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Tribune des lecteurs – Par Taïeb Houidi : Impairs et dérives de l’exécutif

Tribune des lecteurs – Par Taïeb Houidi : Impairs et dérives de l’exécutif

Par Taïeb HOUIDI

Depuis quelque temps, il ne se passe plus une semaine ou deux sans qu’il y ait un événement dramatique dans le pays : les élèves de l’école coranique de Regueb victimes de pédophilie, les nouveaux nés de la Rabta, les ouvrières rurales mortes accidentées, les nombreux accidents de trains et de la route (la Tunisie fait partie des pays dont les routes sont les plus meurtrières au monde)…

Face à cela, on assiste à des dénis systématiques, assortis de regrets ou de condoléances en cas de «mort d’homme», sans plus. Concernant l’identification des responsabilités, le silence est souvent de mise; ou alors on lit ou entend invariablement ces mots : « Le gouvernement n’est pas fautif ;il va prendre les mesures pour améliorer la situation ». Mais mon Dieu ! Qui est alors responsable?

Concernant la tragédie des ouvrières agricoles de Sidi Asker,« le gouvernement a mis en place en 2017 un plan national en faveur des femmes ouvrières » affirme la ministre chargée du secteur. Mais où est donc ce plan ? Et s’il existe, contiendrait-il par hasard les sempiternels vœux pieux, sans y mettre les moyens humains et financiers ? Pour les bébés décédés de la Rabta, il paraitrait que « les procédures ont été parfaitement suivies, mais que c’est la faute d’un microbe invasif ». Circulez, il n’y a rien à voir… Bref, « le gouvernement gouverne », mais il n’est responsable de pas grand-chose! En revanche, il s’habille du rôle du père fouettard, lorsque son action ou son inaction sont mises en question.

C’est ce que révèle l’affaire « Nessma ». Voilà un média empêché d’émettre, pour ne s’être pas mis en conformité avec la loi (à savoir, s’ériger en Société Anonyme, plutôt qu’en SARL).Tout d’abord, le citoyen lambda est en posture de s’interroger sur l’énorme disproportion entre la faute et la punition. Il est aussi en droit de se demander en quoi le statut d’un média influe-t-il sur sa compétence à exercer ce métier, ou sur sa capacité à appliquer les règlements et procédures qui l’obligent. Rappelons que la multinationale d’avionique Dassault était une SARL; et ce statut n’a pas constitué un danger pour la sécurité ou la quiétude de la France. Mais la loi, c’est la loi me diriez-vous, et j’en conviens.

Cela dit, on sait tous que la démocratie repose a la fois sur le droit écrit et sur la pratique. La question est alors la suivante : politiquement et moralement, peut-on empêcher un média d’émettre, alors qu’il est en tête des audiences du pays, et en même temps épargner d’autres médias (Ezzitouna et Al Qoraan), auteurs de la même «faute» (Al Qoraan étant carrément hors la loi)? Où est alors l’impartialité de cette instance de régulation? Bien entendu, l’exécutif n’a rien à voir en cette affaire…

Qu’en est-il par ailleurs de la pantalonnade de l’Instance Vérité et Dignité (IVD), dont la présidente, malgré trois jugements fermes et définitifs du tribunal administratif, refuse d’obtempérer devant les décisions judiciaires, créant ainsi une atmosphère de suspicion sur ses attributions et son action. Elle veut se mettre au-dessus de la Constitution qui prescrit (Art.148- point 9) que « l’État s’engage à mettre en application le système de la justice transitionnelle dans tous ses domaines et dans les délais prescrits par la législation qui s’y rapporte ». En effet, après avoir arraché une prolongation de 6 mois de l’IVD à fin 2018, elle s’est arrogé, hors du droit, l’aptitude d’élargir son existence à fin mai 2019, tout en se proclamant du droit. Qui devrait alors faire respecter la loi ?

Que dire aussi du litige de la Banque Franco-Tunisienne (BFT) qui dure depuis 36 ans et dont les conséquences financières auront d’atroces impacts sur les finances publiques? En 2010, le groupe opposé à l’Etat tunisien (l’ABCI) avait réclamé une réparation de l’ordre de 1 milliard de dinars, qui montera sans doute encore plus. Malgré cette menace et l’évidente responsabilité de l’Etat tunisien, le CDG exposait, bravache, le 20 /07/2017 devant l’ARP, sa stratégie pour réagir à la décision du Centre International de Règlement des Différends sur l’Investissement (CIRDI) : «…il y a eu un arrêt du processus de règlement à l’amiable en janvier 2015… on va défendre la position de l’Etat tunisien, et faire appel de cette décision de justice en présentant toutes les preuves». Notons que la délibération du Tribunal du CIRDI concernant l’estimation du dédommagement dont devra s’acquitter la Tunisie est attendue à partir de cette année.

Une autre facétie est celle des caisses sociales. Le 26/04/2019 le PDG de la CNAM affirmait que « la dette entière de son institution avoisine 1 milliard de dinars » et concluait : « La situation est rassurante ». Excusez du peu, cher Monsieur !

Ajoutez à cela la détresse de la situation économique actuelle, et vous bouclez le tableau : un déficit commercial des biens et services qui atteint 19,1 MMDT en 2018 (15,6 en 2017 et 12,6 en 2016), une dépréciation glissante du Dinar qui contribue à aggraver dangereusement le déficit courantet le ratio de la dette publique (2,2 TND pour 1 $US début septembre 2016, 3,02 Fin avril 2019), une épargne nationale qui se meurt (20,8% du PIB en 2010 ; 10,3% en 2017 selon M. Afif Hendaoui), une inflation irrépressible, des manutentions erratiques et peu compétentes sur le les taux directeurs de la BCT…

Non, l’exécutif n’a rien à voir dans tout cela… Confiné à Carthage, le Président de la République ne continue même plus à revendiquer une légitimité électorale, lambeau d’une légitimité politique qu’il ne possède et ne maîtrise plus.

Cette situation ne peut perdurer. Les tunisiens de toutes tendances demandent un sursaut positif de la classe politique et de toutes les forces vives du pays. Les défis à relever et les enjeux à gagner sont autant de motifs pour que ce sursaut se manifeste enfin, à travers des élections honnêtes et une gouvernance compétente et propre.

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