Categories: A la unenewsSociété

Par Moncef Bouchrara : Quand on rase les pierres, on appauvrit les peuples

Partager

Triste, car j’apprends que L’hôtel Miramar a été rasé.

J’ai promis un jour de raconter les débuts du tourisme tunisien durant la fin des années 50 et début des années 60, à quelques amis, dont Si Chawki Dachraoui. Voilà que cette triste nouvelle apprise à travers Si Kadhem Baccar, m’oblige à le faire et à apporter mon témoignage et quelques souvenirs heureux.

L’Hotel Miramar est un lieu fondateur et un témoin sans pareil du démarrage de l’Industrie du tourisme tunisien. Il a été crée par Pedro Chartos, un entrepreneur milliardaire américain qui débarqué en Tunisie, juste après l’indépendance. Il a été le premier qui a cru dans le futur du tourisme dans notre pays. Il voulait investir. Le Miramar a été conçu entièrement et construit par mon père Si Ahmed Bouchrara, Allah Yarhmou. Il en a été à la fois, l’architecte, l’ingénieur, l’entrepreneur, etc.

L’entente entre les deux hommes a été immédiate et la confiance ne s’est jamais démentie entre eux jusqu’au départ du premier. L’homme qui les avait mis en contact était Maître Férid Jammel, un grand avocat très influent, qui avait joué un grand rôle en défendant les militants de l’UGTT contre la colonisation. le 1ier Juin 1955, à son retour, Bourguiba était dans la voiture décapotable de Férid Jamel. Les photos de cette journée là doivent encore exister. Il venait de recevoir Chartos dans son bureau qui lui faisait part de son projet. Il a immédiatement téléphoné à mon père en lui demandant de venir le voir. Chartos et mon père se sont entendus immédiatement, sans autre forme de procédure que la parole donnée. C’était une autre époque et une autre génération.

C’est Maître Ferid Jammel qui a trouvé la villa à vendre d’une vieille anglaise (Mme Gladys Richardson Francis. Merci à Si Mehdi Sahli de me l’avoir rappelé ) avec son vaste parc à la sortie de Hammamet. Elle ressemblait, peut être en plus petit à la Villa Sebastian, devenue le Centre international, dans le même style et avec une petite piscine dans le patio. Ou encore celle dont la regrettée Leila Menchari a hérité et en a fait un spot pour la jet set internationale. La villa, était isolée et entourée de vergers et d’orangeraies appartenant aux agriculteurs de Hammamet. Il n’y avait pas de route goudronnée pour y arriver. Une simple piste de sable entre deux tabias de cactus. La vente de la villa à l’origine du Miramar, par la vieille dame anglaise s’est faite immédiatement, car Chartos était un homme toujours pressé.

A cette époque, il n’y avait à Hammamet, si mes souvenirs sont bons, que l’hotel du Golfe, l’Auberge de Mme Jeanne dans la ville elle même, juste en face de l’école primaire actuelle et l’Hotel de France tenu par un couple français, je crois. Un couple qui a repris ensuite à Tunis le Restaurant Le Hungaria, qui est lui même devenu l’Orient, Rue Bach Hamba. Mais ces petites unités hôtelières, comme ailleurs dans les autres villes tunisiennes, étaient réservées au tourisme individuel ou pour le visiteur de passage. On ne connaissait pas le tourisme de groupe.

C’est Pedro Chartos qui a donné le nom Le Miramar à son hôtel . On ne sait pas pourquoi. Tous les ouvriers et les corps d’état qui travaillaient sur le chantier, étaient tunisiens et presque tous de la région de Hammamet, Nabeul. Tout cela s’est fait entre 1956 et 1960. Mon père était un partisan convaincu de l’architecture locale. Les premières chambres étaient des bungalows construits avec des briques de la région, des voûtes traditionnelles exécutées par les maçons locaux et de la brique de 6 trous. Des voûtes exécutées sans coffrage, à la volée.

Un art véritable et dont la plupart des tunisiens ont perdu la maîtrise. Durant ces années là, j’accompagnais mon père tous les jours le soir, après son travail aux Monopoles des Tabacs, dont il était le Directeur d’Exploitation. Tous les week end, j’ai vu et habité la Villa avant que les travaux ne commencent, car Chartos nous invitait avec toute la famille. Il faisait attention à tous. Y compris à ma propre personne et nous avions des conversations intéressantes, alors que je n’étais qu’un enfant et qu’il était un homme occupé. Je jouais sur la plage, là où il n’y avait qu’un blockhaus allemand, vestige de la guerre. Chartos était un homme fascinant. Un ancien combattant républicain de la guerre d’Espagne et qui s’était enrichi après la guerre en Europe. Il était très en avance sur son temps. Il roulait dans une Porsche ( le premier modèle de 1955), une voiture étonnante pour l’époque, qu’il avait amenée en Tunisie. Parlant plusieurs langues, il avait autour de 60 ans quand je l’ai connu.

