À l’aube du 7 novembre 1987, Zine el Abidine Ben Ali, nommé quelques semaines plus tôt Premier ministre – fonction qu’il cumule avec celle de ministre de l’Intérieur – lit un message à la Radio nationale, connu sous le nom de « Déclaration du 7 novembre », signant l’acte de naissance du nouveau pouvoir. La suite de l’histoire : se référant à l’article 57 de la Constitution qui prévoit l’intérim en cas de vacance du pouvoir présidentiel et s’appuyant sur un certificat médical signé par sept médecins, le Premier ministre Ben Ali annonce la destitution de Habib Bourguiba.
A l’annonce de son coup d’état, Ben Ali est acclamé par la population, islamistes compris. Il promit pluralisme et démocratisation.
Les deux premières années, ses promesses furent tenues. La presse se libéralisa, le « changement » est à l’ordre du jour. Mais rapidement vient la confrontation avec les islamistes devenus insatiables voire arrogants en réclamant beaucoup plus que leur part du pouvoir malgré qu’ils avaient accepté les résultats d’un scrutin jugé par des observateurs internationaux, transparent et traduisant leur poids réel dans la rue, par l’irrésistible montée en puissance du FIS en Algérie. Mais la confrontation parfois violente avec Ben Ali a viré au drame pour les islamistes broyés par la machine répressive ainsi qu’à toutes les autres forces politiques et associatives.
Bilan économique satisfaisant mais…
Sur le plan économique, Ben Ali enregistre des succès. Il est le premier à signer un accord d’association avec l’UE, se lance dans un effort sans précédent pour mettre à niveau son économie. Les investisseurs européens apprécient ce pays calme, où la main-d’œuvre est bien formée et bon marché.
Ben Ali se garantit le soutien de la classe moyenne en imposant au patronat une hausse régulière du salaire minimum. Le crédit à la consommation est favorisé. Le fonds 2626 est créé pour développer les zones rurales. Le tourisme est développé, la croissance avoisine les 5% par an.
Mais l’étouffement sans précédent des libertés, la censure de la presse et d’Internet prennent, à partir des années 2000, un tour insupportable dans un pays désormais sous une chape de plomb répressive. Les critiques sur le manque de démocratie sont sans cesse repoussées par le régime de Ben Ali.
La crise économique européenne et la fin de l’accord multifibre mettent à mal le modèle. Surtout, Ben Ali fait sauter tous les verrous empêchant une «présidence à vie» qu’il avait promis de ne pas exercer en 1987. Malgré les rumeurs de cancer de la prostate il se fait réélire à un quatrième puis un cinquième avec des scores dépassant les 90%.
Enfin, l’avidité de la famille de sa seconde femme, Leila Trabelsi, et de ses gendres achèvent d’insupporter les Tunisiens ainsi que les hommes d’affaires, qui ne peuvent plus faire d’affaires sans se voir ponctionner. Au point que les diplomates américains parlent dans leurs télégrammes, révélés par WikiLeaks, d’un Etat « quasi-mafieux ». La débandade de ses proches semble avoir précipité la chute de Ben Alimalade et isolé, otage consentant d’une mafia insatiable.
Chassé par la « rue »…
La corruption, la décadence morale du régime et la marginalisation de régions entières s’illustrent dramatiquement le 17 décembre 2010 avec l’immolation de Mohamed Bouazizi. Cet évènement donne le coup d’envoi d’une contestation qui va souffler sur plusieurs pays de la région.
Après un mois de manifestations, Ben Ali et son régime sont aux abois. Il fuit le 14 janvier 2011 avec sa femme et son fils vers l’Arabie saoudite.
Le coup d’état du 7 novembre 1987 marqua la fin de 30 ans de « bourguibisme » et le début du « benalisme ». Une période marquée par des espoirs qui seront déçus.
Condamné par contumace à plus de cent ans d’emprisonnement dans différentes affaires de violations des droits de l’homme et de corruption, la justice tunisienne réclame son extradition. Trop tard : après quelques années d’exil, il a tiré sa révérence.
Après la chute de Ben Ali, le début de la décennie noire
Le 30 janvier 2011, Rached Ghannouchi foule le sol tunisien après plus de vingt ans d’exil doré à Londres. Le leader du parti islamiste Ennahda est acclamé par des milliers de personnes venues l’accueillir à l’aéroport de Tunis-Carthage aux cris de « Tala’albadrou ’alayna » (la pleine lune s’est levée sur nous), un chant islamique traditionnel célébrant l’arrivée du prophète Mohammed à Médine…
Ce retour deux semaines après la chute de Zine El-Abidine Ben Ali signa la résurrection d’un parti que le régime a cherché à éradiquer. Le parti Ennahda, obtient sa légalisation en mars 2011.
Jusqu’aux élections de l’Assemblée constituante d’octobre 2011, les dirigeants Ennahda préfèrent rappeler les souffrances endurées sous la dictature. Le discours anti-islamiste répandu dans les grands médias renforca cette posture victimaire. Autant d’éléments qui contribuent à leur succès électoral à la nouvelle Assemblée constituante.
Au menu, les Ligues de protection de la révolution (LPR), des milices qui n’hésitent pas à s’en prendre physiquement aux opposants. Des militants de gauche, des indépendants et Nidaa Tounès deviendra également une de leurs cibles privilégiées, car le parti monta dans les sondages au point de devenir une sérieuse menace pour Ennahda. Le 18 octobre 2012, une manifestation des LPR dégénère à Tataouine et un responsable local de NidaaTounès est lynché à mort.
Parallèlement à ce déchaînement de violence en toute impunité, l’exécutif montra une tolérance envers les expressions les plus radicales de l’islamisme, au nom de la liberté religieuse. Le parti Ettahrir qui prône l’instauration d’un califat islamique est autorisé, et le mouvement Ansar Al-Charia affilié à Al-Qaida a pignon sur rue. Le tout dans un contexte d’attentats terroristes visant les forces armées.
La violence se poursuit avec l’assassinat des dirigeants du Front populaire (coalition de gauche et extrême gauche) Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en 2013.
Quant au bilan économique des islamistes, il est connu de tous : surendettement extérieur faramineux et sans précédent, des dizaines de milliers de recrutements partisans, disparition de la classe moyenne, destruction du tissu économique sous les coups des contrebandiers et du dumping turc, enfin un pays en quasi faillite…
Même si certains croient que la parenthèse du régime de Rached Ghannouchi sous-produit du régime de ben ali a été fermée le 25 juillet 2021, les dégâts de dix ans de pouvoir islamiste continuent.
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