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Huile d’olive : vers une pénurie sur les tables marocaines ?

Huile d’olive : vers une pénurie sur les tables marocaines ?

L’huile d’olive, longtemps considérée comme un aliment de base dans les foyers marocains, est en train de devenir un produit de luxe, de plus en plus difficile à acquérir pour les familles à revenu modeste. Dans plusieurs villes du Royaume, le litre dépasse désormais les 100 dirhams (environ 33TND 10 euros), et les habitudes alimentaires sont bouleversées.

Dans un quartier populaire de Marrakech, un père de famille confie, non sans mélancolie, qu’il ne peut plus consommer cette huile aussi généreusement qu’auparavant. Il se remémore une époque où le litre coûtait à peine 25 dirhams (environ 8TND, 2,5 euros)( , bien loin des tarifs actuels qui frôlent les 110 dirhams, soit près de 36 TND (11 euros, 11,80 dollars).

Un climat idéal, une production convoitée à l’international

Avec ses 1,24 million d’hectares de plantations, le Maroc dispose de conditions climatiques idéales pour la culture de l’olivier, notamment grâce à son climat méditerranéen, ses hivers doux et étés secs, et la diversité de ses terroirs. Près de 90 % des olives récoltées sont destinées à la production d’huile.

Mais la demande à l’international a un prix. Le pays exporte même vers l’Espagne, premier producteur mondial d’huile d’olive. Selon les experts, la qualité marocaine permet à certains industriels espagnols de mélanger cette huile à la leur pour améliorer le goût à moindre coût. Un avantage stratégique pour les exportateurs… mais un fardeau pour le consommateur marocain.

Expansion des cultures, mais recul de la production

Malgré l’augmentation des superficies cultivées de 60 % depuis 2010, la production d’huile d’olive a enregistré une chute de 13 % pour la campagne 2024-2025, atteignant 945 000 tonnes, contre 1,07 million l’an passé, et près de 2 millions de tonnes il y a deux ans.

Les sécheresses successives, les pics de chaleur durant la floraison, mais aussi la mutation vers des variétés étrangères à rendement rapide (récolte dès deux ans) expliquent ce déclin. Mais cette productivité accélérée s’accompagne d’un recul de la qualité, remettant en cause la notoriété historique de l’huile d’olive marocaine.

Le paradoxe des exportations face à la pénurie locale

Malgré la baisse de l’offre nationale, 841 tonnes d’huile ont été exportées vers l’Union européenne entre octobre et novembre 2024, profitant d’un contexte mondial tendu où l’Espagne, l’Italie et la Grèce font face aux mêmes aléas climatiques.

Cette orientation commerciale vers l’international vise à générer des recettes en devises, mais aggrave la pénurie locale.

Face à la colère croissante, le gouvernement a tenté d’intervenir. Une série de mesures temporaires a été annoncée :

– soumission à autorisation préalable des exportations d’huile d’olive jusqu’au 31 décembre 2024 ;

– suspension des droits de douane pour l’importation de 10 000 tonnes d’huile jusqu’à fin 2024 ;

– exonération totale des taxes sur 20 000 tonnes d’importation jusqu’à fin 2025.

Des mesures jugées insuffisantes

Pour plusieurs experts, ces mesures restent limitées dans leur effet sur les prix à court terme. Elles révèlent aussi les limites de la stratégie agricole actuelle, qui reste orientée vers l’exportation au détriment de la souveraineté alimentaire.

Certains appellent à réserver une part obligatoire de la production au marché local, voire à mettre en place un système de soutien direct pour les foyers vulnérables, afin d’éviter que ce produit central dans la cuisine marocaine ne devienne un luxe inaccessible.

Une denrée identitaire devenue inaccessible

Malgré tout, l’attachement des Marocains à l’huile d’olive “baldi” (locale) demeure fort. Considérée comme un pilier culturel autant que nutritionnel, elle reste préférée à toute alternative industrielle ou importée, accentuant ainsi la pression sur la demande intérieure.

Des experts agricoles regardent la saison 2025-2026 avec un optimisme prudent, notant que les récentes pluies ont relancé la floraison et la fructification, ce qui pourrait annoncer une récolte plus généreuse. Mais les effets de la crise actuelle risquent de perdurer.

Ainsi, l’huile d’olive, autrefois symbole d’abondance et d’identité culinaire au Maroc, est en passe de devenir un produit d’exception, inaccessible à une large partie de la population.

Si la croissance des exportations profite aux équilibres macroéconomiques, elle met à mal la table des Marocains, et soulève une question plus profonde : peut-on continuer à exporter l’essentiel quand l’intérieur manque du nécessaire ?

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