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Par Raouf Chatty : Habib Essid, un politique, un homme digne

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La vague de sympathie spontanée manifestée hier par beaucoup de Tunisiens suite à l’accident survenu en direct à la télé à Habib Essid, ancien chef du gouvernement, témoigne de l’attachement de larges franges du peuple aux valeurs de l’intégrité, de l’honnêteté et du courage incarnées et symbolisées aux yeux des Tunisiens par  cette personnalité.

Je lui souhaite prompt rétablissement.

Sur les centaines de ministres qui se sont succédés dans les dix gouvernements formés après le 14 janvier 2011, son nom figure parmi les rares retenus par les masses.

Pour  beaucoup, en comparaison avec  tous les chefs de gouvernement qui l’ont précédés et succédés il a servi et su dire non au bon moment et sortir dans la dignité.

Ambassadeur à New Delhi en 2008, j’ai eu l’occasion de le recevoir  longuement  à la Résidence de Tunisie par deux fois. Il était à cette époque Directeur-adjoint au Conseil oléicole international, Madrid, en mission officielle à Delhi pour promouvoir les politiques du Conseil. A cette occasion, il m’avait entretenu de sa longue expérience du domaine agricole et de ses états de service au ministère de l’agriculture, dans l’administration centrale et dans les Centres régionaux de développement agricole CRDA  dans les villes de Kairouan, Tozeur, Bizerte … et de son amour pour l’agriculture et les oliviers. Sa longue expérience des régions en Tunisie, du nord jusqu’au sud en passant par le centre ont forgé chez lui cette connaissance approfondie des Tunisiens. Il aimait toujours répéter à ses collaborateurs : “endurcissez vous, les moments de répit, de joie et de bonheur sont éphémères “اخشوشنوا ان الحضارة لاتدوم…Il aimait également à répéter qu’il est fils de maçon dans le Sahel tunisien et qu’il s’est forgé à l’œuvre à l’école de la République , l’école de Bourguiba.

Destitué de ses fonctions de Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Agriculture chargé de l’environnement  suite à son rapport sur l’environnement  jugé trop audacieux par le Président Ben Ali, il avait  profité, m’avait il dit des heures creuses à la Compagnie ” Trapsa” ou’ il avait débarqué, avenue de la liberté  Tunis à quelques mètres de l’Ecole Supérieure “Bourguiba School” pour apprendre la langue espagnole. Courant 2015, j’ai en ma qualité d’ambassadeur, directeur général Europe/Union Européenne au ministère des Affaires étrangères, assisté aux nombreux entretiens accordés par lui dans son bureau à la Kasbah, à la demande, aux ambassadeurs européens accrédités à Tunis.

A la sortie, ces plénipotentiaires me faisaient souvent part de leur admiration de la personnalité du Chef du gouvernement, droit dans ses bottes, louant franchement ses qualités d’analyse, de rigueur et de clarté, se  félicitant de son ouverture d’esprit et de son ambition pour la Tunisie au moment où le pays avait  à répondre à des défis majeurs : la transition politique et économique et la lutte contre le terrorisme…

Habib Essid était desservi par les luttes de sérail au sein du parti Nida Tounes  dont le Président de fait, Hafedh Caied Essebssi, fils du Président de la République voulait mettre tout le monde, y compris le chef de gouvernement sous sa coupe. Mais sans succès avec la fermeté du chef du gouvernement qui lui avait toujours barré la route.

Jusqu’à la dernière minute, l’on se rappelle de cette plénière historique au Parlement qui a scellé son départ du gouvernement avec, l’organisation en  grandes pompes de l’arrivée de son successeur  jusque là Secrétaire d’état à l’agriculture et pratiquement sans aucun rayonnement, mais juste chouchou du Président  de la République (raisons strictement familiales!!!).

Schizophrénie en sus, la quasi totalité des membres de l’Assemblée qui s’étaient félicités de son bilan avaient voté pour sa destitution, administrant la preuve que la politique en Tunisie est un jeu à géométrie variable et que nombreux députés ne sont pas moins schizophrènes que les gens qui les avaient portés au Parlement.

Bref, avec son départ, la Tunisie avait perdu un véritable chef du gouvernement qui aurait pu aider un tant soit peu le pays à s’en sortir.

Ce tableau objectif reste cependant incomplet si l’on passe sous silence que Monsieur Essid, sous l’impulsion nuisible de certains conseillers malveillants, avait fini par céder face aux contraintes des syndicats et du parti dominant. Comme toute omelette, la politique  nécessite de casser des œufs! N’est pas sûr que de bons n’en reçoivent pas les coups!

Raouf Chatty – Ancien ambassadeur de Tunisie.

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Publié par
Tunisie Numérique