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Sans-abrisme en Suisse : un phénomène mal compris et en forte évolution

Sans-abrisme en Suisse : un phénomène mal compris et en forte évolution

Le sans-abrisme en Suisse est souvent perçu sous un prisme réducteur, associant la précarité à des parcours individuels marqués par des difficultés personnelles. Pourtant, derrière cette vision simpliste se cachent des réalités bien plus complexes, ancrées dans des mécanismes sociaux et économiques structurants. Le premier forum intercantonal du sans-abrisme, tenu récemment à Lausanne, a permis de mettre en lumière ces enjeux souvent occultés.

Des stéréotypes qui masquent la réalité

D’après Hélène Martin, professeure à la Haute École de Travail Social et de la Santé de Lausanne, le sans-abrisme est généralement abordé à travers trois figures stéréotypées :

  • Le vagabond classique : souvent un homme local, tombé dans la précarité suite à une rupture familiale, une addiction ou une perte d’emploi. Son exclusion est perçue comme un choix ou une conséquence de ses erreurs personnelles.
  • La femme sans-abri : une image plus récente, qui repose sur une double victimisation. Souvent considérée comme vulnérable et exploitée, cette représentation renforce un regard sexiste et misérabiliste sur les femmes en situation de précarité.
  • L’étranger pauvre : notamment les mendiants roms, souvent considérés comme culturellement prédestinés à la mendicité. Cette vision crée une distance sociale et morale qui exonère la société de sa responsabilité.

Ces clichés masquent une réalité bien plus nuancée et empêchent de considérer le sans-abrisme comme une problématique systémique plutôt qu’individuelle.

Un problème structurel avant tout

Contrairement aux idées reçues, le sans-abrisme n’est pas seulement la conséquence de choix personnels ou de mauvaises décisions. Il est produit par des structures sociales et économiques inégalitaires.

  • Un marché du travail précaire : de nombreux travailleurs, notamment dans la construction et l’agriculture, enchaînent des contrats discontinus qui ne leur permettent pas d’accéder à un logement stable.
  • Une exclusion des migrants non-européens : leur accès à l’emploi est contingenté et dépend de critères stricts, les obligeant parfois à travailler illégalement, sans droits ni protections.
  • Un système d’aide sociale inaccessible : certains sans-abri suisses ou résidents permanents refusent de solliciter l’aide sociale, soit par méfiance, soit par peur de perdre leur permis de séjour.

Des politiques publiques inégales et inefficaces

En raison du fédéralisme suisse, la gestion du sans-abrisme varie fortement d’un canton à l’autre. Certains disposent de structures d’accueil et d’aide d’urgence, tandis que d’autres offrent très peu de solutions. Résultat : l’aide dépend souvent de critères stricts et exclut une grande partie des sans-abri.

Le droit à une assistance en cas de détresse est inscrit dans la Constitution, mais dans les faits, il reste largement théorique et appliqué de manière aléatoire. Dans certaines villes, seules les personnes souffrant d’addictions ont accès à des services dédiés, laissant sur le carreau tous ceux qui ne rentrent pas dans ces catégories.

Un phénomène en hausse et sous-estimé

Les études européennes montrent une hausse marquée et une diversification du sans-abrisme ces 30 dernières années. En Suisse, les hébergements d’urgence créés dans les années 1980 sont aujourd’hui débordés, alors qu’ils étaient suffisants à l’époque.

L’augmentation du nombre de sans-abri est notamment liée à l’évolution du marché de l’emploi, du logement et aux politiques migratoires restrictives. Le phénomène est donc loin d’être une simple question d’individus en rupture sociale : il est directement lié aux choix politiques et économiques du pays.

Changer le regard pour mieux agir

Aujourd’hui, la perception du sans-abrisme en Suisse reste biaisée. En individualisant la précarité, on évite d’en faire un enjeu collectif et politique. Pourtant, ce phénomène est produit par des rapports économiques inégalitaires, renforcés par des discriminations sexistes et racistes.

Pour Hélène Martin, il est crucial de changer de perspective : le sans-abrisme ne doit plus être perçu comme une fatalité individuelle, mais comme un problème structurel nécessitant des réformes profondes. Seule une prise de conscience collective pourra permettre d’adopter des politiques plus inclusives et efficaces.

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