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Par Hadi Sraïeb – Les gens ordinaires…maillon manquant de la confiance !

Par Hadi Sraïeb – Les gens ordinaires…maillon manquant de la confiance !

Redevenus des objets d’études pour les chercheurs (Maher Hanin et quelques autres), de nouvelles cibles du marketing électoral pour les partis, les « gens ordinaires » sont de retour.

Les « classes populaires », le « peuple », les « petites gens » sont subitement repassées de l’ombre à la lumière.

De très nombreux spécialistes tentent de donner corps à une nouvelle « géographie sociale » qui permet de mieux appréhender et comprendre les évolutions qui affectent nos sociétés: la crise de la représentation politique, l’atomisation des mouvements sociaux, la tendance au repli identitaire, les communautarismes, qui menacent manifestement le déploiement de la démocratie et favorisent, -a contrario-, la montée en puissance du populisme.

Mais sans doute faut-il d’entrée préciser ce dont on parle. Qui sont ces « gens ordinaires » ?

Sans plagier mais en nous s’inspirant de la définition et de la démarche de Christophe Guilluy, les « gens ordinaires », sont ceux du précariat protéiforme en extension (l’informel), les couches moyennes péri-urbaines déclassées ou en voie de l’être, les populations rurales et paysannes ! Où pour reprendre une expression à la mode : Toute la diversité de « La Tunisie d’en bas » ! Le pays profond mais invisibilisé.

Mais, soyons juste ! Une fraction de l’élite déplore la fracture sociale doublée d’une fracture géographique, sans toutefois chercher à en comprendre les effets dévastateurs, ni encore moins à en faire une priorité ! Une réprobation morale vite oubliée quand dans les régions ou localités isolées des soulèvements populaires surviennent.

Très vite alors ces population sont alors condamnées ; taxées d’incivilité et d’illégalité ! Occupation d’usines, barrages routiers, grèves sauvages…La délégitimation a vite fait de revenir en force, accusant d’attitude brouillonne et débridée ces classes populaires, les condamnant sans appel.

A l’évidence, un exercice dans lequel excellent les prescripteurs d’opinions et dans leur sillage toute la « bien pensance ».

Quand ceux-ci n’utilisent pas l’argument d’autorité, ils ont recours au reproche paralysant de « populisme » de cette population, laquelle est alors contrainte de répondre à des accusations sans rapport avec ses attentes !

Le parti pris moralisateur de bon nombre des « gens d’en haut » qui fait dire que tout ce qui contredit la modération, la bienséance, les convenances usuelles et autres arguties légalistes, est taxé d’ignorance, d’aveuglement inconscient, voire même d’extrémisme ; donc disqualifiée d’office.

Nos élites conservatrices n’apprécient pas de voir « les petites gens » surgir épisodiquement sur les devants de la scène.

Elles tentent par tous les moyens de reprendre l’ascendant. Le premier réflexe est de se moquer. La colère populaire est caricaturée et présentée comme irrationnelle. Le « petit peuple » serait enivré par le slogan “tous pourris”. Insistons ! La méthode qui apparaît la plus efficace reste la délégitimation.

Pendant les divers mouvements de protestation, cette technique éprouvée, est utilisée en dernier recours par l’invitation des « meneurs » à s’exprimer devant des caméras de télévision.

La stratégie de la prise de parole est redoutable pour les « gens ordinaires ».

En effet, les classes populaires ne maîtrisent pas la rhétorique médiatique, politique ou technocratique.

Cependant, lorsque « les petites gens » font face à des journalistes, c’est bien sur ces critères-là qu’elles sont jugées. On leur demande de développer un discours technique, de préciser des revendications, voire d’énoncer un programme politique.

Toutes choses qu’il est impossible de faire lorsqu’on n’y a pas été formé ! Désarmés, car ne maitrisant pas les codes du « bien parler », les « gens ordinaires » sont systématiquement critiqués pour leur incompétence et leur inaptitude dans ce domaine. On leur reproche donc de ne pas savoir développer une pensée structurée.

Cela permet de déplacer le sujet du cœur véritable du problème vers la façon d’en parler.

Les « gens ordinaires » et leurs représentants quand ils en ont, sont évincés et remplacés par des experts, des politiques qui viennent recouvrir leur discours par le leur.

Il suffit pour s’en convaincre d’observer la sociologie des plateaux de télévision comme de radio !

Ces experts utilisent en dernier ressort la stratégie du « c’est plus compliqué que ça » et s’illustrent dans des abstractions qui n’ont plus rien à voir avec la réalité matérielle vécue des « gens ordinaires ».

Pour preuve aussi, le pourrissement et la liquéfaction de la plupart des conflits (Volte-face, reniements, oubli des promesses) au cours de la dernière décennie.

Tant est si bien qu’aujourd’hui, la classe moyenne n’est plus qu’un mythe entretenu par les partis politiques dominants pour légitimer leurs choix: la moyennisation de la société tunisienne désormais tirée par le bas, sous l’effet de la combinaison de multiples facteurs (y compris culturel) laisse place à de nouvelles catégories fragilisées qui viennent grossir les rangs du petit peuple des territoires délaissés, pour ne pas dire abandonnés (banlieues et quartiers des pôles urbains inclus).

Une Tunisie périphérique pourrait-on dire, -sans trop forcer de trait-, qui ne croit plus au discours des partis traditionnels comme le montre la montée du populisme, terme valise utilisé souvent à mal escient, confondu manifestement avec démagogisme.

Un réel risque de divorce irréparable tend à se faire jour, et du coup, en surplomb des deux autres fractures, celui du divorce des élites conservatrices et asociales enfermées dans leur conception prétendument moderniste d’avec les « gens ordinaires » oppressés par l’insécurité sociale et culturelle croissante, se réfugiant, vaille que vaille, dans des solidarités communautaires contraintes, l’attachement à une localité ou un territoire, la préservation de leurs valeurs culturelles.

Le retour à une politique de rigueur, l’assainissement nécessaire des finances publiques comme du climat des affaires, l’éloge et la célébration des valeurs de travail et du mérite, sont vécus comme autant de discours vides de sens, loin de la réalité quotidienne des vies quand ce n’est de survie de ces « gens ordinaires » !

Les classes populaires dont les rangs sont grossis par les cohortes successives des exclus cherchent à combler le vide laissé par l’effacement de la classe moyenne.

Faute d’un objectif de bien commun, les « gens ordinaires » ont saisi le rôle possible qu’ils peuvent jouer au plan politique et électoral (internet et réseaux sociaux aidant) !

Et contrairement à ce que disent certains experts et ce que croit une fraction de l’opinion, ce ne sont pas les partis dits populistes qui manipulent les électeurs par de fausses promesses.

Ce sont les classes sociales populaires qui instrumentalisent du mieux qu’elles peuvent ces partis et en font des outils d’expression. Hermétiques aux idéologies, les « gens ordinaires » cherchent avant tout à affirmer leur existence (leur besoin de reconnaissance), à refuser l’effacement progressif du bien commun (recul délibéré des services publics), à exiger des régulations plus nombreuses comme solution à la précarité et à la paupérisation, comme à la préservation de leur authentique capital culturel (non folklorisé)

Ne pas entendre tout cela est dangereux ! Le continuum social fondé habituellement sur un bien commun et des valeurs partagés, risque fort, -si l’on n’y prête pas garde-, de voler en éclat.

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie de développement.

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