C’était un homme grand, Blond, baraqué, malgré son âge et qui avait gardé sa simplicité et son style direct. Etabli en Allemagne, il avait sa propre compagnie d’aviation ( des DC4, je crois). Et surtout, il disposait d’un capital social et de réseaux qui comprenaient les élites européennes de l’époque. Les personnalités qui venaient dans ces groupes étaient d’un statut social élevé. Je l’ai vu et compris, à travers les soirées dansantes organisées parfois par Chartos. Il y avait une petite terrasse surélevée qui existait dès l’origine, dans le parc et qui était ombragée par de grands palmiers et d’autres plantations fleuries. Une vraie merveille. Les soirées étaient très habillées. Je me rappelle des tenues : Smokings et robes longues de l’époque. Des gens aisés. Peu de familles ou d’enfants. Quand il y en avait, on jouait sur la plage.

C’est comme cela que j’ai appris quelques mots d’allemand. Les premières chambres ont été construites très vite, pour recevoir les premiers groupes de quelques dizaines de personnalités qu’il faisait venir (l’été 1957 surement, car je me rappelle de la fête de la République). Les travaux ont continué ensuite, pendant l’exploitation de l’hôtel. Un jour de 1958, Le Président Bourguiba est venu inaugurer l’hôtel, un soir. Je m’en rappelle encore. Il était rayonnant, magnifique et très entouré. C’était une forme d’encouragement et de reconnaissance pour Chartos et tous les tunisiens qui avaient participé à cette véritable aventure.

Un jour s’est posé le problème du restaurant dans la villa, devenue trop exiguë. Il a fallu en construire un. Un grand bâtiment avec terrasse et des portées importantes en béton armé, parallèle à la mer. Il n’y avait pas beaucoup d’engins comme aujourd’hui à cette époque, pourtant les choses se sont vite et bien passées. D’autres bâtiments pour les chambres ensuite. C’est Chartos qui a crée le circuit Hammamet vers le Jerid (Tozeur) en passant par Kairouan. Il avait importé ses propres autobus. Les groupes s’arrêtaient à Kairouan pour acheter des tapis. Très vite un des marchands de la ville, Si Fourati père s’est arrangé pour qu’ils s’arrêtent systématiquement chez lui. Il a gagné tellement d’argent, qu’il a décidé de construire lui aussi un hôtel à Hammamet, juste à coté du Miramar.

La famille Fourati a très vite fait d’établir des liens amicaux avec certaines personnalités politiques importantes du régime (Ahmed Ben Salah et quelques autres, dont je vois encore les visages et qui venaient passer les soirées à l’hotel Fourati voisin). D’une certaine façon, le mouvement touristique tunisien a été lancé par mimétisme, par apprentissage sur le tas et peut être par jalousie.

Chartos a voulu racheter à l’ancienne Compagnie Transatlantique, son vieil hôtel à Tozeur. Il s’est associé avec les deux frères Horchani ( Hamouda et Houcine, je crois. Pères de Ameur et de Selmane, mon cher camarade de Maths Sup disparu trop tôt). Ces deux frères étaient deux grands propriétaires de palmiers dattiers. Ils avaient décidé de ne pas se contenter de rester uniquement dans ce secteur. De vrais entrepreneurs et une famille brillante par ses valeurs. La Rénovation de l’hôtel Transatlantique a été réalisée par mon père aussi, dans les mêmes conditions que le Miramar, y compris l’appel aux artisans locaux. Mon père était amoureux de l’art des briques pleines en façade de Tozeur. Tout cela s’est passé l’année 56-58. J’accompagnais mon père quand je le pouvais et j’ai vécu de ma modeste position intensément ces chantiers ainsi que toute l’ambiance qui entourait cette époque. Avec le sens de l’engagement de tous, l’enthousiasme et le patriotisme désintéressé de ces moments d’après l’indépendance.

En 1958, suite à la fuite grandissante des capitaux, La Tunisie a décidé de créer le Dinar et de contrôler ainsi les sorties de devises (l’ancien franc français qui avait jusque là cours en Tunisie). Le régime de change a été établi.Les affaires de Chartos ont prospéré et le flux des touristes a continué d’augmenter. Mais un jour, on a appris qu’il allait être nationalisé. On lui a accordé une indemnité de 80 millions de l’époque, ce qui était peut être moins que ce qu’il avait investi. A l’époque, on accusait facilement de sortie illicite de devises, ou de garder les devises à l’extérieur…pour nationaliser. Cela me fait sourire aujourd’hui, quand je pense à tous ceux qui se sont enrichis de cette manière.

Pedro Chartos, malgré son âge, n’en a pas été découragé pour autant. Il a décidé d’aller investir au Liban, à Beyrouth, là où il y avait un régime plus libéral; Il voulait que mon père vienne avec lui. Mais nous étions une famille nombreuse déjà et ce n’était pas l’esprit de l’époque de quitter son pays, celui pour lequel on s’était battu. Chartos a construit à Beyrouth un hôtel avec casino je crois. Je n’en ai plus entendu parler ensuite, car je suis parti en France pour mes études. La SHTT a repris les deux unités en 1962.

Après, on a gardé comme réception la villa à l’entrée et construit d’autres bâtiments. Voilà Cher Si Kadhem Baccar, mon modeste témoignage et des choses vécues, tous ces souvenirs, encore vivants de mon enfance et de mon adolescence, concernant Le Miramar.

Je ne sais si quelqu’un s’attellera à écrire l’histoire du tourisme en Tunisie et ses débuts, sans biais ni excès d’étatisme à effet Pygmalion.

* collection privée de Mr Chawki Dachraoui

 

Laissez un commentaire
Publié par
Tunisie Numérique