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Par Mohamed Ammar : A son Excellence Monsieur l’Ambassadeur de l’Empire américain

Par Mohamed Ammar : A son Excellence Monsieur l’Ambassadeur  de l’Empire américain

Excellence,

La “Tunisie révolutionnaire” n’a pas commenté vos vœux pour la nouvelle année. Certains “Facebookeurs” ont salué votre geste. Tout en vous formulant mes vœux, je précise pour la bonne compréhension, que vos dirigeants, depuis les pères fondateurs de l’Etat fédéral, George Washington compris, définissaient le pays comme un empire et concevaient sa politique étrangère en conséquence. Dans The Rising Américain Empire, l’historien Richard W. Van Alstyne, cite des hommes d’Etat en train de soutenir que le pays est l’ “Israël américain de Dieu” dont la “mission” consiste à être le ” gérant sous Dieu, de la civilisation du monde”  Je saisis cette opportunité pour réitérer ce que je n’ai cessé de marteler au ‘’peuple’’, depuis 2011, que sa “révolution”, déclamée par Hillary Rodham Clinton dans son livre “Hard Choices”, est une sinistre farce. En réalité, les stratèges américains ont divulgué leur plan de remodelage du Grand Moyen-Orient, depuis le début du siècle. Cet objectif de dislocation des Etats arabes- partagé aussi par Israël- est une idée récurrente dans la pensée stratégique israélienne depuis Théodore Herzl, le second fondateur du sionisme. Le vrai fondateur du sionisme contemporain, en effet, n’était pas juif mais chrétien dispensationaliste, le révérend William Blackstone. Le deuxième objectif impérial était de répandre le chaos (Voir Mohamed Ammar, Le Chaos. La nouvelle stratégie US, www.tunisienumerique.com). Sous les Bush, la stratégie de l’Empire a évolué. Bush sénior s’assura que Washington devienne leader incontesté de toutes les nations avec l’opération « Tempête du désert », alors que sous la présidence Bush junior, l’Etat profond américain s’activa à devenir un pouvoir unipolaire absolu (Voir Peter Dale Scott, L’Etat profond américain. La finance, le pétrole et la guerre perpétuelle, éd. Demi Lune, coll. Résistances). Il lança la “guerre sans fin” ou guerre au terrorisme pour détruire un à un les structures étatiques du “Moyen-Orient élargi”. Les discours d’emballage de la propagande de Washington parlent de “démocratie “. C’est de la manipulation pure car le discours universaliste occidental- adressé au monde non occidental sur un ton moralisateur, dénonciateur et arrogant depuis le XVIe siècle- a argué que les politiques de ses dirigeants pour les pays de la périphérie consistent en la ” défense des droits de l’Homme et de quelque chose qu’ils désignent sous le nom de “démocratie ” (Voir, Mohamed Ammar, Un concept impérial : Les droits de l’Homme, www.tunisienumerique.com, 23/12/2018). Cette première variante du discours imprègne les intellectuels indigènes (Voir, Mohamed Ammar, De la fidélité du messager: Réflexion sur : “Une révolution en pays d’Islam”, www.leaders.com, 20.01.2017). Pourtant, beaucoup ne savent pas que la survie du capitalisme exige d’en finir avec la démocratie en Occident (Voir Susan George, Cette fois, en finir avec la démocratie. Le Rapport Lugano II, éditions Seuil, 2012). De plus, ils ignorent que la démocratie libérale américaine a inventé une nouvelle forme de gouvernement, invisible : la propagande. La propagande implique la production de fausses informations. En collaboration avec la National Endowment for Democracy, la Confrérie des frères répand l’information que l’immolé était un jeune étudiant au chômage et a été giflé par une femme policière. Immédiatement, la NED, (la fausse ONG des services secrets des cinq Etats anglo-saxons, est la vitrine légale de la CIA) qui continue son rôle dans le conseil des frères musulmans et leurs affidés, corrompent la famille du défunt pour qu’elle ne dévoile pas le pot aux roses et sèment la révolte dans le pays. Alors que les manifestations se succèdent contre le chômage, Washington ordonne au Président Ben Ali de quitter le pays, tandis que le MI6 organise le retour triomphal de Londres de Rached Gannouchi (Voir Thierry Meyssan, Sous nos yeux. Du 11 septembre à Donald Trump, éditions Demi Lune, collection Résistances).

