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Tunisie – Épidémie du coronavirus : Les aspects psychologiques

Tunisie – Épidémie du coronavirus : Les aspects psychologiques

TROISIÈME PARTIE : UN PERSONNEL SOIGNANT EN QUÊTE D’ÉQUIPEMENT, DE SOUTIEN PSYCHOLOGIQUE ET DE… RECONNAISSANCE

Auteure : Donia Remili : Docteure et chercheure en psychologie à Université de Tunis et à inetop- cnam. Paris. Enseignante à l’ISSIT et membre actif de la société civile (psychologues du monde, Tunisie)

Le personnel soignant dans les hôpitaux fait, de nos jours, l’objet de toutes les attentions, du moins en apparence. On le décrit comme étant l’armée, le rempart de la Tunisie contre l’ennemi mortel. Mais en s’intéressant de plus près à ces soldats en blanc, comme on se plait à les appeler, on remarque qu’ils ne perçoivent rien de toute cette attention et cette sollicitude dont ils ne font l’objet que sur les médias.

En réalité, ces combattants se sentent lâchés par leur Etat major. Et leurs appels de détresse ne cessent de se multiplier sur les réseaux sociaux, puisqu’ils n’ont que ce support pour se manifester. En effet, les enregistrements vidéo et les post alarmistes ne cessent d’orner les murs de leurs pages sur ces réseaux. Ces personnels donnent l’impression d’être au bout du rouleau. Ils n’en peuvent plus de travailler dans des conditions intolérables, souffrant d’un manque total de moyens, surtout ceux censés les protéger. Le plus grave dans cette situation de détresse, ce n’est pas tant le désarroi affiché pour le manque de moyens de protection et de travail, mais, bien plus, le sentiment d’être lâchés à leur sort, face à cet ogre, contre lequel ils sont appelés à se battre à mains nues, alors que leurs « généraux » se plaisent à se donner en spectacle sur les médias, assurant qu’ils ont tout fait pour assurer les meilleures conditions de travail à leurs troupes.

Un autre élément est intéressant à prendre en compte dans cet état, déjà de par trop instable et qui est le passif de ces personnels de santé en matière de souffrances. En effet, il ne faut pas oublier que ces professionnels, tant sollicités, aujourd’hui, sont les mêmes personnes qui étaient tabassées chaque jour et qui subissaient, de façon quotidienne, l’ire des malades et de leurs proches, sans que cela n’émeuve, le moins du monde, leur hiérarchie.

Ces personnels entament donc, cette guerre avec un handicap de taille. Ils se sentent victimes de tout le système. Ils souffrent d’un manque de reconnaissance et d’une indifférence totale à leur souffrance, aussi bien de la part des bénéficiaires de leurs services que de leur hiérarchie.

Maintenant, on leur demande de se sacrifier au profit de ces malades qui les agressaient tous les jours ou à celui de leur organisme de tutelle qui n’a jamais reconnu leur souffrance, ni écouté leurs doléances.

En plus du fait qu’on leur demande, en quelque sorte, de se sacrifier, il ne faut pas oublier qu’on les pousse à mettre en péril leurs familles, leurs parents, voire leurs enfants.

C’est donc, minés par un sentiment de victimisation, ajouté à un autre de culpabilité envers leurs proches, que ces soldats appréhendent leur combat.

C’est dire l’importance vitale pour l’administration de ces personnels de se rendre compte de ce dilemme devant lequel ils se trouvent, et de faire en sorte de prendre en charge cette détresse. Il s’agit, d’abord, et en urgence, de mettre en place des dispositifs de soutien et d’écoute, pour permettre à ces personnels d’extérioriser leur souffrance et de faire parvenir leur état d’âme à leur hiérarchie, à l’instar des cellules d’écoutes mises en place par le ministère de la Santé ou sur l’initiative de certaines associations comme « psychologues du monde, Tunisie », ou d’autres, mais qui sont destinées au large public. Il faudrait prévoir des cellules spécifiques pour être à l’écoute du personnel soignant mis à rude épreuve dans cette guerre, à laquelle il n’avait point été préparé. En attendant de mettre en place des cellules de soutien de proximité pour prendre en charge les soignants sur leur lieu de travail, à chaud, quand ils viennent de subir des chocs comme quand l’un d’eux est contaminé, ou quand ils se mettent, eux même, en péril.

Par la suite, il faut penser à perfectionner ce système de soutien par des dispositifs d’aide plus structurés, pouvant, au besoin, mettre en lien le soignant en détresse, avec un psychologue traitant afin de garantir le suivi. Un tel système a été mis en place en Europe, Il s’agit d’une plateforme baptisée « psyformed.com » qui recense  plus de 1000 psychologues et psychiatres, prêts à assurer des consultations gratuites destinées aux professionnels de santé (600 en Belgique, et 400 en France). Un système qui est appelé à rester opérationnel même en aval de l’épidémie, pour continuer à soutenir, voire prendre en charge les cas les plus impactés psychologiquement, ( stress post-traumatique, burn out, dépression, anxiété…)

Pour ne pas conclure sur ce tableau sombre bien qu’il représente notre pure réalité, il importe de saluer les efforts de nos soignants, leur dévouement et leur investissement physique et moral dans cette période de crise.

N’oublions donc pas qu’un simple geste, un sourire, un clin d’œil reconnaissant ne nous coûtent rien, mais peut aider énormément ces professionnels.

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