Après les engagements du leader du principal groupe rebelle, Hayat Tahrir al-Sham (HTS), le Chef du gouvernement en charge de la transition en Syrie, Mohammad al-Bachir, était très attendu. Il était très attendu par les Syriens, après des décennies de plomb (53 ans de terreur semée par le clan Assad), mais également par la communauté internationale. Les islamistes savent qu’il leur faudra donner beaucoup de gages s’ils veulent espérer bénéficier du soutien des partenaires étrangers, arabes et occidentaux. Les nouveaux maîtres de la Syrie savent que leur expérience de gouvernement à Idleb (nord-ouest du pays) peut être jugée concluante à bien des égards, mais qu’elle divise aussi, surtout sur la gestion des minorités, les Chrétiens notamment.
Le monde entier a envie d’y croire…
Al-Bachir a pris la parole dans le journal italien “Corriere della Sera” pour marteler plus fortement ce que le chef du HTS, Abou Mohammad al-Jolani, avait dit avant la prise de la capitale, Damas. Le chef du gouvernement de transition a réaffirmé hier mercredi 11 décembre que la coalition dirigée par les islamistes “garantira” les droits de toutes les confessions. Il a fait amende honorable pour “le comportement erroné de certains groupes islamistes“, en soulignant que “la signification de l’islam (…) a été déformée“…
“C’est précisément parce que nous sommes islamiques que nous garantirons les droits de tous les peuples et de toutes les confessions en Syrie“, a-t-il ajouté au lendemain de sa désignation pour gérer les affaires du pays jusqu’au 1er mars 2025.
Il en faudra plus pour gommer le sombre passé d’al-Jolani, qui a passé 5 ans dans les geôles américaines pour ses activités dans l’Etat islamique (Daech), sans oublier son allégeance à Al-Qaïda jusqu’en 2016. Mais le monde entier a envie de croire al-Bachir, de miser sur lui, il sera jugé sur ses actes. Rappelons que le HTS reste un mouvement terroriste pour beaucoup de pays occidentaux dont les USA, mais Washington a fait savoir qu’il est prêt à envisager son retrait de la liste des moutons noirs.
Al-Bachir a invité les Syriens de la diaspora (près de 6 millions de personnes, soit un quart de la population, ont déserté le pays depuis 2011) à rentrer chez eux pour “reconstruire” et faire “prospérer” le pays, qu’ils soient sunnites, alaouites, chrétiens ou kurdes. On a effectivement observé des mouvements de retour au bercail, si les premiers pas du nouveau gouvernement sont rassurants la vague grossira très vite.
“La Syrie est désormais un pays libre qui a gagné sa fierté et sa dignité. Revenez“, a ajouté le chef du gouvernement de transition, un appel qui coïncide avec la suspension des procédures de demandes d’asile de ressortissants syriens en Allemagne, en Autriche, au Royaume-Uni, etc. Le pays “ne va pas se retrouver dans une autre” guerre, avait affirmé la veille al-Jolani. Là aussi ils seront jugés sur pièce…
Russie, USA, Qatar, UE, France, Emirats arabes… : il y a du monde autour de la table
Au nord-est de la Syrie, où des affrontements entre forces pro-kurdes et pro-turques ont causé 218 décès en 3 jours d’après l’OSDH, “nous sommes parvenus via une médiation américaine à un accord de cessez-le-feu à Manbij“, a confié Mazloum Abdi, commandant des Forces démocratiques syriennes (FDS), majoritairement des Kurdes appuyés par les Etats-Unis. “Notre but est de parvenir au cessez-le-feu dans toute la Syrie pour commencer un processus politique en faveur de l’avenir du pays“, a-t-il ajouté, en indiquant que ses troupes “se retireront de la zone dès que possible“.
Hier mardi dans la soirée les rebelles avaient déclaré avoir pris position dans la ville de Deir Ezzor, à l’est du pays, zone que les forces kurdes ont quittée après que les populations locales ont manifesté violemment leur hostilité à leur présence, selon l’OSDH. C’est cela les poisons qui rongent le pays : la division, le communautarisme, le clanisme, le tribalisme, le sectarisme. Ce sont sans aucun doute les plus grands défis des nouvelles autorités centrales.
En tout cas jusqu’ici les signaux émis ont été très appréciés par plusieurs chancelleries étrangères et l’ONU, ils attendent la suite. La Maison Blanche a fait savoir qu’elle “reconnaîtrait et soutiendrait pleinement un futur gouvernement syrien issu d’un processus (politique) inclusif“. L’Union européenne (UE) pointe les “énormes défis” à l’horizon et souhaite à la Syrie d’éviter les “scénarios terrifiants” de l’Irak, de la Libye et de l’Afghanistan. La France formule les mêmes voeux…
La Russie, premier soutien du bourreau des Syriens, Bachar-al-Assad et qui a beaucoup à perdre dans cette redistribution des cartes, espère que la conjoncture sera “stabilisée le plus vite possible“. Moscou est “en contact” avec les nouvelles autorités, surtout pour le dossier des deux bases militaires russes dans le pays. Si cette fois Vladimir Poutine ne s’est pas acharné sur les civils syriens comme en 2015 (plus de 500 000 morts depuis 2011) c’est certainement pour sauver sa mise.
Le Qatar, qui était le seul pays arabe à abriter une Ambassade contrôlée par l’opposition syrienne, a annoncé la réouverture de son ambassade en Syrie prochainement, après une rupture nette avec l’ex-régime. Ce qui n’était pas le cas des Emirats arabes unis, premier pays du Golfe à avoir renoué avec al-Assad dès novembre 2021. On verra comment Abou Dhabi tentera de composer avec la nouvelle donne syrienne. Idem pour le Prince hériter saoudien Mohammed Ben Salmane, qui avait fait revenir le sanguinaire dictateur syrien dans la famille arabe lors du Sommet de mai 2023.
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