En Libye, et en vertu de la stratégie stay behind, les franco-anglais ont entamé la destruction du pays, avalisé par la Ligue arabe et les gauchistes européens qui se sont agités pour “sauver le peuple libyen du dictateur ” (Voir Mohamed Ammar, L’Otan en Libye, de la protection des civils  à la partition, in www.businessnews du 29/12/2015). La destruction de la Syrie, étant l’objectif majeur de votre allié, l’empire d’Israël dut suivre. L’autre allié, la Turquie, a été chargé d’accomplir un certain rôle dans ce “printemps ” arabe. L’ironie de l’histoire est que le “premier printemps” arabe a été l’Accord de partage Sykes-Picot de 1916, scellant la dislocation de l’empire turque. Le “printemps sioniste” a visé et la partition et la destruction du “Moyen-Orient élargi”.  Beaucoup ignore que le pouvoir des Etats du Centre de détruire les Etats de la périphérie, de les disloquer, est institutionnalisé. Dans notre système-monde moderne, en effet, dont le mode de production est capitaliste, le système du pouvoir est structuré de manière pyramidale. De la sorte, les Etats les plus forts parviennent à imposer leur volonté (Voir Mohamed Ammar, Lettre ouverte à Monsieur Jean Daniel censurée, in www.tunisienumerique.com du 15/11/2018). Ce grand projet, dans son versant économique révèle que le déploiement mondialisé du capitalisme est indissociable de l’exploitation impérialiste de ses périphéries dominées par ses centres dominants. De ce fait, la stratégie de domination du capital instrumentalise l’Islam politique pour deux raisons objectives : le discours de l’Islam politique réduit à l’impuissance les peuples concernés et, par conséquent, appelle à se soumettre au statut de subalterne dans la mondialisation capitaliste. De plus l’Islam politique est un communautarisme et l’idéologie des “communautarismes” à l’américaine que l’air du temps s’emploie  à populariser oblitère la conscience et les luttes sociales pour leur substituer de prétendues ” identités “collectives qui les ignorent.

L’Etat profond américain ne trouve pas mieux que les frères, création anglo-saxonne pour répandre le chaos dans les Etats nations. L’empire réussit la manipulation. Elle parvient à camoufler la décision de donner le pouvoir aux frères en la voilant par les élections! Un art consommé de la manipulation. Si les frères ont duré une décade chez nous, en Egypte Mohamed Morsi, déclaré Président sur instruction américaine, a été renvoyé par la volonté populaire qui a poussé l’armée à le destituer.

J’avoue que votre pouvoir de convaincre les masses que l’Islam politique est “démocratique” alors même qu’il récuse le concept de modernité émancipatoire révèle l’efficience de votre propagande. Une majorité de Tunisiens croit que les frères sont au pouvoir par la grâce des urnes! De même, elle ne doute pas du résultat de l’élection présidentielle qui a mené un “illustre inconnu” à Carthage! Vous saisissez, Excellence, pourquoi les Tunisiens n’ont pas deviné votre rôle majeur dans la manifestation du groupe ” du 18 octobre “. Rares sont ceux qui ont compris que votre choix des frères est fondé sur votre capacité à les manipuler. Leur idéologie est parfaitement instrumentalisée par l’ordre libéral mondialisé au service du pouvoir des ” monopoles généralisés, mondialisés et financiarisés”. Ce concept de capitalisme des monopoles permet de situer la portée de transformations majeures concernant la configuration des structures de classe et les modes de la gestion de la vie politique à l’époque de l’implosion du système (Voir Samir Amin, l’implosion du capitalisme contemporain, automne du capitalisme, printemps des peuples, éditions delga).

