Economie

« Si la Banque centrale estime que son client est menacé. Elle peut alors être amenée à prendre des décisions qui fâchent », souligne Karl Eychenne dans La Tribune

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La chronique-opinion est signée par Karl Eychenne, stratégiste et économiste. Publiée, aujourd’hui ; 27 mai 2022 à 7h46 ; sur le journal français « La Tribune ». Intitulée « Banquier central : ‘’Ce n’est pas moi qui ai commencé…’’ ». Elle aura toute sa place dans le débat économique tunisien ! la qualité en plus.  La mondialisation des concepts et des idées est inarrêtable. N’en déplaise aux réactionnaires.
De prime abord, Karl Eychenne installe le cadre de sa réflexion : « Il y a deux types de politiques monétaires. La préventive et la punitive. Aujourd’hui, l’inflation galopante ne laisse plus d’autres choix qu’une politique punitive ».
Un petit comparatif sous la forme d’un rappel historique s’impose : « Jadis, la politique monétaire n’hésitait pas à agir de manière préventive. Pour lutter contre l’inflation menaçante par exemple, la Banque centrale remontait les taux d’intérêt afin de tuer dans l’œuf tout risque inflationniste. La gorgone monétaire était capable d’effrayer l’inflation juste en fronçant les sourcils. Mais aujourd’hui, la politique monétaire contemporaine est contemplative. Elle préfère voir plutôt que prévoir. Certains prétendent même que la Banque centrale 2.0 n’agit jamais contre l’intérêt de son client. Et son client c’est nous ». Petite exception à ce comportement « contemplatif », c’est quand « la Banque centrale estime que son client est menacé. Elle peut alors être amenée à prendre des décisions qui fâchent ». Comprendre que le rôle d’une Banque centrale est celui de protéger son client, à savoir les citoyens. Parfois contre son gré. Surtout dans son intérêt !
 
Ainsi, relève Karl Eychenne, la Banque centrale, européenne ou américaine, ne peut plus détourner le regard. L’inflation est trop forte, depuis trop longtemps. Et les événements géopolitiques en cours ne sont pas de nature à calmer les prix. « La Banque centrale doit donc se retrousser les manches, et mettre les mains dans le cambouis ». Il précise que quand la Banque centrale « grimace », c’est « comme si elle mettait le doigt sur 3 problèmes majeurs » ; il les présente comme suit : « Problème 1 : il est interdit d’interdire aux prix de monter », « Problème 2 : on ne peut pas fouetter la toupie » et « Problème 3 :  le choc d’offre ».
Étrangement, c’est comme brosser le tableau de l’économie tunisienne. La gabegie politique en plus.
 
Pour aborder son « Problème 1 », Karl Eychenne précise qu’on « ne peut pas freiner l’inflation juste en appuyant sur les prix pour les empêcher de monter. En tout cas, la Banque centrale ne sait pas faire. Elle ne peut pas interdire aux prix de monter, juste parce qu’elle a envie qu’ils ne montent pas ». En revanche, ajoute-t-il « elle peut inciter les prix à ne pas monter… ».
Cette analyse s’apparente plus à expliquer la conduite de la politique monétaire aux nuls. Surtout que, comme pour toute bonne leçon, un exemple est requis ; les « Nuls » sont servis : « par exemple [NDLR : la Banque centrale] : elle ne dit pas ‘’les prix arrêtez de monter !’’. Elle dit ‘’j’ai mis des taux directeurs très hauts’’. Si vous pratiquez un peu, vous comprenez alors l’allusion. Des taux élevés ne donnent pas envie d’utiliser son argent pour consommer, mais pour épargner. Des taux élevés ne donnent pas non plus envie d’emprunter, car il faudra rembourser davantage d’intérêts. Et donc tout cela crée des conditions favorables à une inflation plus sage. Voilà pour la théorie ».
 
« LA BANQUE CENTRALE AIMERAIT BIEN FREINER L’INFLATION SANS FREINER LE RESTE. MAIS C’EST IMPOSSIBLE”
 
Ainsi, « la Banque centrale n’interdit donc pas formellement aux prix de monter, mais lorsqu’elle remonte les taux d’intérêt, tout le monde comprend le message » souligne Karl Eychenne qui précise que c’est là « l’art de dire les choses sans les dire. Ça peut marcher, ou pas ». Aucune certitude sur le résultat final de l’action d’une Banque centrale. C’est inéluctable. Mais, c’est un moindre mal par rapport à une inflation galopante et des autorités qui restent immobiles, ne savent pas quoi faire. Ça vous rappelle une situation familière ? Ne tirons pas sur l’ambulance Tunisie !
 
