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Par Jawhar Chatty : Résilience n’est pas résignation

Par Jawhar Chatty : Résilience n’est pas résignation

La résilience est, comme chacun sait, la capacité de résister aux chocs. J’ai écrit il y a un peu moins de dix ans, au plus fort moment de la révolution tunisienne, que le peuple tunisien, peu habitué aux chocs, devra se soumettre à une psychothérapie collective post traumatique. Dans l’euphorie générale, le peuple n’y avait pas prêté attention. Il aoublié de se soigner. Ou plutôt, on lui a fait accroire qu’il était le meilleur des peuples, qu’il était immunisé et il y a cru, de la même manière qu’il a,  ante-révolution, cru au génie tunisien. Indigne héritier du cynique et grand philosophe de l’Histoire, Abelrahmen Ibn Khaldoun !

Cette psychothérapie collective n’ayant pas été faite, le peuple est resté dix ans durant et cela continue, dans un état d’expectative, de stress permanent…

Il a en permanence en conscience un certain goût d’inachevé.

Sous un titre enchanteur, Radhi Meddeb a signé un pavé de plus de 500 pages. Il y dit tout du confort-malaise tunisien post-révolution. On n’y a pas prêté attention. Il a dit le désenchantement, ce qui est toutefois différent du désarroi. Le sentiment de désenchantement est propre aux tunisiens. Éternels insatisfaits, ils trouvent toujours moyen de rouspéter même quand ils sont dans leurs zones de confort. Conservateurs par essence, ils rechignent aux grands changements, mais sont curieux des changements…

Le désarroi, c’est toute autre chose. Le grand mérite à cet égard de la pandémie Covid-19 est d’avoir, surtout avec le confinement général, fait naître ce nouveau sentiment chez les Tunisiens.

Pendant dix ans, ils ont gaiement, en bons enfants, avalé toutes les couleuvres. Les hautes Instances, les Ligues de la protection de la révolution, les salafistes qui tenaient tribune un peu partout, des visages inquiétants mais devenus familiers, la petite Constitution élaborée en catimini et à la hâte à la principauté de la Marsa par quelques héritiers du grand Fadhel Ben Achour.

Ils ont pris goût à la liberté. Les sit in sont devenus un nouveau mode d’expression, de revendications de tout et de son contraire. Le grand souk. Le grand bazar. Carthage 1, Carthage 2. ANC, Bardo 1, Bardo 2. Itissam irrahil. Dialogue national. Prix Nobel, excusez du peu!

Dans la foulée, la meilleure Constitution du monde est rédigée, dans le sang: deux assassinats politiques, puis un gouvernement d’union nationale est mis en place…A chaque instant de ce long périple, le peuple a été servi, il a, à son grand bonheur, trouvé dans le paysage politique national meilleur « sensations » que dans les feuilletons turcs et mexicains.

Le spectacle des déchirements, des alliances, des mésalliances, de la traîtrise que lui donnait à voir «  sa » scène politique l’a comblé. Ce spectacle relayé dûment par des médias peu scrupuleux a eu comme l’effet d’un tranquillisant. Sous tranquillisant, le peuple et l’élite aussi ont, impuissants, assisté à toutes les crises. Institutionnelles et politiques. A tous les dérapages. A tous les holdup…institutionnels. Aux crises économiques et sociales. A la déstructuration de l’État, au réveil du démon numide.

Le plus grave cependant n’est pas là. Tout pourra demain à ce niveau, à ces niveaux, être « corrigé», réparé. Non, le plus grave c’est la grande crise morale et celle des valeurs qui déstructurent aujourd’hui la société tunisienne.

Une société jusque là résiliente, mais résilience ne veut pas dire résignation. Il y a une limite à tout et il est peut être temps pour elle, pour le pays, de se ressaisir.

Jawhar CHATTY, Ancien Rédacteur en chef La Presse.

 

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