Société

Par A. Gatri : Quand festival de Carthage rime avec pillage, ou quand le ramage se transforme en déplumage

Par A. Gatri : Quand festival de Carthage rime avec pillage, ou quand le ramage se transforme en déplumage

Après les années 30 et 40, ce fut au tour des années 60 et 70 de faire l’âge d’or de la production culturelle tunisienne de qualité, faisant du festival de Carthage le plus prestigieux des festivals, où les plus grandes œuvres du théâtre national et international étaient données. Les troupes les plus prestigieuses de danse traditionnelle s’y produisaient. Les plus célèbres artistes de la terre y avaient chanté et quelques talents extraordinaires y furent révélés.

Avec des ministres de la culture qui en avaient.

Depuis Ben Ali, des essaims de criquets se sont abattus sur la scène culturelle, puisant dans le patrimoine comme on volerait dans le sandouk de sa grand-mère, servant du Mezoued et du chant maraboutique (appelé soufi pour faire classe), se spécialisant dans le réchauffé, le mettant au (mauvais) goût du jour, avec force claviers, basses, guitares électriques, synthétiseurs, sonos superpuissantes, jeux de lumière pour en mettre plein la vue, chorégraphies  de chaouch hadhra… Il ne manquait que les mangeurs de raquettes de figuier de barbarie.

En effet, avec l’arrivée de Nouba, Hadhra et leurs succédanés, qui ne furent qu’un écumage pur et simple du patrimoine, la défiguration en sus, au nom de la « modernisation », ce fut l’inauguration du règne des rapaces de la culture, à l’image de ce qui se passait au niveau politique, économique et social. Même ceux qu’on croyait au-dessus de la mêlée, les Bouchnak, Rebaï, Beji, Mosabah, Rostom, Zargouni s’y sont mis. C’est que le filon est juteux.

La mauvaise monnaie chassant la bonne, la cuvée 1980 est poussée vers la porte de sortie. Exit Mohamed Garfi, Abdelkrim Shabou, Chokri Bouzayyane, Slah Mosbah, Sawsen Hammami, Monia Bejaoui, Najet Attia, Fatma et Najoua Ben Arfa…qui sont tombés dans l’anonymat et l’amertume. Exit les opérettes, les comédies musicales, les chansons haute couture sentant la sueur, l’imagination et la recherche. Et bonjour le rboukh, la takhmira, les Kanoun, l’encens, le maraboutisme de bas étage et la facilité…, le tout aux frais de la princesse.

Les auteurs de ces forfaitures, prétentieux jusqu’au bout, encouragés par le succès de leur mascarade auprès d’une frange de la jeunesse en manque de véritables repères culturels, ont même eu le culot d’engager une série de représentations au Zénith de Paris, impliquant l’Etat et les deniers du contribuable dans cette aventure insensée. Avec la débâcle au bout de l’absurde et le retour sans gloire.

Seulement, comme pour toute association de malfaiteurs, il y a eu dispute pour le magot, frictions, puis séparation. Chacun est parti de son côté, emportant sa part, la proposant aux festivals transformés en receleurs pour l’occasion. Chacun des malfrats revendiquant pour lui seul l’authenticité de “la marchandise”, accusant les autres de spoliation.

Le pire, c’est qu’ils ont transmis le virus à leur progéniture. On a vu la fille de tel homme de théâtre, à la voix fluette et dissonante, s’essayer aux canons du dhikr et du madiih dans le spectacle de « papa ». Pourquoi recruter une chanteuse quand on en a une sous la main à la maison?

Et puis, c’est au fils d’un célèbre chanteur de s’abattre sur le filon, sous prétexte de traiter “le sujet” sous un autre angle. Au début, il nous sert un feuilleton ramadanesque plagiant le titre du spectacle vieux de 30 ans. Et aujourd’hui, il nous donne sa “relecture” du produit, re-scénarisé, réchauffé, ruminé, resservi, vomi puis ressassé, provoquant la colère mêlée d’envie des complices d’hier qui crient à l’usurpation. Au lieu de s’investir dans le futur, de proposer ses propres créations, on désosse le patrimoine.

Nos grands-parents ont eu le génie et le mérite de créer leurs propres œuvres et des répertoires faits de milliers de chansons écrites, composées par ou pour eux, chantées par eux. Les Jouini, Triki, Salah El Mahdi, Tarnane, El Wafi, Riahi, Jammoussi, Naama, Oulayya, Zouhaira Salem, Soulef, Ezzdine Idir, Mustapha Charfi, Mokrani, et j’en oublie, n’ont chanté que leurs propres chansons. Même Habbouba, Farzit et plus tard Loussif, n’ont chanté que leurs propres chansons. Les années 80 ont aussi donné leur lot d’auteurs, de compositeurs et de chanteurs à répertoire.

Avec des ministres de la culture sans relief, des directeurs de festival sans scrupules et qui sont parfois promus ministres, c’est le règne du mandarinat, du trafic d’intérêts et du renvoi d’ascenseur. Et au diable la création. Qu’auraient fait tous ces lascars si nos aïeux n’avaient pas créé ce patrimoine? Et qu’allons-nous léguer, nous autres aux générations futures?

Est-on parti pour trente autres années de Hadhra, de mezoued et de zendali? Tout porte à le croire.

Alors trêve de pillage et de plagiat. Si vous voulez inscrire vos noms dans la postérité, écrivez ou donnez à écrire des textes à des poètes et scénaristes chevronnés, composez-les, chantez-les et proposez à la jeunesse et aux tunisiens en général des œuvres de votre cru. Et surtout, laissez aux générations futures un patrimoine que vous aurez créé, à l’instar de ce qu’ont fait les ancêtres, pour qu’elles soient fières de vous. Laissez votre propre empreinte.

Nous verrons alors si vous en êtes capables et vous applaudirons.

Et n’oubliez jamais :

« Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute.
Cette leçon vaut bien un “blâmage”, sans doute ».

Abdelaziz Gatri,

activiste politique, Alliance patriotique pour l’ordre et la souveraineté (A.P.O.S)

 

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