Le projet impérial de remodeler le Moyen-Orient élargi, nécessite un nouveau régime politique avec de nouveaux acteurs pour l’ère géographique ciblée. Les acteurs lancés par vos soins dans l’arène politique ont été formés par vos Instituts et fondations. Leur crétinisme vous a permis de réaliser les vœux du théoricien du chaos et des néoconservateurs (Voir, Mohamed Ammar, La Tunisie dans “le chaos impérial”, www.tunisienumerique, 9/11/2018).

Alors, gageant que nos politicards mus par la nébuleuse de l’ingérence “démocratique”, feront de leur mieux pour se conformer aux consignes impériales. En d’autres termes, l’appel au dialogue national sera mené à son terme, avec l’appui de l’ingérence “démocratique”.

“L’ingérence ‘démocratique”

Excellence, alors que je rédige mes vœux, vous avez certainement apprécié la réussite de votre objectif. Le chaos atteint des proportions dramatiques à nos yeux, conforme à votre objectif. Les frères musulmans, vos serviteurs, n’ont ménagé aucun effort dans l’application de vos instructions. Il est vrai que cet effort a été appuyé par les institutions financières internationales. Vos agences de renseignements et vos fondations ont fait le reste.

Excellence, les observateurs étrangers ont constaté l’appui du FMI, de la Banque mondiale et de l’OMC à votre politique du “Chaos” décidée par l’Etat profond. Ils n’ont pas élevé de contestations lorsque la horde des frangins pillaient la richesse du pays ou dévalisaient les organismes sociaux. Ils ont cautionné la paralysie de secteurs économiques entiers. Ils n’ont pas réagi face à la paupérisation du peuple car c’est l’objectif des grandes entreprises. Pourtant, Joseph Stiglitz et d’autres ont développé une critique forte contre le néolibéralisme.

Ils ont cependant apprécié quand les députés de votre choix ont adopté le statut de l’indépendance de la Banque Centrale de Tunisie (Voir, Mohamed Ammar, Un Banquier central, pompier pyromane, www.tunisienumerique.com, 5/4/2019). Il ne vous a pas échappé que l’enjeu de l’indépendance n’a même pas été saisi. Les multinationales et l’Union européenne ont été satisfaites quand les députés de service ont adopté la loi sur le Partenariat Public Privé(PPP) (Voir Mohamed Ammar, Lettre ouverte à Madame l’Ambassadrice de l’Union européenne, Réalités du 14 au 20/05/2015). Bref l’exécution de votre politique du chaos a été menée selon la volonté de vos stratèges. La justice transitionnelle, justice non seulement antidémocratique mais dont l’objectif est de répandre le chaos (Voir, Mohamed Ammar, Une recette mythique : la justice transitionnelle, www.Tunisienumérique. com, 28/11/2018).

