Sante

Par Zahra Marrakchi : Lettre ouverte aux décideurs, aux citoyens, et à la justice

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Lettre ouverte aux décideurs, aux citoyens, et à la justice : Professionnels de santé en première ligne : responsables de tout ?

Madame, Monsieur,

Je vous écris aujourd’hui en tant que médecin ayant exercé de nombreuses années en néonatologie. Mon but n’est ni de me justifier, ni de me plaindre. Mon objectif est de témoigner. De mettre des mots sur une réalité que beaucoup préfèrent taire ou ignorer : celle de soignants qui sauvent des vies dans des conditions indignes, puis sont jugés lorsque l’inévitable se produit.

Lorsqu’un drame frappe un service de néonatologie, les regards accusateurs se tournent d’abord vers les professionnels de santé. Nous sommes pointés du doigt, traduits devant les tribunaux, parfois condamnés. Pourtant, ces tragédies ne sont jamais le fruit d’une simple “erreur médicale”, mais le symptôme d’un système à bout de souffle.

Je me souviens d’une époque — les années 2000, pas le Moyen Âge — où des nouveau-nés naissaient dans de grands CHU sans la moindre plateforme adaptée pour leur prise en charge. Faute de soins, beaucoup mouraient. Nous étions alors confrontés à un dilemme terrible : ne rien faire, ou tenter de sauver ces enfants avec les moyens du bord, au risque d’être accusés d’avoir “mal fait”.

Nous avons été nombreux à choisir d’agir. Conscients des limites, mais guidés par l’urgence vitale. Inconscients, peut-être, du risque juridique qui planait sur nous. Le vrai scandale était pourtant ailleurs : dans l’absence de moyens, de protocoles adaptés, de volonté politique.

Et aujourd’hui encore, malgré certaines améliorations, comment garantir une prise en charge optimale quand un soignant doit gérer trois fois plus de patients que ne le prévoient les normes ? Comment assurer la sécurité lorsque l’épuisement devient la règle, et que les équipes sont chroniquement sous-effectif ?

Nos alertes ? Ignorées.

Nos demandes ? Écartées pour des raisons budgétaires.

Les protocoles ? Empilés, sans lien réel avec la réalité du terrain.

Et quand l’accident survient, c’est le soignant qui porte seul la responsabilité. Jamais le système.

Nous ne réclamons pas l’impunité. Nous demandons la reconnaissance d’une responsabilité partagée. Que ceux qui organisent la pénurie, qui ferment les yeux sur l’épuisement des équipes, soient aussi interrogés. Que les gestionnaires, les décideurs, soient appelés à rendre des comptes.

Car chaque jour, nous accomplissons des miracles dans l’ombre. Mais quand un drame se produit, nous devenons les boucs émissaires d’un système qui préfère sacrifier quelques soignants plutôt que de se remettre en question.

Cette injustice ne touche pas que nous. Elle concerne tous les citoyens. Car demain, combien resteront encore pour soigner, si cette profession devient synonyme de solitude, de peur, et de culpabilité ?

Il est urgent que la justice cesse de juger sans comprendre. Que la société cesse de croire qu’un soignant peut, seul, garantir la sécurité des patients. Cette sécurité dépend avant tout des moyens que l’on donne aux équipes, particulièrement en réanimation néonatale, où chaque minute, chaque geste, chaque absence de ressource peut faire basculer une vie.

À celles et ceux qui nous jugent sans nous écouter : venez voir. Entrez dans nos services. Regardez ce que nous faisons, et dans quelles conditions. Alors peut-être comprendrez-vous que ce n’est pas la médecine qui est défaillante, mais bien le système dans lequel elle tente, malgré tout, de survivre.

Respectueusement,

Zahra MARRAKCHI

Professeur en néonatologie

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Publié par
Tunisie Numérique