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Par Hadi Sraïeb – Préserver l’eau: notre bien commun !

Par Hadi Sraïeb – Préserver l’eau: notre bien commun !

Le cycle de l’eau est manifestement perturbé par le changement climatique, une menace majeure pèse désormais sur l’accès à l’eau.

On le savait déjà depuis quelques temps ! Mais on a pu s’en rendre compte avec une acuité renouvelée, cet été, tant à l’échelle mondiale, que sous nos cieux, avec la multiplication des coupures et la dégradation de la qualité de l’eau ! Sans doute faut-il rappeler cette évidence : 3 jours sans eau et nous sommes morts ! L’eau est indispensable à la vie, à la santé, au développement économique.

De fait et comme partout, le dérèglement climatique va complexifier la gestion de l’eau du fait d’une alternance hiératique et imprévisible de périodes de sécheresse suivies de pluies diluviennes dévastatrices !

Indispensable à toutes nos activités, les différents usages de l’eau en Tunisie se situe dans la moyenne mondiale, soit de l’ordre de : 72% pour l’agriculture 18% pour l’industrie et le tourisme, et 10% pour les besoins domestiques.

A une différence notable près avec les pays les mieux dotés : La Tunisie est déjà sous stress hydrique, -autour de 450 m3 par personne et par an-, alors que les pays du nord disposent en moyenne de près de 1500 m3/hab./an, mais là aussi, sans doute, plus pour longtemps !

Le droit à l’eau et à l’assainissement de qualité a été reconnu comme un droit humain fondamental par les Nations Unies en 2010, mais sans que l’on y retrouve une trace effective dans notre nouvelle constitution.

En dépit des nombreuses alertes de nos spécialistes, et de quelques avancées financées par les institutions financières internationales, la gestion de l’eau et plus précisément la maitrise du cycle de l’eau ne semble toujours pas une priorité nationale ! Ce bien commun doit être préservé de l’épuisement et des pollutions. Pourtant les derniers événements devraient inciter à une prise de conscience plus aigüe !

Les risques de sécheresses plus intenses et plus longues avec leur cortège de calamités (incendies, non recharge des nappes phréatiques, incidence indirecte sur certaines filières telles celle du lait) vont s’aggraver.

De même, les risques d’inondation affectant les biens comme les personnes vont croitre significativement. Du fait de pratiques inadaptées, la capacité d’absorption des sols agricoles qui ne cesse de se dégrader, va inévitablement entrainer une augmentation du ruissellement.

Plus généralement l’artificialisation-imperméabilisation des sols (urbanisation non maitrisée) comme le recul des moyens consacrés au renouvellement et à la modernisation des infrastructures de stockage, de distribution, de traitement et de recyclage vont engendrer inexorablement une raréfaction (artificielle car impensée) de la ressource commune !  

A tous ces effets non véritablement pris en compte, s’ajoute la question cruciale de la qualité de l’eau et singulièrement de sa potabilité !

Si l’eau impropre à la consommation demeure une calamité oubliée des autorités, -pour de nombreuses populations-, celle-ci ne devrait pas masquer l’inaction coupable tant en matière de prélèvements inconsidérés (multiplication débridée de forages de puits) que de rejets croissants d’eaux usées et de déchets, anarchiques et totalement incontrôlés. Il est vrai que les rares stations d’épuration (près de 70) ne traitent que le tiers des eaux usées !

Ce à quoi il faudrait ajouter une dégradation continue de la dite eau potable qui, -il est vrai-, fait quelques heureux, les producteurs d’eaux minérales. L’utilisation de produits chimiques en est la principale cause. Seulement quelques pesticides, biocides, perturbateurs endocriniens, et autres résidus de l’activité industrielle et agricole, sur la centaine existants, sont recherchés dans l’eau potable par les autorités sanitaires.

Pas étonnant que nos compatriotes se soient mis à boire de l’eau dite minérale !  La diversité des agents polluants, leur présence à faible concentration, leurs métabolites de dégradation et leurs possibles interactions sont de réelles menaces pour la santé humaine. Mais il est vrai que nous n’avons aucune police de l’eau ! Tout juste une poignée d’inspecteurs disséminés au Ministère de la santé ou à la SONEDE !!

Il y aurait aussi beaucoup à dire, -même si l’espace imparti ne le permet pas-, sur l’absence de raccordement direct à l’eau de près de 15% de la population (zones périphériques et rurales) et sur la vétusté grandissante des réseaux de canalisation (milieux urbains).

