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Si Saied savait ce que les racistes de France font de son discours, s’il savait ce que ça coûtera à la Tunisie

Si Saied savait ce que les racistes de France font de son discours, s’il savait ce que ça coûtera à la Tunisie

On a rarement autant parlé de la Tunisie à l’étranger. En fait la dernière fois qu’on en a parlé autant c’était après le 11 janvier 2011, mais c’était en des termes élogieux, pour magnifier cette démocratie naissante qui allait illuminer toute l’Afrique du Nord et bien au-delà. Le ton a beaucoup changé, par la faute des mauvais bruits que s’ingénie à émettre le pays ces derniers mois. Des sons délétères et mortifères qui nous rapprochent chaque jour un peu plus du chaos, du KO…

Le xénophobe en chef Eric Zemmour jubile

La dernière affaire en date est cette histoire de migrants qui envahiraient la Tunisie, au nom d’un projet ourdi par je ne sais qui pour changer l’essence même du pays, pour dénaturer son substrat culturel, ses legs historiques arabo-musulmans, etc. Nous ne reviendrons pas sur la pléthore de réactions internationales pour dénoncer ce débat hystérique qui ne règle en rien les vrais problèmes du pays et ne soigne pas l’image que la démocratie tunisienne renvoie en ce moment. Nous ne retiendrons qu’une seule réaction, dans le journal Afrique de France 24 : “Le président Kais Saied a un discours raciste et de haine”.

Ce n’est certainement pas ce que voulait le président de la République mais il aurait dû penser aux déflagrations d’un sujet aussi explosif, au point que le chef de file des racistes et xénophobes de France, Eric Zemmour, a saisi la balle au bond pour vendre sa théorie nauséeuse du Grand Remplacement, ce fantasme que les suprémacistes blancs agitent pour soi-disant alerter sur la prochaine submersion de leur culture et même de leur race par une horde de migrants, quasiment les mêmes mots qu’a utilisés le président tunisien.

Saied ne voulait certainement pas que sa sortie soit un cas d’école pour le tristement célèbre Zemmour, qui a fait de la détestation du musulman, du Maghrébin, de l’Arabe, de l’étranger tout court son fonds de commerce. Lui qui a déjà été condamné pour ses propos haineux et qui le sera certainement de nouveau après un discours inqualifiable sur les “colonisateurs” et l’“islamisation de la rue”. Le président tunisien n’a rien à voir avec le trublion de l’extrême droite française mais son discours surréaliste sur les Subsahariens les a de fait réunis.

Les pays du Maghreb eux-mêmes commencent à sonner l’alarme face au déferlement migratoire. Ici, c’est la Tunisie qui veut prendre des mesures urgentes pour protéger son peuple. Qu’attendons-nous pour lutter contre le Grand Remplacement ?“. C’est ce qu’a osé tweeter Zemmour. Il n’est pas dupe, il sait que les problèmes de la Tunisie ne sont pas ceux de la France. Mais puisque le chef de l’Etat lui a prêté le flanc il ne s’est pas gêné pour en faire une exploitation politicienne dont la mauvaise foi n’a d’égal qu’une absence totale de dignité. Il faut dire que celui qui a été écrasé au premier tour de la présidentielle française – à peine 7,3% – et n’a même pas pu décrocher un siège de député a eu la partie facile avec le discours de Saied où il y avait à boire et à manger.

Un vrai problème, de fausses solutions et beaucoup de mauvaise foi

Personne ne conteste le fait que dans les propos de Saied  il y ait quelques bonnes questions et de vrais problèmes. C’est le cas de cette arrivée massive et incontrôlée de migrants, derrière laquelle il y a de toute évidence des mafias qui prospèrent. Mais ce sont les mêmes réseaux qui acheminent les Tunisiens vers Lampedusa et ailleurs, ni plus ni moins. Saied a raison : c’est un gros souci, d’abord pour la sécurité de ces migrants et des Tunisiens, mais aussi l’hémorragie en termes de coûts économiques et sociaux. Pour un pays comme la Tunisie, qui a les pépins financiers que l’on sait, il y a urgence…

Mais encore fallait-il arrêter le débat là, sur des solutions techniques et un arsenal juridique, et ne pas y greffer des sujets sur la dislocation de l’identité tunisienne ou sur la déferlante de violences et crimes qui seraient le fait des Subsahariens. Puisque ce sont des sujets sérieux et qu’il faut en parler sérieusement, où sont les statistiques sur les crimes et délits qu’on colle aux Subsahariens ? Qu’on nous les montre pour qu’on fasse une analyse objective de la situation et qu’on en tire les bonnes conclusions pour apporter les bonnes réponses.

On ne peut pas se contenter d’épiphénomènes amplifiés et travestis sur les réseaux sociaux, un fléau qui n’est pas propre à la Tunisie, pour jeter des anathèmes sur toute une catégorie de gens dont l’écrasante majorité ne pose aucun problème. Et le pire c’est quand on veut mettre en place des politiques publiques sur la base de procès qui se sont déroulés au Tribunal de Facebook. Attention aux dérapages incontrôlables, aux risques de scissions sociales en Tunisie, de tensions diplomatiques avec les pays subsahariens qui ont tout pour régler une bonne partie des problèmes de la Tunisie.

Ce que Saied aurait dû dire aux Tunisiens

Cette Afrique que la Tunisie regarde de haut, de loin, Kais Saied aurait dû y aller pour y dénicher des marchés très juteux, comme le font les présidents chinois et turcs, le roi du Maroc, etc. Le chef de l’Etat tunisien aurait dû dire à ses concitoyens que le destin de son pays est en Afrique, que les clés de la prospérité de la Tunisie sont dans son continent, qui affiche le deuxième taux de croissance le plus élevé du monde (après l’Asie), et pas dans les chimères vers l’Europe ou le monde arabe…

Kais Saied aurait dû rappeler à ses électeurs que l’Etat tunisien a signé l’instauration de la Zone de libre-échange continentale africaine et que de cette affaire dépend un développement inclusif et partagé. Il aurait dû dire que la Tunisie a le statut d’observateur – le Maroc aussi – au sein de l’une des communautés économiques les plus dynamiques d’Afrique, la CEDEAO et qu’il était même question qu’elle soit membre à part entière…

C’est de ça dont il faut parler aux Tunisiens. Il faut les rassembler et leur donner le cap de l’espérance, vers un développement harmonieux qui fera le bonheur de tous au lieu d’agiter sous leurs nez des chiffons rouges, avec des débats factices sur des thèmes qui ne font du bien à personne. Kais Saied a des élections à organiser l’an prochain et y joue sa survie politique. Mais l’obligation de se présenter devant les électeurs avec des résultats tangibles sur leurs vrais problèmes ne justifie en rien qu’on les embarque vers de fausses solutions. Attention, la Tunisie pourrait payer très cher ses égarements.

 

 

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