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Tunisie : Lettre de démission d’Abdelhamid Jelassi

Tunisie : Lettre de démission d’Abdelhamid Jelassi

Démission

Abdelhamid Jlassi, figure dirigeante et membre du Conseil d’Al-Choura du parti Ennahdha, a annoncé aujourd’hui, mercredi 04 mars 2020, sa démission du mouvement, décidant de mettre un point final à un parcours de 40 ans.

Jlassi a confirmé que les raisons de sa démission sont principalement dues à la propension générale du mouvement depuis 2011.
Il a également précisé que parmi les raisons de son mécontentement figurent la gestion institutionnelle du mouvement, ses choix politiques, en plus de son inimitié sociale et démocratique, qui constituent la clé de voûte d’Ennahdha.

Voici le texte intégral du message de la démission de Jlassi dont une copie a été obtenue par la Tunisie numérique.

« Armez-vous de vérité armez-vous de Patience » (Verset du Coran)

1.Notre parti

Se targue d’être le premier mouvement politique et social qui a muté de l’intérieur depuis la révolution. Tout a été mis sur la table, parfois avec pondération, d’autre fois à titre expérimental, voire dans l’erreur, mais  sans préparation aucune la plupart du temps.

Une des raisons de cette dynamique est la mobilité subjective et le changement de statut, les élections de 2011 nous ont permis de passer d’un groupe de résistance et de protestation à un parti au pouvoir dans un Etat post révolutionnaire.

L’opinion publique nationale a été témoin de nombreux soulèvements et les adhérents d’Ennahdha ont participé à un certain nombre de débats et certaines questions ont fait l’objet de dialogues au sein de l’élite du mouvement, dans les institutions ou en marge.

Notre sortie de la clandestinité n’a pas été facile pour des considérations culturelles et psychologiques (unité du mouvement, peur de “se battre et de battre de l’aile”) et pour des considérations politiques ou autoritaires aussi. Le secret sert toujours une image et encore davantage concernant un groupe dont l’idéologie est religieuse.

Beaucoup ont préconisé la publication d’un blog complet des évaluations accumulées, montrant un mouvement composite mais soudé dans sa diversité, voire dans l’erreur, mais toujours juste dans ses institutions et ses dirigeants. Cependant, cet appel a été fortement objecté et il y a ceux  qui ont appelé à le brûler, prétendant qu’il a été écrit dans des climats de défaite et que la révolution y a répondu.

Ceci peut être compris : Alors que toutes les évaluations sont basées sur l’auto- critique du système intellectuel de la vision du groupe de lui-même, sa relation à la société, à ses partenaires, à l’autorité et l’approche de l’autre, à la philosophie de l’organisation, Il statue également sur un clivage majeur du modèle de gouvernance et de la  prise de décision. Ce dernier point semble le plus embarrassant.

Après la révolution, le défi principal était de changer la perception de soi d’un groupe ayant des préoccupations politiques en une entité devenue objectivement un parti politique, avec des préoccupations sociétales, en particulier après les élections de 2011.

Notre positionnement a changé et, par conséquent, le travail attendu a changé, mais ni la perspective, ni la culture, ni l’éthique n’ont changé.

Nous étions confrontés à un paradoxe : un groupe de dirigeants historiques devait  guider une étape dont les défis sont fondamentalement différents des ceux de sa fondation.  Le paradoxe d’Ennahdha après la révolution était : soit développer l’ancien fonctionnement soit en créer un nouveau.

L’expérience montre que les approches de développement peuvent réussir, à condition qu’elles soient complètes et profondes, même si nous nous adressions à une nouvelle génération.

Il est du droit des Tunisiens de connaître le récit de ce dialogue ou plutôt de cet antagonisme dans des textes officiels ou semi-officiels préparés en vue du neuvième, puis du dixième Congrès du parti, mais aussi des approches personnelles ou collectives d’un certain nombre d’activités du mouvement qui traitent de questions intellectuelles, politiques, stratégiques et organisationnelles.

Le problème d’Ennahdha ne réside dans les idées, mais dans leur gestion. De même le problème n’a jamais été dans les ressources, mais dans leur gestion.

2. Le tournant de la gouvernance

La gestion de la période 2011-2014 a été la plus difficile de l’histoire d’Ennahdha, en particulier dans sa phase achevée au printemps 2013

Ici, se mélangent l’aspect intellectuel et stratégique dans les questions politiques fondamentales du type : révolution et réforme, partenariat et leadership, ancien et nouveau, place de la religion en politique. Puis un autre aspect a commencé à se faire insistant, celui de l’organisation.

