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Par Mohamed Derbel: l’imposition libératoire des produits de placements à 35% est à l’encontre des objectifs économiques escomptés.

Par Mohamed Derbel: l’imposition libératoire des produits de placements à 35% est à l’encontre des objectifs économiques escomptés.

Sous le chapitre « Procédures de financement de l’investissement & de revitalisation économique » le décret-loi N°30 du 10/06/2020 vient de rehausser l’imposition des revenus provenant des placements de capitaux mobiliers par l’application d’une retenue à la source libératoire au taux de 35%.

Une augmentation de 15 points par rapport au taux de la retenue à la source applicable jusqu’au 10 juin 2020, mais aussi un rejet du droit d’imputation de cette nouvelle retenue à la source sur l’impôt global à payer.

Une disposition qui pourrait figurer sous tous les chapitres sauf celui du « financement de l’investissement & de revitalisation économique » et pourtant !

C’est quoi cette nouvelle imposition ?

Quand on fait un placement d’argent à terme auprès d’une banque ou quand on souscrit à un produit financier semblable à un placement d’argent à terme, on perçoit un produit sur ce placement qui est appelé dans le jargon fiscal « Revenu de capitaux mobiliers ». Ce revenu est soumis à une retenue à la source de 20% que la banque effectue quand elle paie ce produit et délivre une attestation de retenue à la source.

Cette action constitue une avance d’impôt que ce soit pour les personnes physiques ou pour les personnes morales. Cette retenue est définitive pour les personnes exonérées d’impôt (Cas des SICAV par exemple).

L’article 12 du décret-loi 2020-30 du 10/06/2020 a modifié le régime fiscal des revenus de capitaux mobiliers provenant des placements à terme s’ils sont rémunérés à un taux supérieur au taux du marché monétaire moins 1% (TMM-1%), en apportant deux changements majeurs à savoir :

  • La retenue à la source devient 35% au lieu de 20% soit une augmentation de 15 points de base ;
  • Elle ne peut plus être déduite de l’impôt définitif que la personne physique ou la personne morale aura à payer en fin d’année. C’est-à-dire la retenue à la source n’est plus considérée comme une avance d’impôt mais plutôt un impôt définitif.

 Est-ce que notre économie n’a plus besoin d’épargnants ?

Quand un système fiscal veut jouer sa fonction économique de promotion de l’épargne nationale, le législateur met en place des dispositifs incitatifs aux placements à travers une imposition clémente ou même une exonération des revenus découlant de l’épargne. Ce rôle est extrêmement important à jouer notamment quand le rapport entre l’épargne et le revenu national disponible est à niveau faible (le cas de la Tunisie) puisque à défaut d’épargne, le système bancaire sera à court de liquidités et ne pourra plus financer l’économie et l’investissement.

Aujourd’hui avec une imposition lourde des revenus de placements (35%) nous nous trouvons dans le sens totalement opposé de la politique qui devrait être empruntée. Ainsi, au lieu d’alléger l’imposition des revenus de placements, encourager les placements auprès des banques et établissements financiers, inciter à la souscription de produits financiers permettant de contenir l’argent circulant en dehors du système bancaire qui est passé d’une moyenne de 5 000 millions de dinars avant 2011 à 15 462 millions de dinars aujourd’hui, nous avons mis en place un dispositif aggravant, qui ira totalement à l’encontre des objectifs dont a besoin notre économie !

Pourquoi l’imposition libératoire des produits de placement à 35% n’est pas sage?

La décision de rehaussement du taux d’imposition des produits de placements à 35% tout en rejetant la possibilité de son imputation sur l’impôt global à payer n’est pas mûrement réfléchie pour les quelques raisons suivantes :

  • Les sociétés d’investissement à capital variables (SICAV) qui jouent un rôle important dans le financement économique et notamment du budget de l’Etat à travers leurs souscriptions aux bons de trésor assimilables (BTA) & emprunts obligataires, verront une baisse de leurs valeurs liquidatives puisqu’elles seront amenées à supporter 15% d’impôt en plus sur les produits de placements de leur actifs financiers. Une attractivité qui sera touchée et qui se répercutera incontestablement sur le financement du budget de l’Etat ;
  • Les sociétés qui sont soumises à un taux d’impôt sur les sociétés inférieur à 35% seront pénalisées puisque leurs produits financiers seront imposés d’office à 35% alors que ce produit financier se cumulait avec le résultat dégagé en fin d’exercice qui n’est pas forcément un bénéfice et qui est imposé souvent à un taux nettement inférieur à 35% ;
  • Les personnes physiques qui ont différentes catégories de revenus, ne seront plus capables de cumuler leurs revenus et compenser les pertes & les profits puisque les produits de placements seront d’office taxés à 35% même si le revenu global cumulé est inférieur à la tranche de revenu imposable à ce taux (c’est-à-dire inférieur à 50 000 TND) ;
  • La baisse du rendement net du placement par l’effet négatif de cette retenue à la source libératoire découragera les gros placeurs, aussi bien personnes morales que physiques, qui pourraient repenser l’utilisation de leurs capitaux en les employant dans des actifs qui n’ont pas forcément un intérêt économique pour la Tunisie. Telle que par exemple les opérations spéculatives (Meubles & immeubles) ou encore la théorisation c’est-à-dire garder l’argent en dehors du circuit économique en le convertissant en or, en argent, en devise…etc ;
  • Avec l’assèchement des liquidités des banques et les exigences réglementaires de la banque centrale de Tunisie, les placements à terme se sont vus accordés des taux supérieurs au taux du marché monétaire (TMM) atteignant parfois son double. Cette surenchère bancaire a donné de l’appétit pour le placement puisque le rendement sans risque est devenu supérieur au rendement de plusieurs investissements (bourse, extension de projet existant, nouveaux projets…). Toutefois, la taxation agressive de ces placements ne conduira pas forcément les détenteurs de ces capitaux à les réaffecter en investissements. La corrélation entre l’épargne et l’investissement est totale comme le montrent les graphiques ci-dessous. Ainsi si l’épargne baisse, l’investissement baisse corrélativement et non pas l’inverse.

(*) Estimation 2020 Source : Balance économique 2020-  MDCII

(*) Estimation 2020 Source : Balance économique 2020-  MDCII

Le rehaussement du taux de la retenue à la source sur les placements ainsi que son nouveau caractère libératoire ne trouvent aucun argumentaire économique plausible de financement de l’investissement et de revitalisation économique comme présenté par le décret-loi du 10/06/2020.  L’odeur de la sanction collective du capital et le sentiment d’incapacité à contrôler fiscalement cette catégorie de revenu (ô combien facile avec la déclaration de l’employeur) se dégagent de ce nouveau régime fiscal qui aura des séquelles et pas des moindres sur l’épargne et par ricochet sur l’investissement.

Espérons que le rattrapage législatif sera rapide en rectifiant le tir pour instaurer une attractivité fiscale pour l’épargne et non pas le contraire.

Mohamed DERBEL. Expert Comptable-Partner- BDO Tunisie

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