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3 ans au Japon – Partie 2 : Les japonais entre bouddhisme et consumérisme

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Nous disons naïvement du Japon que c’est un pays qui a su créer un équilibre presque parfait entre traditions et modernité, passé et présent, discipline et créativité. Mais qu’en est-il vraiment? 

Dans un précédent article j’ai tenté d’expliquer le lien de corrélation viscéral entre développement technologique et économique d’un côté et la géographie même de l’archipel japonais de l’autre. 

Dans cet article, je continue à progresser avec vous pour sonder les spécificités de la personnalité japonaise, en relation avec le travail et par extension, la personnalité d’un pays de référence en matière de développement économique.  

Qui de nous ne s’est pas émerveillé devant les supporters japonais durant la Coupe du Monde du Football en train de nettoyer leur partie du stade après la fin d’un match (même quand leur équipe perd!). On est tout aussi fasciné par la rapidité de l’exécution des travaux de réparation et de reconstruction après chaque catastrophe naturelle, surtout qu’en Tunisie, ça a malheureusement la réputation de traîner, un peu trop! 

Nous sommes admiratifs de la qualité de la production japonaise, surtout en matière d’industrie automobile. Plusieurs mythes se sont construits au fil du temps autour de la productivité japonaise. Qui de nous n’a pas entendu au moins une seule fois cette blague sur le tunisien qu’on croyait mort au Japon juste parce qu’il dormait encore alors que midi était passé! 

Le modèle japonais n’est pas le fruit du hasard, il résulte de l’application stricte de valeurs solides et communes dans les milieux familial, social, scolaire et professionnel.

Au Japon, le système est solide et fonctionne bien. Les valeurs de coopération et de participation sont inculquées dès la tendre enfance. A l’école, cet aspect est renforcé par une multitude de projets où l’on met les élèves par groupe pour élaborer et concrétiser une idée. La distribution des tâches est rapide et logique. Elle met les qualités physiques, techniques et intellectuelles de chacun au service du projet. Ce n’est jamais dans un esprit de compétition contrairement à la culture occidentale. On ne cherche pas à être le meilleur, le plus important c’est de faire de son mieux. C’est le fameux Ganbari masu “頑張ります”! 

Toutefois, les joutes oratoires, la rédaction, la capacité à forger sa propre opinion et développer son individualité n’est guère encouragée! Ainsi, en société comme au travail nous avons des individus capables de s’adapter et de trouver des solutions pratiques, de travailler en groupe, de collaborer naturellement tout en respectant la hiérarchie. Toutefois, ils sont beaucoup moins performants quand il s’agit de changer des règles ou des lois inutiles, défendre son point de vue ou même simplement l’exprimer et prendre certaines initiatives pour faciliter les procédures, etc. Au Japon, on respecte la loi, on suit les règles et les manuels d’utilisation étape par étape, on met la technologie au service des lois et on préfère trouver des solutions techniques plutôt que laisser tomber certaines règles obsolètes! 

Le système japonais est fait et pensé pour servir l’intérêt général qui transparaît à travers une infrastructure évoluée, de beaux espaces pour la collectivité (centres communautaires, commodités à proximité, parcs, etc.), la sécurité et la propreté. Le revers de la médaille est que c’est souvent en partie au détriment de l’épanouissement personnel de chacun. Cela se traduit par de longues heures de travail, l’incapacité de quitter son travail tant que son patron est sur place, les heures sup qui influent sur la vie personnelle et familiale (d’où la décroissance démographique continue) et l’effacement total devant autrui. Au Japon, ce sont les femmes au foyer qui constituent la grande majorité de la clientèle des cafés. Les hommes sont au travail.   

Tout est régi par des règles et exprimer ses sentiments est considéré comme enfantin et même honteux pour un adulte. La retenue est de mise! 

Pour ce qui est de la vie quotidienne, le même esprit de contrôle, de codification, de règles, de démarches (parfois absurdes et frustrantes) dans le domaine professionnel, s’applique.

On y voit clairement la touche de l’héritage bouddhiste qui incite au contrôle des émotions, à la répression des désirs, à la limitation des plaisirs, à la maîtrise de soi et de son travail, à l’harmonie avec son environnement, etc. 

L’État de son côté fait la promotion du consumérisme comme acte patriotique. Travailler davantage pour consommer le produit local et participer à l’essor économique est un devoir sacré. Du coup, nous nous retrouvons avec une population avec un pouvoir d’achat élevé qui n’a pas le temps nécessaire pour en profiter pleinement. Dans la campagne où je suis installée (Asakura, au sud du Japon), cette tendance est moins pesante et la vie est plus douce. Toutefois, il me manque de débattre autour de différents sujets avec mes amis (surtout l’actualité tunisienne) et la facilité à trouver quelqu’un à l’écoute quand on a besoin de vider son sac!

Il n’existe pas de paradis sur terre. Cependant, comprendre le Japon et s’en inspirer pourrait s’avérer utile, surtout dans l’état actuel du pays. Onze ans après la révolution, la Tunisie peine toujours à relancer l’économie, dynamiser le système éducatif et intéresser les plus jeunes à la formation et au travail. 

Nous assistons avec impuissance à la propagation virale des jeux d’argent, de la recherche du gain rapide, de l’immigration clandestine, du banditisme et autres fléaux qui ne sont en fin de compte que le reflet d’un profond mal être commun à toute une génération désillusionnée (voire à la population entière avec des degrés différents!). Si l’on veut changer la donne, il est primordial de réviser le système des valeurs et le système éducatif, d’où mon souhait de parler de l’éducation au Japon dans un prochain article.

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Publié par
Tunisie Numérique