La place du parti et celle de l’État ont fait l’objet d’un dualisme sans précédent qui exigeait de la sagesse dans l’administration et la prise en compte de la reconnaissance requises par les premiers responsables du pays.

Cette question a ouvert les yeux d’une nouvelle génération arrivée à la direction du mouvement mais qui n’a jamais travaillé avec les fondateurs sur la manière d’administrer. Ils se sont rendu compte que les batailles du pouvoir existent dans tous les partis et les mouvements, y compris ceux appartenant à l’Islam.

3. Chemins parallèles

Au cours des deux années précédentes le 10 ème Congrès, il y a eu un débat dans différents cercles de l’élite du mouvement sur la relation entre les deux voies : soit la construction nationale (choix  politique) ou la référence à Ennahdha (modèle de gouvernance). Etaient-ils indépendants et pouvaient-ils se côtoyer ou était-ce un itinéraire se chevauchant?

Beaucoup ont choisi la priorité nationale et ont négligé les fautes possibles dans le style de gestion, tandis que d’autres ont adopté l’option d’interconnexion et, à l’intérieur de l’institution exécutive, ont développé leur actions et leurs conversations pour produire un ensemble de documents, dont le plus important est celui du 12 février 2015, qui a été remis par ses auteurs (Tous les membres du Bureau exécutif d’Ennahdha ) au Président du Mouvement comme point éminent des sessions de réflexions, à titre individuel et collectif. Ils ont choisi de ne pas élargir le dialogue afin de préserver un bon climat. Le but n’était pas de constituer une opinion publique, mais était inclus dans les us et coutumes des conseils.

Le retard continu pour fixer la date du dixième congrès est en réalité un moyen de parvenir à un consensus sur l’expansion des partenariats de gouvernance sous le même leadership.

4. Le virage du 10 ème Congrès

Pour beaucoup, le pari du congrès ne représentait pas le côté substantiel, bien que le comité préparatoire et bon nombre d’intervenants y aient consacré de grands efforts. La question était de changer la nature du mouvement de projet commun conduit par un président de parti en un gouvernement du président. Cela a été testé dans des régions et montre jour après jour le dilemme de sa poursuite.

Il me semble qu’aucune attention n’a été accordée au désir de changement exprimé dans les votes du matin du deuxième jour du Congrès (dimanche, 22 mai 2016) ou à une lecture politique des chiffres. 547 conférenciers ont exprimé le désir de changer le style de leadership, contre 507. Une lecture littérale a été adoptée qui a omis les buts et les contextes adoptant l’intimidation morale. Le changement le plus important dans l’histoire du parti a été opéré, passant d’une gouvernance diversifiée et représentative de toutes les composantes, capable de contenir les points de discorde à ce qui est appelé « le choix de l’harmonie ».

Cependant, le système de leadership a maintenu un certain degré de raison, car l’harmonie exécutive est pondérée par la diversité du Conseil d’Al Choura, son indépendance, sa capacité d’observer, de suivre, de planifier et d’atteindre l’équilibre.

Le grand combat, a commencé dans la salle même du Congrès. Le chef de l’exécutif a soutenu directement la liste de 100 sièges des membres du Conseil d’Al Choura, violant ainsi l’accord politique et moral. Ensuite a eu lieu la 50ème session électorale, destinée à prendre en compte la représentativité des groupes et des régions (4 juin 2016), puis la session électorale du Président, qui a favorisé un candidat à lui  (11juin).

Nous pouvons comprendre le débat sur l’harmonie au niveau du bureau exécutif, mais le processus est devenu une liquidation de l’ensemble du système exécutif. La classification des militants et même des administrateurs n’était plus basée sur les critères d’efficacité mais sur les dixièmes votes et sur les positions que le militant peut adopter en fonction de son affiliation et de son travail pour conseiller son mouvement

Le leader du mouvement, censé être le protecteur de son unité et de la liberté d’expression de ses membres, est devenu le président d’une partie du mouvement depuis un certain temps, tantôt pour des motifs d’organisation tantôt à titre de jurisprudence politique.
Il demande aux responsables politiques locaux de devenir fonctionnaires technocrates dans une administration.

Les institutions se sont transformées en façades, de sorte que l’exécutif n’était plus la cuisine politique du mouvement, sa source de décision où Al Choura est le système de surveillance. Elles sont devenues des quotas de déchargement.

Jamais dans son histoire, le parti n’a connu un pareil état de concentration des ressources des intérêts et des prises de décision dans les grands et petits domaines, la marginalisation de ses institutions, la réduction de la gestion de ses moyens humains et l’abandon de ses structures.

