Ennahdha n’est pas fini !
Ceci qui suit n’est pas une métaphore.
Le chef du chantier l’avait affecté, de jour, à la plus basique tâche sur l’échelle de la maçonnerie et de nuit, au poste de gardien du chantier. Il était appliqué à la tâche de jour comme de nuit. Cheveux châtains et les yeux bleus comme on peut en voir beaucoup du côté de Bizerte et de ses faubourgs, du Kef aussi, le jeune maçon, 25 ans tout au plus, régalait ses compagnons de chakchouka qu’il préparait tôt le matin et laissait mijoter sur un feu de bois dans un coin éloigné du chantier. C’est dire que tout le monde l’aimait. Il s’était même fait des « amis » dans tout le voisinage pour le moins huppé. Il était serviable et surtout très…silencieux.
Le maître d’ouvrage que j’étais et qui passait presque quotidiennement « inspecter » l’état d’avancement des travaux n’a tout naturellement pas manqué de distinguer du lot ce jeune maçon atypique à bien des égards. En Europe, on l’aurait aisé ment pris pour un Belge ou un néerlandais, il y aurait sans doute fait indifféremment carrière dans la haute gastronomie, dans la marine ou dans les services de renseignement.
On était au mois de juin et le sujet à polémique du mois dans le pays était le rapport de la commission Colibé sur l’égalité homme-femme. Un rapport qui allait bientôt être soumis à l’initiateur de ladite commission, le président de la République en personne, feu Beji Caïd Essebssi. Sur la question, la Tunisie était divisée en deux de la même et exacte manière qu’elle l’avait été au sujet de l’article 1 et 6 de la Constitution (civilité de l’État, liberté de conscience…). Fomentées par Ennahdha, ces deux déchirures de la société avaient à chaque fois profité au parti islamiste qui de surcroît et à chaque fois su rallier à lui des voix parmi des partis politiques historiquement de gauche et d’autres dits progressistes.
De passage au chantier en ce mois de juin, j’eus la grande maladresse et peut être aussi la naïveté de converser avec le jeune maçon sur un sujet qui pour une fois sortait des sentiers battus de la maçonnerie : la Colibé et l’égalité homme-femme. Le jeune calme et silencieux que je croyais connaître jusque-là, m’était sur le coup devenu terriblement autre. « Ce vieux de Beji, il délire. L’égalité homme-femme, c’est du délire. C’est un sacrilège. Le Coran et les hadiths sont contre. Vous savez, dans mon bled, la femme est battue par son mari, par son père, par son frère et même quand il le faut par le voisinage sous le regard complice, oui complice, de sa mère. Et ce n’est que justice. C’est la volonté de Dieu… »
Médusé, je n’ai pas cherché à comprendre. Peine perdue. En quittant d’aussitôt le chantier, je lui ai tout de même renouvelé les mots conventionnels : ‘prends bien soin de toi et des lieux, au moindre problème tu m’appelles et tu appelles le chef du chantier ’.
Ces cinglants et francs propos d’un jeune tunisien aujourd’hui en âge de voter, j’y penses encore aujourd’hui, quatre ans plus tard. Aujourd’hui tout particulièrement, au moment où le pays se prépare à la tenue d’un référendum, prévue pour le 25 juillet. Un référendum qui va peut-être porter, en bloc, sur trois questions : la révision de la Constitution de 2014, le régime présidentiel et le Code électorale.
Une question : combien seront le 25 juillet prochain les jeunes Tunisiens en âge de voter à l’image du jeune très discret maçon ?
Son chef et ses acolytes sont absolument rejetés par le peuple mais ce n’est absolument pas une raison suffisante pour penser que le parti islamiste Ennahdha est fini. Beaucoup de jeunes n’ont pas connu le grand leader Habib Bourguiba, d’autres avaient été mis à la marge par Z.A. Ben Ali, tous avaient été endoctrinés et embrigadés onze ans durant par le mouvement islamiste.
Le 25 juillet prochain, il faudra peut-être s’attendre à une grande surprise. La misère que vivent beaucoup de jeunes, la latente gronde de la société et la manifeste déliquescence de l’autorité de l’Etat font craindre en effet le pire.
Jawhar Chatty
PS/
1. Les considérations qui précèdent n’ont qu’une valeur d’alerte
2. Tel qu’il est prévu, le projet du nouveau Code électoral (scrutin uninominal) fera forcément l’affaire d’Ennahdha.
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