Le pays a pris, -à cet égard-, un retard considérable difficilement rattrapable compte tenu des coûts exorbitants de renouvellement des infrastructures et des systèmes de gestion. La détérioration imperceptible des réseaux couplée à une rareté relative, mais en augmentation, de ce bien commun pourrait, -de ce fait-, aiguiser les appétits des entreprises privées spécialisées dans sa gestion.

Il y a bel et bien un marché de l’eau !

Les velléités de chercher à exploiter et à rentabiliser ce marché sur tout le cycle de l’eau sont encore discrètes, mais avancent sous la forme de proposition de type PPP. Le Conseil Mondial de l’Eau, piloté par les Majors, organise ce lobbying public-privé !

Il ne tardera pas à se montrer en Tunisie (Véolia, Suez) d’autant plus vite que l’entreprise nationale SONEDE, connait la pire crise de son histoire, qui se retrouve en quasi-banqueroute ! Dès lors, le droit à l’eau potable risque fort de devenir subordonné aux exigences de rentabilité. Une nouvelle sélection par l’argent se mettrait ainsi en place. Comment éviter cette fuite en avant et éviter que l’eau ne devienne à son tour une marchandise banalisée alors même qu’elle constitue un bien commun inaliénable ?

De nombreux travaux, -bien documentés par des spécialistes aguerris- ont été consacré à cette ressource vitale. Ils débouchent sur des propositions de plans mais qui ont le plus grand mal à être mises en œuvre, d’autant que le dérèglement climatique et son réchauffement se sont désormais invités dans les débats !

Ces recommandations bien trop volontaristes préconisent depuis plusieurs années de faire passer le taux de mobilisation des ressources en eau disponible de 80% à 95%. Une gageure quand on connait le coût faramineux de cette mise à niveau (barrages, canalisations, conduites etc…). Peu réaliste !

Les experts, -pas tous unanimes-, prônent le développement des ressources en eau non conventionnelles, par le biais des techniques de dessalement.

Une fuite en avant technologique (osmose inverse, basse pression) dangereuse, car onéreuse, énergivore et polluante à souhait ! Ces travaux et les plans qui en découlent exhortent, peut-être faudrait-il dire, prêchent, pour une meilleure maitrise de la « demande », en d’autres termes pour lutter contre la surexploitation et les gaspillages d’eau, sans pour autant préciser ce que serait une véritable politique d’économies d’eau !

Au total, cette stratégie inchangée depuis plus d’une décennie, met l’accent sur les mesures de transfert (zones excédentaires vers les zones déficitaires) et de régulation entre les années sèches et humides (stockage), ainsi que sur le déploiement de mesures de conservation des sols et de recharge des aquifères.

A l’évidence, une approche qui au-delà des bonnes intentions ne résiste pas à l’épreuve des faits, en l’occurrence au bouleversement climatique.

Que convient-il de faire, au-delà des mesures techniques ?

Privilégier les solutions de gestion équilibrée et plus économe de la ressource en eau plutôt que de rechercher en vain à augmenter significativement les prélèvements (même si quelques avancées peuvent encore être réalisées). Pour se faire il conviendrait de soustraire certaines prérogatives du Ministère de l’Agriculture pour les confier à un haut-commissariat du droit à l’eau.

Un commissariat qui serait en charge de la protection du cycle de l’eau et de la prévention des sécheresses et des inondations. Ses missions couvriraient l’eau potable, l’assainissement, le recyclage des eaux usées et de l’intrusion des eaux salines, la gestion des eaux souterraines. Il serait constitué par les différents types d’usagers, des représentants des collectivités et des acteurs de l’eau (SONEDE-ONAS, GDA).

Il disposerait des effectifs d’une police de l’eau pour contrôler plus strictement les prélèvements et empêcher les pollutions industrielles ou agricoles.

Un commissariat qui aurait vocation également à rendre des avis sur le financement de la politique de l’eau, sur une meilleure péréquation nationale afin d’harmoniser les tarifs de l’eau potable et de l’assainissement qui peuvent diverger en raison des situations géographiques différentes.

Il pourrait aussi proposer une progression du taux de droit à la consommation de la vente de l’eau dite minérale pour financer les mesures en faveur du droit universel à l’accès à l’eau potable, ou bien encore d’une modulation de la taxation selon les usages différenciés industriels ou domestiques, pénalisant les mésusages. Tout cela peut paraître très théorique et vain, mais mériterait qu’on s’y attarde et qu’il en soit débattu !

Après tout, l’ONU, n’avertissait-il pas en 2021 : « la sécheresse est sur le point de devenir la prochaine pandémie et il n’existe aucun vaccin pour la guérir ». A bon entendeur !

 

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement

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