Société

La fabrique de l’ignorance 1/2

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Autrefois fierté nationale et fleuron de l’Etat de l’indépendance, quelques décennies de subversion idéologique et de politiques désastreuses ont fait de l’école publique l’incarnation de la défaillance de l’Etat.

Ce qui fut bâti depuis Louis Machuel, père fondateur de l’instruction publique en Tunisie il y a bientôt 140 ans et d’autres générations d’hommes et de femmes dévoués à l’école publique, a été anéanti progressivement.

A l’instar d’autres secteurs stratégiques, la décadence du système éducatif en Tunisie a s’est accélérée depuis 2011. Programmes allégés, grèves interminables des enseignants, détérioration de l’infrastructure, revendications syndicales, élèves sous-qualifiés et absence de réforme, font que le pays occupe aujourd’hui des positions inquiétantes dans les classements internationaux relatifs au secteur de l’éducation.

Le constat de ce désastre national est partagé par tous, parents, élèves et enseignants, sauf le régime.

Les volontés perverses conjuguées aux bonnes intentions stupides ont détruit l’école publique ; le but : instaurer la fabrique de l’ignorance.

Des chiffres qui révèlent le désastre

Ce n’est un secret pour personne que le système éducatif en Tunisie souffre d’un déficit structurel fondamental qui a entraîné une baisse de sa rentabilité ainsi que sa qualité. Des experts locaux et internationaux ont dénoncé les politiques désastreuses à l’origine du déclin de ce secteur, et ont mis en garde contre une baisse continue de la qualité de l’éducation en Tunisie.

Au fait, selon des chiffres du ministère de l’éducation nationale, le décrochage scolaire touche plus de 100 000 jeunes par an en 2013. Selon la direction des études et de la planification au même ministère, 60% des élèves qui abandonnent l’école le font suite à une décision personnelle, alors que 40% des abandons se font suite à des décisions légales (expulsions définitives par exemple).

D’après le rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (2016), les scores moyens en sciences sont de 386 en Tunisie (classée 65e sur 70), contre 528 au Canada (classé 7e sur 70) et 525 au Vietnam (classé 8e sur 70).

Un rapport de la Banque mondiale sur la pauvreté de l’apprentissage a indiqué qu’environ 65 % des élèves tunisiens ne savaient pas lire.

La pauvreté d’apprentissage est le pourcentage d’enfants de 10 ans qui ne peuvent pas lire et comprendre un conte simple.

L’OCDE a également confirmé dans ses statistiques que 70 % des élèves tunisiens ne maîtrisent pas les mathématiques et 70 % ne sont pas bons en sciences.

Dans son rapport sur le capital humain en 2018, la Banque mondiale a confirmé qu’un élève de première année du primaire de 6 ans devrait perdre 50 % de ses capacités et de ses économies en raison de la mauvaise qualité de l’éducation en Tunisie.

Au Vietnam, 75 % des élèves issus de familles pauvres arrivent à se hisser au rang des élèves les plus performants, alors que seulement 20 % des enfants des familles démunies en Tunisie arrivent à franchir le seuil de performance en sciences et 10 % en mathématiques (OCDE, 2016).

Le taux de redoublement est en forte hausse et atteint 34 % en Tunisie, contre 4 % seulement au Vietnam.

Le décrochage scolaire touche plus de 100 000 jeunes par an

Source : Ministère de l’Education nationale de la République tunisienne

La Tunisie a régressé au niveau de l’indice de qualité de l’éducation pour l’année 2020, et s’est classée 7e dans le monde arabe et 84e au niveau mondial, après avoir été dans les meilleurs rangs pendant des années dans la qualité de l’éducation et le classement des universités.

L’école publique vacille aujourd’hui face à des phénomènes dangereux qui menacent les élèves, comme la violence, l’indiscipline, l’alcool, la toxicomanie (cannabis), le jihadisme. Des phénomènes qui détruisent l’école publique, surtout en l’absence d’une volonté ferme et sincère de la part des décideurs.

Des moyens colossaux dilapidés

Malgré un budget monstre alloué au ministère de l’Education et correspond à 18,2% du budget général de l’Etat et 5% du PNB, ces énormes ressources sont très mal réparties avec 97% du budget affectés aux dépenses de gestion dont 93% sont alloués aux salaires, 2,5% aux services et 1,5% aux interventions publiques. Quant à la partie consacrée au développement, elle ne dépasse pas 3%.

