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Tunisie – EPIDEMIE DU CORONAVIRUS : LES ASPECTS PSYCHOLOGIQUES

Tunisie – EPIDEMIE DU CORONAVIRUS : LES ASPECTS PSYCHOLOGIQUES

DEUXIÈME PARTIE : PERCEPTION DE L’INFECTION AU CORONAVIRUS : DE LA BANALISATION A LA DRAMATISATION

Auteure : Donia Remili : Docteure et chercheure en psychologie à Université de Tunis et à inetop- cnam. Paris. Enseignante à l’ISSIT et membre actif de la société civile (psychologues du monde, Tunisie)

Depuis son apparition en toute fin de l’année écoulée, le coronavirus Covid-19 n’a pas cessé d’alimenter les polémiques, et n’a laissé personne indifférent. C’est toujours ainsi, quand il s’agit d’une maladie nouvelle ou émergente, comme cela a été le cas pour les grippes aviaire et porcine, il y a quelques années.

Cette fois-ci aussi, la perception de la maladie par les gens, a de quoi susciter des questionnements, tant elle peut être différente, voire complètement opposée entre un individu et un autre. Ainsi, et ce n’est pas l’apanage de la seule population tunisienne, la perception de la maladie a été très variée. C’est un critère très important, à prendre en considération, pour établir un plan de communication ou pour préparer, éventuellement, un programme de prise en charge spécifique pour arrondir les angles des effets psychologiques de cette expérience traumatisante.

En France, par exemple, la psychologue clinicienne, Johanna Rozenblum a trouvé, en se basant sur les résultats d’un sondage Ifop, qu’à l’occasion de cette flambée épidémique, un Français sur 2 a peur de fréquenter des lieux publics ou les transports en commun et 61% avouent être inquiets pour eux et leur famille. A noter qu’il s’agit là, d’un niveau record d’inquiétude chez les Français à l’égard d’un virus, par rapport aux dernières crises sanitaires (35% pour la grippe aviaire en 2006, et 55% pour Ebola en 2014).

En Tunisie, la perception de cette maladie est plus diversifiée, elle va de la peur-panique paralysante, à la banalisation extrême, génératrice de comportements pathologiques, insouciants, à la limite suicidaires. En effet, selon le professeur de psychologie, Slim Masmoudi, qui a entamé une étude sur cette perception, ayant touché 900 tunisiens, il s’avère que 40 % d’entre eux ne considèrent pas cette maladie comme grave. 65% sous-estiment la rapidité et la gravité de la contagion, ce qui pourrait expliquer leurs comportements insouciants, négligents, voire même déviants et irresponsables, du genre fréquenter les cafés et fumer « la chicha », malgré l’annonce de l’apparition des premiers cas en Tunisie, ou ne pas respecter l’auto-isolement ou confinement collectif sanitaire après retour d’un pays endémique ou encore, organiser des fêtes en y invitant un grand nombre de personnes… La liste est longue. Les gens arborant de tels comportements présentent souvent des arguments du genre: « Ce n’est qu’une grippe et elle va partir comme n’importe quelle grippe ! », ou encore ils s’interrogent, en disant : « pourquoi s’affoler ? Si on va mourir c’est que c’est notre destin et c’est Dieu qui le décide avec ou sans corona… ! ».  Ou, alors, un autre témoignage sidérant : «  on ne sera pas touchés car nous sommes des musulmans, les autres sont des mécréants, ils ont eu ce qu’ils méritaient»…

Souvent, ce type de comportement est sous-tendu par une mauvaise compréhension de la situation, témoignage d’une communication défaillante, déformée ou insuffisante, ou mauvais choix des supports d’information, qui aboutissent à une déformation du message et à une communication inefficace. Néanmoins, il ne faut pas passer à côté des gens qui agissent de la sorte en adoptant une forme de déni, qui est, en soi, une réaction de défense fréquente lors de l’annonce d’une maladie chronique ou grave en temps normal. Le déni est, en effet, un mécanisme de défense inconscient qui consiste à rejeter une réalité dépassant le seuil de tolérance psychologique d’une personne vivant une angoisse face à une maladie grave.

En plus des deux types opposés de perception de l’épidémie, la peur-panique, l’indifférence et l’insouciance totale, nous trouvons, parfois et ce n’est pas rare, des témoignages qui renvoient à des explications assez particulières comme, par exemple, « la théorie du complot », décrite par Pierre André Tagayev, qui explique tout phénomène inhabituel, par quatre principes: « tout est planifié et réfléchi, il existe inévitablement, une volonté cachée pour tout ce qui se passe, et rien ne se produit accidentellement ou automatiquement, et tout ce qui semble exister est complètement irréel, c’est-à-dire que tout est fabriqué, et nous ne voyons qu’une partie de la vérité ».

Les personnes adoptant ce genre de raisonnement deviennent méfiants, de l’Etat, du système en général, au point qu’ils sont profondément convaincus que tout est tissé et orchestré par « ceux », qui nous veulent du mal, qui ne nous disent pas la vérité ….

Certaines personnes se comportent, par ailleurs, d’une manière irresponsable, tant qu’ils n’ont pas été touchées eux-mêmes ou leurs proches par le virus. Ils continuent, donc, à porter des « œillères » comme stratégie défensive en se disant que « ça n’arrive qu’aux autres, et qu’on est à l’abri… ».

Il ne faudrait pas oublier, non plus, les personnes présentant d’emblée des troubles de comportement qu’on qualifie« d’anomique », en affichant et en criant haut et fort qu’ils transgressent volontiers les lois de confinement ou du couvre feu, et qu’ils sont fiers de le faire…. Ou ceux qui souffrent de troubles psychopathologiques ou agissant sous l’effet de certaines substances enivrantes (alcool, drogues …).

Au final, ces perceptions et ces réactions d’insouciance et d’indifférence, ne doivent pas cacher l’autre face de la médaille que sont les gens qui montrent des comportements rationnels, équilibrés et coopérants, et qui méritent d’être salués, que ce soit entre les citoyens ou à l’égard des instructions et des consignes de prévention mises en place par l’Etat.

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