Quant au second problème, Karl Eychenne donne l’exemple de la toupie. Un jeu que nous connaissons bien chez nous. Surtout un comportement qui caractérise tant une grande frange des politiciens ou politicards bien de chez nous ; pour rappel dans son sens figuré ou familier, ça désigne une « personne indécise et sans volonté ». On dit ça, mais on ne dit rien !
Sous le signe « on ne peut pas fouetter la toupie » (sic !), Karl Eychenne dit de prime abord « la Banque centrale aimerait bien freiner l’inflation sans freiner le reste ». Toutefois, il nuance, catégorique : « mais c’est impossible, elle sait bien que pour calmer l’inflation, elle devra étourdir l’Homo économicus à coup de hausses des taux d’intérêt, de réduction de la taille de son bilan, et globalement de politique monétaire moins accommodante. La Banque centrale aimerait bien secouer l’inflation sans que cela empêche la planète économique de tourner. Mais rien à faire, la Banque centrale ne sait pas faire fouetter la toupie, cet art de donner de grands coups de fouets sur la toupie afin de la garder en mouvement ».
Ainsi, l’image est on n’en peut plus claire : « la Banque centrale ne peut pas punir simplement l’inflation. Elle doit punir tout le monde. Il n’y a pas de justice rétributive possible. Tout le monde doit être sanctionné pour la faute d’un seul : l’inflation.  Consommateurs, entreprises, marchés financiers, et même les gouvernements, vont devoir participer à la peine ».
Cela nous amène au troisième « problème », celui du « choc d’offre ». Pour Karl Eychenne, « contre les prix qui montent trop, il y a une solution qui fonctionne à tous les coups. Vous privez le consommateur de pouvoir d’achat. Vous êtes certain qu’en cessant d’aller consommer, il ne fera plus monter les prix ». Cependant, ajoute Karl Eychenne : « ce n’est pas parce qu’il n’ira plus consommer qu’il n’aura plus faim. Une politique monétaire de lutte contre un choc inflationniste est donc un peu perverse. Cette politique devient même sadique si l’on adhère à la thèse du choc d’offre inflationniste plutôt qu’au choc de demande. Le choc d’offre c’est lorsqu’il y a pénurie parce qu’il y a moins de biens dans les magasins, mais qu’il y a toujours autant de gens pour les consommer : les prix montent alors que les gens ne sont pas plus riches. Si vous montez alors les taux, c’est la double peine pour le consommateur ».
 

SI LA BANQUE CENTRALE AUGMENTE SES TAUX ON DIRA QU’ELLE PRATIQUE UNE POLITIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE

Élémentaire diriez-vous ? pas pour autant, chez nous, politicards et experts déconnectés des réalités, veulent le beurre, l’argent du beurre et la vache à traire qui fournit le lait pour faire le beurre !
Dans ce sens, Karl Eychenne étaye en précisant : « Il y a alors un risque majeur de pratiquer une politique monétaire restrictive. Le Banquier central guérisseur peut alors muer en morticole, puis s’entêter : cacothanasie ». Etymologiquement, par « cacothanasie », l’on désigne mauvaise mort, donc l’inverse de l’euthanasie. Ça désigne, aussi, l’acharnement thérapeutique, fait d’essayer tous les traitements même s’il n’y a aucune chance de guérison.
Dans ce sens, Karl Eychenne se trouve comme dans l’obligation d’expliquer son approche : « un choc de demande c’est différent, car alors le consommateur consomme trop. C’est sa faute si les prix sont trop élevés ». De ce fait, si la Banque centrale augmente ses taux « on dira qu’elle pratique une politique de santé publique en raisonnant le consommateur exubérant ». Et d’ajouter : « certains grands penseurs ont beaucoup pensé, et pensent que l’inflation américaine est surtout une histoire de choc de demande (les chèques Biden). Pourtant, j’ai beau me frotter les yeux, je ne vois toujours pas de PIB exubérant, ni d’économie en surchauffe. Je vais frotter encore ».
Expert financier, stratégiste et économiste, Karl Eychenne analyse l’action des Banques centrales par le prisme du terrassement des largesses de l’Homo économicus pour calmer l’inflation. Quid de l’Homo politicus tunisien qui voit en sa Banque centrale un trésor de guerre pour les joutes électorales ? Heureusement que la Loi portant statut de la BCT a réussi, jusqu’à maintenant, à les empêcher.  D’où cette cabale pour l’abroger !

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Publié par
balkis