Les débuts de la subversion : l’Arabisation

Le premier pas décisif vers la destruction de l’école publique commença dans les années 1970 et 1980, avec l’arabisation ensuite l’islamisation illicite, des systèmes scolaire et universitaire. On peut y voir le résultat à la fois de facteurs internes avec des tentatives politiciennes de l’élite au pouvoir de raviver le sentiment nationaliste, son ancien fonds de commerce, en vue de rallier une population déçue des maigres profits qu’elle a retirés de deux décennies d’indépendance, mais aussi de facteurs politiques externes tels que l’irruption des pétromonarchies sur l’échiquier maghrébin et effacer enfin les traces culturelles de la colonisation.

Feu, Mohammed Mzali, ministre de l’Éducation nationale à de nombreuses reprises entre 1969 et 1980 et premier ministre de 1980 à 1986, grand ami des pétromonarchies et des islamistes, était l’artisan de cette réforme menée avec l’appui de l’aile aux penchants panarabistes dans le parti au pouvoir, ainsi qu’avec le consentement implicite des islamistes complaisants, tous deux chauvins et haineux de la culture étrangère en général et de la culture française en particulier. Les encouragements des États arabes, pétromonarchies en tête, après le déménagement du siège de la Ligue arabe du Caire à Tunis à la suite des accords de paix de Camp David en 1979, appuyèrent la politique de Mzali. L’arabisation servait également de cheval de bataille de Mzali contre la gauche dominante à l’université et très active à l’époque dans le secteur culturel et l’enseignement. La littérature gauchiste francophone avait une grande influence sur les futures élites du pays et cela dérangeait Mzali qui brisa, avec un certain succès, cette influence culturelle et linguistique « néfaste » avec l’arabisation qui ouvra la porte à l’islamisation ensuite, qui a contribué efficacement à produire de nouvelles formes « culturelles » de contestation contre la gauche d’abord et contre le régime vieillissant de Bourguiba ensuite.

De manière précipitée, le français perd son statut de langue d’enseignement dans le secondaire. L’arabisation hâtée en 1976 de l’histoire, de la géographie et de la philosophie puis des sciences à partir de 1977 dans l’enseignement secondaire a conduit au remplacement d’un grand nombre d’enseignants tunisiens hautement qualifiés et des enseignants français par de nouveaux enseignants ayant une formation zeitounienne ou diplômés des universités moyen-orientales, et ceux-ci étaient fortement imprégnés d’idées passéistes qu’ils ont transmis à leurs élèves.

L’enseignement de la philosophie s’est également focalisé sur la philosophie arabo-islamique, matière chère à Mzali. Quant à l’éducation civique, elle a été confié à des professeurs d’éducation islamique zeitouniens pour la plupart.

Des branches entières du supérieur furent arabisées (philosophie en 1976, sciences humaines en 1977) réduisant à néant la présence du français dans l’enseignement des lettres et des humanités.

En conséquence, le début de l’enseignement du français est retardé et il n’est plus enseigné que dans une perspective fonctionnelle et comme moyen d’accès à la technologie et à la science, la littérature étant écartée corps et biens. Le début des années 1980 voit les premiers bacheliers entièrement arabisés ainsi que la montée de l’islamisme.

De fait, l’improvisation dans laquelle s’est faite cette arabisation à marches forcées a pour effet que, si les élèves qui sortent du système scolaire public sont devenus de piètres francisants, ils ne semblent guère être bons arabisants, les enseignants eux-mêmes n’ayant pas eu le temps, ni la volonté parfois, de se préparer à ce changement forcé et brutal.

Soixante-cinq ans après l’Indépendance, le système éducatif est fondamentalement, fendu en fonction de la langue d’enseignement. Ainsi, le cœur battant de l’enseignement supérieur, à savoir les formations d’ingénieur, les études commerciales et celles des professions de santé, qui ont heureusement échappé aux tentatives d’arabisation et sont restées francophones, offre des débouchés valorisants à ses lauréats ; inversement, les formations supérieures arabisées, essentiellement les sciences humaines et les études juridiques, semblent dans une mesure importante inonder un secteur public déjà saturé et alimenter les bataillions de diplômés au chômage.

Arabisation à outrance

Dans une logique jusqu’au-boutiste, l’arabisation touche de plein fouet de nouvelles matières scientifiques et sévit contre les mathématiques enseignées aux jeunes collégiens d’une façon bizarre et ironique voire ridicule. Au fait, les mathématiques sont enseignées en arabe et en français à la fois consacrant ainsi le flou linguistique programmé qui a frappé l’école publique…

À suivre …

 

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Publié par
Mohamed Ben Abderrazek