La centralisation transmet toutes les maladies et propage la paralysie. Les interventions familiales et les structures unifiées du mouvement deviennent une cause pour la fabrication et l’alimentation des classifications dans un même corps.

5. En revanche

les points de vue divergents se sont clairement exprimés en rejetant les quelques offres qui ont été soumises à la signature du Comité exécutif, régies par une vision différente de la gestion et n’ont montré aucune intention d’examiner ou d’atténuer ses défauts.

Il a exprimé son idée de passer de la culture de l’accompagnement et des conseils qui nous ont escortés durant le dixième Congrès à celle de faiseur de l’opinion publique, de changeur de l’humeur au sein d’Ennahdha. L’équilibre du pouvoir est devenu un processus dynamique de la politique, y compris dans l’espace partisan.

Les espaces de ce trépignement sont variés : Dans les institutions officielles et dans les espaces privés (cafés/foyers/dialogues privés virtuels), dans les médias eux-mêmes. Une équation qui n’est pas toujours facile et ne qui ne différencie pas le leadership officiel de l’expression personnelle.

Tout cela est permis par les climats démocratiques, soumis à la discipline institutionnelle, mais aussi par la volonté de délibérer à des dates régulières ou celles dictées par la loi et à condition de ne pas recourir à la diffamation ou l’intelligence avec un pays étranger et le non recours à l’utilisation des ressources communes (comme dans l’Etat).

Ce mouvement doit être façonné et aussi sécurisé, car il s’avère qu’il ne s’agit pas d’une « guerre de lieux » telle qu’elle a été promue, mais plutôt d’une méthode de gestion centralisée qui dirige en fait le mouvement vers un nouveau libellé.
En démographie (avec une compréhension spécifique de l’ouverture et de la tunisianité (et de l’identité politique) (Par auto-administration du dossier politique et monopolisation des relations internes et externes selon la philosophie d’auto-assurance de la famille du Président défunt aux dépens du pays (en monopolisant l’argent et en l’utilisant comme moyen de contrôle, pour apprivoiser et punir et dans l’identité sociale, en poussant le mouvement à être le médiateur le plus en vue en relation avec les milieux financiers étrangers et adopter des lois qui servent des groupes sociaux bien loin de la base électorale du mouvement et de l’identité culturelle (tunisianité et de normalisation).

Au cours des dernières années, une littérature individuelle a foisonné  (j’ai personnellement publié une série d’environ cent vingt articles dans un certain nombre de groupes internes et contribué à de nombreuses interventions écrites dans les sessions du Conseil d’Al Choura. J’ai rédigé ou contribué à la rédaction d’un certain nombre de documents pour gérer des dialogues bilatéraux ou collectifs sur le diagnostic des positions du mouvement, ses locaux et ses données depuis 2016. Ces écrits sont disponibles et peuvent être publiés afin que nous puissions enfin sortir de l’obsession de l’organisation secrète et du complot terroriste qu’elle inspire et d’un système de gouvernance dépassé qui n’a pas d’arme de contrôle à part intimider ou crier à la conspiration à l’intérieur de l’organisation ou dans le pays.

Pendant cette étape, les promesses de réforme ont été répétées et des tentatives de médiation renouvelées et j’ai eu l’honneur de discuter sept fois avec le président du mouvement sur diverses questions depuis le 10ème Congrès. La dernière entrevue a eu lieu le 15 janvier 2020. Mais la conclusion est la même.

6. Gestion de roulement :

Ces derniers mois ont été un test pour une administration engagée dans l’improvisation et la détérioration avec la liste du scandale « des mariages avec l’intention de divorcer ».  Sous la direction de M. Abdelfattah, l’administration du gouvernement Jemli, voire même les rapports tactiques avec le gouvernement Fakhfekh (Qui attend au tournant), l’approche consistait à manipuler une opinion publique nahdhouie, bonne, qui fait confiance à ses dirigeants comme elle le ferait aux compagnons du prophète.

La question qui se pose est la suivante : Ennahdha  pourquoi? La  politique pourquoi?
Nous avons contribué à faire perdre cinq ans pays de 2014 à 2019 et nous ne semblons toujours pas en avoir tiré de leçons.

