Economie

Par S.Ben Ammar – Boycott du raccordement des unités d’énergies renouvelables au réseau national d’électricité : l’erreur tactique que l’UGTT a intérêt à corriger

Par S.Ben Ammar – Boycott du raccordement des unités d’énergies renouvelables au réseau national d’électricité : l’erreur tactique que l’UGTT a intérêt à corriger

Commençons par rappeler les faits.  Le syndicat de la STEG refuse de tout son poids la loi 2019-47 dite transversale du 29 mai 2019 et le  décret gouvernemental n° 2020-105 du 25 février 2020 qui permettent à des IPP (Producteurs Indépendants d’Energie) de concurrencer l’opérateur national sur son marché domestique.   L’UGTT exige l’abrogation de la loi et, par mesure de rétorsion, le syndicat s’oppose depuis plus d’un an au raccordement des unités de production d’énergie renouvelables au réseau national d’électricité.

Depuis l’adoption du Plan solaire tunisien en 2015, 5 appels à projets ont été lancés et 67 projets retenus par le ministère chargé de l’Énergie. À ce jour, en raison du blocage en cours, un seul d’entre eux a été raccordé au réseau. La conséquence : un plan solaire réalisé à hauteur de 3,7% au lieu des 12% prévus en 2020, des investisseurs internationaux éreintés qui quittent le pays faute de visibilité et un déficit de la balance énergétique qui se creuse dangereusement.  Les conséquences ne se font pas attendre : les factures de la STEG s’envolent, détériorant ainsi le pouvoir d’achat des Tunisiens et mettant en péril la compétitivité des entreprises du pays.

L’erreur tactique du syndicat a été de considérer que le boycott du raccordement des unités de production d’énergie renouvelable au réseau électrique national aura une faible incidence sur le bien être des tunisiens et sur les finances publiques du pays.  En réalité, le blocage en cours coûte très cher au pays ; retenons un seul chiffre : 400 millions de dinars perdus par an pour l’État en économie d’énergie étant donné les prix actuels du gaz ; de quoi construire écoles et hôpitaux…   L’erreur d’appréciation du syndicat a été de prendre en otage un pays entier pour exiger la suppression d’une loi qui ne représente pas un danger imminent pour la STEG, puisqu’elle détient de par la loi le monopole du transport et de la distribution de l’énergie.  

Les faits sont têtus, voyons s’il est plus facile de s’arranger avec les calculs économiques.  Les calculs montrent qu’il est temps d’arrêter la saignée, parce que le mal a été fait et que poursuivre le blocage en cours ne servira les intérêts de personne, pas même ceux du syndicat.  En effet, si l’UGTT décidait aujourd’hui même de lever son boycott et de raccorder les unités privées de production d’énergie renouvelable au réseau national d’électricité, il n’y aura en réalité que très peu de candidats au raccordement. Faisons les calculs : l’immense majorité des entreprises qui ont signé des conventions avec le Ministère de l’Énergie ont attendu que la situation se débloque pour réaliser leurs investissements.  Or, depuis 2020, le prix des panneaux solaires a beaucoup augmenté en raison de problèmes de logistique post-Covid.   Le taux d’intérêt a aussi augmenté sur la période.  La conséquence : de très nombreuses conventions signées ne sont de fait pas exécutables.  Une grande partie des opérateurs privés seront contraints de demander la prolongation des délais de réalisation de leur unité de production d’énergie renouvelable dans l’espoir que le prix des matériaux baisse à l’avenir pour pouvoir respecter le prix de kW pour lequel ils se sont engagés.  Par conséquent, le mal est déjà fait.  Si l’UGTT accepte aujourd’hui même de raccorder les unités privées de production d’énergie renouvelable au réseau, le syndicat sortira d’une situation conflictuelle avec l’État qui lui coûte cher en image, en énergie et en risques de dérapage, avec en fin de compte de très faibles concessions, puisque très peu de projets demanderont effectivement le raccordement au réseau au cours des prochains mois.  

Les sondages montrent que 75% des publics interrogés méconnaissent les enjeux de la transition énergétique. C’est le droit du peuple tunisien que d’avoir ce débat de fond.  Au lieu de boycotter sans proposer d’alternative constructive dans un jeu où tout le monde perd, le syndicat gagnerait à prendre les devants de la scène pour lancer le débat quant aux implications économiques et sociales de la reconfiguration technique du secteur de l’énergie.   Il lui revient en particulier de proposer sa vision d’un Partenariat Public Privé davantage collaboratif et social qui repense la coopération entre les acteurs et la mise en valeur des territoires.  

Voici quelques questions brûlantes auxquelles il n’est pas possible d’échapper.  

Le Plan Solaire Tunisien établi en 2015 prévoit l’installation de 3 800 MW de capacité d’énergie renouvelable d’ici 2030.  Il faut compter autour d’un million d’euros d’investissement par MW installé, ce qui revient à une enveloppe globale d’investissement de l’ordre de 3,8 milliards d’euros, soit plus de 12,5 milliards de dinars.  La STEG jouit certainement d’une longue et riche expérience en matière de production d’électricité à partir des énergies fossiles, mais très peu dans les énergies renouvelables.  Quel plan propose-t-elle pour réaliser ce plan dans les temps ? Les pays les plus riches de la planète comptent sur le Partenariat Public Privé pour concrétiser leur transition énergétique : pouvons-nous faire exception, et si oui, de quelle manière ?  La Tunisie a rendu publique en septembre 2021, sa contribution déterminée au niveau national (CDN) actualisée, dans laquelle le pays s’est fixé pour objectif de réduire son intensité carbone de 45% par rapport à 2010 : comment rattraper les retards pour éviter les taxes carbone qui s’appliqueront d’ici peu à nos exportations en raison du non-respect des engagements pris ?

Le compteur tourne, et le temps perdu joue en notre défaveur à tous.  Il est grand temps d’avancer.  En libérant aujourd’hui les quelques entreprises victimes collatérales d’un conflit avec l’État qui ne les concernent pas, le syndicat libérera sa conscience, cèdera très peu de terrain sur le plan de l’influence, et pourra même inverser le sens de la pression en inscrivant son action dans la construction d’une meilleure Tunisie.  

Sadok Ben Ammar

Expert économiste 

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