas de raconter la moitié du rêve et c’est en ce sens que la frontière prend toute sa puissance symbolique: le réalisateur poursuit ce rêve au-delà du large et dépeint une réalité méconnue et insoupçonnée, celle des tunisiens italianisés illégalement et légalement.
Réalisé avec Brio, chaque épisode du feuilleton conduit le téléspectateur à marquer un temps d’arrêt et à se regarder de l’intérieur, qui sommes-nous pour juger ? Harga, renversant et tendre dans sa cruauté, fait sortir le téléspectateur de sa zone de confort émotionnel, social et éthique, ce que certains reprochent à ce feuilleton, mais croyez moi le spectacle en vaut la chandelle.
Harga, une noblesse scénaristique, une grande plasticité avec des acteurs exceptionnels, tous, avec en prime une touche gracieuse menée par Aicha Ben Ahmed, Wajiha Jandoubi, Mhadheb Rmili et Riadh Hamdi, bouleversants dans l’expressivité de leurs regards. Harga ne semble pas avoir une fin, le destin de chaque personnage est une trajectoire de vie unique et personnelle, probablement tragique. L’une d’elles serait elle la prochaine intrigue de Lassaad Oueslati ?
Henda Haouala – Maître de Conférences en techniques audiovisuelles et Cinéma.
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