Dans la gestion interne, nous allons explorer les avantages de l’approche du «  au petit pas la chance » et gagner du temps. Le Congrès ne se tiendra pas dans les temps et les cuisines internes travailleront pour trouver la formule du maintien de l’actuel président, imposer le commerce pour telle ou telle raison et faire semblant que nous ne sommes pas confrontés à un véritable scandale. Il n’y a personne dans le monde, de la Corée du Nord à la Suisse, qui préside seul un pays, un parti ou une organisation. Regardez sur Google que Dieu vous bénisse !

Il ne semble pas que nous lisions l’Histoire et nous ne semblons pas conscients de l’humeur de l’époque,  le despotisme a pris fin et le temps des échanges avec les accords Poutine-Medvedev est fini.

Je veux dire, un mouvement dont la politique gouvernementale est la position de son président et l’axe de sa politique interne serait le diktat de ce même président est-il viable ?

Personnellement je lis l’Histoire et je considère qu’un virage décisif a été pris en en 1974 lorsqu’un coup d’Etat a été fomenté contre la démocratie au sein du premier parti. Je considère que toute l’Histoire qui a suivie est liée à cet acte de division.

La conclusion à laquelle je suis arrivé aujourd’hui est que l’équilibre moral des valeurs et des éléments constitutifs, tels que l’honnêteté, le dévouement, l’impartialité, l’exécution des contrats, la démocratie, les préjugés sociaux, l’émancipation culturelle ont été épuisés.

Ennahdha a été injectée dans le système qui en avait  besoin, car depuis 2011, on cherche un remplaçant au vide laissé par le Rassemblement constitutionnel démocratique. Le pari sur Nida Tounes a échoué parceque Béji (Caïd Essebsi) a pris parti pour son fils. Puis on a misé sur Chahed  mais il n’a pas réussi à remplir le vide rapidement, Il n’avait aucune objection contre Ennahdha du moment qu’elle renonce à son idéologie. A croire que le parti allait se transformer en cette émission radiophonique intitulée «  Ce que demandent les auditeurs ». Sans références idéologiques  et sans valeurs sociales tout est objet de troc. On veut nous garder au centre du processus politique, mais pour  quelle vision et pour quel projet?

Chaque affiliation à ses causes.
Je me suis affilié à un groupe qui lie la politique aux valeurs et à l’éthique, qui a un parti pris social, qui est attaché aux valeurs de la démocratie, qui a le  souci de protéger la décision nationale et de s’aligner sur la question des libertés dans le monde.

Le sceau a disparu et sa récupération n’est possible que par une bataille interne mais elle peut tout détruire et, comme l’appel de 2015, faire de nous un fardeau pour un pays qui fuit désormais ses hommes politiques.

Personnellement, je ne suis pas prêt pour des batailles à propos des postulats, ni à celles aux coûts nationaux élevés, ni à celles où le gagnant n’est pas meilleur que le perdant.
Je dis à mes compagnons et amis que le silence impuissant ou complice ne fait que des statues. Seule la multitude des voix montre la dignité de tous les êtres humains. Ils ne sont ni anges ni démons  Ils ne sont pas obligés d’attendre le jour du Jugement dernier pour lever la couverture. C’est alors seulement qu’ils deviendront des héros et les paroles n’auront plus de sens.

J’ai pris le temps de réfléchir. J’ai fait des choses dont je n’étais pas convaincu par loyauté envers mes amis. Je n’ai plus que leur amour et j’ai souvent fait un effort hors du commun pour eux, ils sont ceux qui m’ont fait.

Hier, je ne pouvais pas être libre parce que je ne pouvais pas faillir aux yeux de mes proches, mais maintenant que le pays a pris sa direction, je peux prendre la position qui satisfait ma conscience.
Hier, toutes les relations administratives avec Ennahdha ont été rompues.

Aujourd’hui, je mets un point final à un cheminement de 40 ans et je suis fier de chaque moment que j’ai passé en son sein. Je me considère chanceux et rends grâce à Dieu pour ce que j’ai vécu.

Je continuerai, si Dieu le veut, avec le même enthousiasme à servir la Tunisie, la révolution, la justice, la démocratie et la liberté.
Je sais que beaucoup de gens vont se désoler mais je fais ce que je dois faire par droiture envers eux. Peut-être que les climats de conspirations et des fables de Kalila we Demna vont-ils s’alléger.
J’assume ma responsabilité politique et morale dans tout ce que j’ai fait durant mon parcours.
Je remercie tous ceux qui ont aimé que je travaille avec eux.
Je présente mes excuses à ceux à qui j’ai lésé.
Le chemin des braves se croise, peu importe le cheminement.
Loué soit Dieu qui fait le Bien et Dieu qui nous guide.

Mercredi 4 mars 2020

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