Face à une conjoncture internationale de plus en plus incertaine, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé ce jeudi d’abaisser une nouvelle fois son principal taux directeur, une mesure prise pour la sixième fois consécutive depuis juin 2024, dans le but de préserver la dynamique économique en zone euro. Cette décision survient dans un contexte alourdi par l’escalade des tensions commerciales avec les États-Unis, impulsée par les récentes mesures protectionnistes de Donald Trump.
Le taux de dépôt, qui constitue le principal outil de pilotage monétaire, a ainsi été réduit de 0,25 point, pour atteindre 2,25 %. L’institution de Francfort, présidée par Christine Lagarde, estime que ce niveau n’est plus “pénalisant pour l’économie”. La BCE souligne toutefois que ses décisions à venir resteront dépendantes des données et seront prises réunion par réunion, sans s’engager sur une trajectoire préétablie.
Une réaction rapide à une guerre commerciale en marche
La décision s’inscrit dans une réaction directe aux droits de douane imposés début avril par Donald Trump, qui a instauré une taxe universelle de 10 % sur toutes les importations, avec des surtaxes atteignant 145 % pour la Chine. Si une trêve temporaire de 90 jours a été accordée pour les surtaxes les plus élevées, l’impact sur la zone euro est déjà palpable : les exportations automobiles européennes sont frappées d’une taxe de 25 %, et plusieurs secteurs stratégiques comme les semi-conducteurs ou la pharmacie sont désormais sous enquête.
Dans son communiqué, la BCE avertit que les perspectives de croissance en zone euro se sont détériorées sous l’effet de ces tensions. La directrice de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Ngozi Okonjo-Iweala, a quant à elle mis en garde contre les effets destructeurs d’une guerre commerciale prolongée, qui pourrait frapper durement la reprise mondiale encore fragile.
Une politique monétaire tournée vers la stabilité
Depuis l’été 2024, la BCE a abaissé ses taux à sept reprises, rompant ainsi avec le cycle de resserrement monétaire entamé deux ans plus tôt pour contenir l’inflation liée à la guerre en Ukraine et à la crise énergétique. L’idée d’une pause évoquée en mars a rapidement été écartée avec le retour du risque géopolitique et commercial. Ce virage reflète une volonté de sécuriser la reprise économique, même si certains économistes évoquent désormais un possible passage à 1,75 % dans les mois à venir.
Parallèlement, les priorités de la BCE évoluent : l’inflation dans la zone euro est en repli à 2,2 % en mars, proche de l’objectif de 2 %. La banque centrale affirme que la désinflation est “en bonne voie”, et préfère désormais concentrer son action sur la prévention d’un ralentissement brutal de l’activité.
Trump tacle la Fed, l’euro se renforce
De l’autre côté de l’Atlantique, le président Trump n’a pas manqué d’attaquer la Réserve fédérale (Fed), reprochant à son président Jerome Powell de ne pas avoir imité la BCE en abaissant les taux plus rapidement. La Fed, prudente, reconnaît que les droits de douane américains provoqueront une hausse de l’inflation, mais ne semble pas prête à assouplir sa politique dans l’immédiat.
Cette divergence transatlantique a déjà des effets sur les marchés financiers : l’euro s’est apprécié face au dollar, tandis que les rendements des bons du Trésor américain montent. La volatilité augmente, notamment sur les marchés européens, où les valeurs bancaires restent fragilisées par des taux bas persistants.
Ainsi, dans un climat où les instruments classiques de la politique monétaire montrent leurs limites face aux chocs géopolitiques, la BCE réaffirme sa volonté de soutenir l’économie de la zone euro. Mais la dépendance aux événements extérieurs, notamment aux initiatives imprévisibles de la Maison-Blanche, expose l’Europe à un risque de déstabilisation prolongée. Si l’histoire économique récente a montré que des taux trop bas pendant trop longtemps peuvent générer des déséquilibres, le spectre d’un choc déflationniste façon 2008 semble, aujourd’hui encore, hanter Francfort.
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