Notre pays a bénéficié, en outre, de l’intervention de diverses associations américaines chargées de veiller à l’application des stratégies de votre Etat profond. Votre “Printemps arabe” a débuté en Tunisie.  Vous avez été élogieux ” à l’égard de l’expérience démocratique”planifiée par vos théoriciens. Le commun des mortels (en excluant nos révolutionnaires) saisit le sens du Standing ovation du Congrès au “peuple tunisien révolutionnaire”. Votre Président, “nobelisé”, a tenu à éterniser l’action menée par le quartet du dialogue national, ‘’ l’ âne ‘’ national, selon le lapsus linguae de l’un des membres, a reçu le “Prix Nobel”. Le tunisien appréhende, cela se conçoit, le geste impérial de votre Président. Cependant, la dégradation de la situation économique, politique et sociale est telle que “les Nahdaoui” appellent à un nouveau dialogue national. Qu’en outre, la direction de la Centrale syndicale sera impliquée. Pour un nationaliste, cette implication est une trahison car c’est une manière de dédouanement des frères musulmans. Or, ces derniers sont au pouvoir par décision impériale ! Le choix cornélien du nationaliste diminue d’intensité lorsqu’il saisit que le monde est en train de devenir multipolaire avec toutes les conséquences imaginables d’un temps de changement. Il se trouve contraint de faire une lecture fondée sur les données géopolitiques. Une telle lecture l’éclaire sur le rôle joué par la National Endowment for Democraty. Celle-ci convaincra les politicards et la direction de l’UGTT de contribuer au débat. Le citoyen tunisien croirait que les conseils de la NED sont fondés sur sa volonté de promouvoir “des élections libres, le libre-échange, la liberté de la presse et de la liberté syndicale au Proche-Orient” ? L’Empire américain n’envisage que l’adhésion des intéressés à ces projets.

Cela explique que dans son discours sur l’Etat de l’Union en 2004, Bush junior a annoncé le doublement du budget de la National Endowment for Democracy (Fondation nationale pour la démocratie) pour lui permettre de poursuivre les actions secrètes de la CIA en soutenant financièrement et en encadrant des  partis politiques, des associations et des syndicats. Lors de ce discours, George Bush s’est flatté d’avoir encadré et manipulé Solidarnosc, la Charte 77 et bien d’autres encore. Je signale, au passage, que la Fondation Nationale pour la démocratie a été crée par Ronald Reagan pour poursuivre les activités secrètes de la CIA en soutenant financièrement et en encadrant des syndicats, des associations et des partis politiques. D’ailleurs, elle nous a formé des hommes politiques, entre autres Moncef Marzouki, qui a présidé notre pays (Voir Mohamed Ammar, Marzouki, le Don Quichotte moderne, www.businessnews.com.tn., 23/7/2015) Son financement est voté par le Congrès et figure dans le chapitre du Département d’Etat consacré à l’Agence pour le développement international (US AID).

Elle est financée, aussi, par plusieurs associations, elles mêmes indirectement financées par des contrats fédéraux.

Le Conseil d’administration de cet organisme comprend des représentants des Partis Républicain et Démocrate, la Chambre de Commerce des Etats-Unis et le Syndicat AFL-CIO. Quatre Instituts satellites de la NED se chargent de gérer des fonds destinés au financement des partis politiques et des partenaires sociaux en vue de réaliser les changements décidés à Washington dans le “Moyen-Orient élargi”. Parmi ces Instituts, le Centre américain pour la solidarité des travailleurs. Ce dernier a pignon sur rue, chez nous, depuis 2018.  Dans WEBMANAGER du 10/11/2018, le journaliste écrit que cette antenne tunisienne contribue à soutenir les organisations syndicales dans les pays d’Afrique du Nord. Il a omis de mentionner que le Centre indique aussi la voie à suivre à la direction syndicale. Celle-ci applique le “choix réaliste” qui mène à être présent au “dialogue national”. Une autre antenne de la NED, l’Institut Républicain International,  qui continue à “conseiller les frères”. Il fut présidé par feu John Mac Cain, le Chef d’Orchestre du “printemps…”

Excellence, je voudrais terminer en évoquant ce constat perspicace de feue Danielle Mitterrand : Ayant posé la question à son mari, Président de la France, pourquoi il n’a pas appliqué son programme, sa réponse l’a édifiée. “J’appris ainsi qu’être le gouvernement, être président, ne sert pas à grand-chose dans ces sociétés sujettes, soumises au capitalisme. J’ai vécu l’expérience directement durant quatorze ans. En France, on élit et les élus font des lois qu’ils n’ont jamais proposées et dont nous n’avons jamais voulu. La France est-elle une démocratie ? Une puissance mondiale ? Je le dis en tant que française : cela ne veut rien dire”.

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