Le chef de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), Abou Mohammad al-Jolani, un “islamiste 2.0”, si on peut dire (on saura très vite si cet exercice de haute voltige est sincère), a multiplié les gages en direction de la communauté internationale : il a insisté pour qu’il n’y ait aucune vendetta sur les parties incriminées, pour que toutes les sensibilités et minorités religieuses soient protégées, pour que la sécurité soit garantie à tous les Syriens… Mais il y a une limite à la magnanimité des nouveaux maîtres de la Syrie : les tortionnaires du régime de Bachar al-Assad, que les dizaines de milliers de prisonniers libérés connaissent très bien. Ceux-là ne passeront pas entre les mailles du filet.
C’était trop beau pour durer éternellement…
On se disait que toutes les horreurs signées par les Alaouites depuis 53 ans ne pouvaient pas être passées par pertes et profits, que quelques uns paieraient forcément pour le lourd passif de la totalité, que tout cet élan passionnel du 9 décembre 2024, presque sans fracas, était trop beau pour durer éternellement, ça n’a pas loupé. Les insurgés islamistes et leurs alliés (il ne faut pas oublier ces derniers, ils existent et tôt ou tard ils feront entendre une voix discordante) ont certes décrété une amnistie pour “ceux qui étaient astreints au service obligatoire“, mais ça ne concernera pas les bourreaux à la solde des Assad.
“Nous allons annoncer une liste numéro un qui comprend les noms des plus hauts responsables impliqués dans les tortures contre le peuple syrien“, a écrit sur sa chaîne Telegram officielle al-Jolani, de son vrai nom Ahmed al-Chareh. “Nous offrirons des récompenses à quiconque fournira des informations sur les hauts responsables de l’armée et de la sécurité impliqués dans des crimes de guerre“, a-t-il ajouté.
“Nous poursuivrons les criminels de guerre et demanderons qu’ils soient remis par les pays où ils se sont enfuis afin qu’ils puissent recevoir leur juste châtiment“, a ajouté celui qui est de fait le nouveau patron du pays.
Des médias libanais ont dit qu’une pléthore d’anciens responsables du gouvernement du président déchu se sont planqués à Beyrouth, au Liban, sous l’aile du mouvement chiite Hezbollah. A défaut d’être intervenu militairement pour tenter d’éviter à al-Assad l’opprobre de la fuite vers la Russie (cette dernière et l’Iran aussi n’ont pas levé le petit doigt pour défendre Damas), les combattants libanais feraient le service minimum en accueillant les ex-dignitaires du régime syrien.
“Nous nous sommes engagés à nous montrer tolérants à l’égard de ceux dont les mains ne sont pas tachées du sang du peuple syrien, et nous avons accordé l’amnistie à ceux qui étaient astreints au service obligatoire“, a martelé le nouvel homme fort de la Syrie…
Mais alors Quid de celui qui est dans toutes les têtes et qui est sans doute le pire criminel du 21ème siècle, au même rang que le président russe Vladimir Poutine : Bachar al-Assad ? Le président déchu (Moscou parle de “démission“, un conte de fée pour les enfants) a filé avec famille et avoirs – l’argent des Syriens – chez le maître du Kremlin. Les 40 millions de dollars qu’il aurait dépensés, une somme astronomique en Russie, pour s’acheter des appartements cossus à Moscou devraient aider à son insertion sur place.
Quel sera “le prix” de Poutine pour livrer son “ami” Assad à Jolani?
L’économie russe, avec les déboires qui sont les siens depuis que Poutine a envahi l’Ukraine, ne boudera pas les dizaines ou centaines de millions de dollars que les Assad ont volés à leur patrie. Mais il n’en demeure pas moins que le dictateur reste un “invité” très encombrant, avec les centaines de milliers de morts qu’il trimbale, même si l’armée russe l’y a aidé énergiquement en bombardant copieusement en 2015…
Le président russe lui-même s’est fermé définitivement beaucoup de portes avec ses crimes de sang chez le voisin et avec le mandat d’arrêt de la CPI, il n’avait certainement pas besoin d’un poids mort comme al-Assad sur les bras. D’ailleurs la sortie du Kremlin démontre le grand embarras de Moscou : il a offert l’asile à l’ex-président syrien pour des “raisons humanitaires” et aucune rencontre avec Poutine n’est à l’ordre du jour. Le président russe n’a pas pour habitude de lâcher ses poulains mais là le fait est que le dictateur syrien est un vrai boulet.
Poutine prend ses distances – pour le coup ce n’est pas feint – parce qu’il a conscience que rien aux yeux de la communauté internationale ne pourra chasser l’odeur du sang qu’al-Assad a traînée avec lui en Russie. Mais Moscou parle surtout pour donner des gages aux nouveaux maîtres de la Syrie, qui tôt ou tard réclameront la personne d’al-Assad. Si Jolani ne le fait pas de son propre chef les nombreuses victimes du régime l’obligeront à le faire…
Le bruit court que c’est un marché – ne me demandez pas entre qui – qui a ouvert la porte de l’exil doré à al-Assad. Mais en tout état de cause ce qu’un marché a fait un autre marché peut le défaire.
Poutine fera tout pour garder ses bases militaires en Syrie, on verra ce qu’il est prêt à lâcher en contrepartie. Bachar al-Assad a fui comme la peste les pays du Golfe, surtout son premier partenaire dans la région, les Emirats arabes unis. Pour éviter toute mauvaise rencontre avec un Syrien qu’il a martyrisé il a préféré la Russie. Mais à Moscou aussi il ne sera pas tranquille. Il ne sera jamais tranquille nulle part dans le monde avec toutes les ignominies qu’il a commanditées et toutes les vies qu’il a détruites juste pour garder son fauteuil.
Que se passe-t-il en Tunisie?
Nous expliquons sur notre chaîne YouTube . Abonnez-vous!
Commentaires