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Qu’arrivera-t-il à la Tunisie si Saied brûle les feux rouges de l’UE et des USA?

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“Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément“, a dit le poète français Nicolas Boileau. Le moins qu’on puisse dire est que les projets du chef de l’Etat, Kais Saied, ne sont pas clairs. Si ça fait autant de bruit, jusque chez les partenaires étrangers et si ses soutiens se donnent autant de mal pour expliquer les intentions de Saied c’est bien parce qu’il y a un gros souci avec la transparence de sa démarche. D’où d’ailleurs l’insistance des députés européens pour un “Dialogue national inclusif”. De l’autre côté de la Méditerranée – en France – on a coutume de dire “quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup”. Et là le loup on le voit, il est gros comme une maison. Mais cela ne veut pas dire que tout ce raffut stoppera le train présidentiel, bien au contraire. D’une certaine façon il est même obligé de foncer à toute allure. La question est de savoir s’il y a un prix à payer…

Des malformations congénitales à la pelle depuis 2011

Le jus est tiré il faut le boire, à moitié, à 3/4 mais il faudra le boire. Pas plus tard qu’hier lundi 30 mai Me Brahim Bouderbala, le bâtonnier de l’Ordre des avocats, un des soutiens les plus zélés du président de la République, est monté au front pour tenter d’expliciter la démarche de Saied. On a appris au passage que l’occupant du palais de Carthage a enterré un projet qui lui était cher : La démocratie par la base. Le chef de l’Etat est en train de faire la douloureuse expérience du changement, dans un pays bouillonnant politiquement et que le camp adverse a miné au nom d’une démocratie dans laquelle on est entré par la mauvaise porte…

Pour comprendre les problèmes de la Tunisie et de la difficulté à y opérer des changements il faut remonter aux origines de la transition démocratique, quand Ennahdha et compagnie – la Troïka, les mêmes qui crient encore – ont embarqué le pays dans le système le plus compliqué au monde : le régime parlementaire. C’est un système qui n’est appliqué nulle part en Afrique, même dans les pays plus avancés démocratiquement que la Tunisie. Quant au reste du monde, on voit les problèmes que ça pose en Italie, en Belgique ou encore en Espagne – pour ne citer que ceux-là -, avec des crises politiques à répétition. Mais si eux peuvent y survivre et même rester jusqu’à deux ans sans gouvernement – c’est arrivé en Belgique -, en vertu de la solidité de leurs institutions, la jeune démocratie tunisienne ne peut pas en dire autant.

L’autre boulet de la Tunisie c’est ce dont parle tout le monde en ce moment : le Dialogue national. Ce n’est pas une invention tunisienne mais le pays du jasmin en a usé et abusé depuis la dite Révolution, jusqu’à lie, perdant un précieux temps en conciliabules et autres savants calculs politiciens pour partager le gâteau. On se plait à dire – je parle de l’UGTT – que le dialogue a tout de même apporté à la Tunisie un prix Nobel de la Paix en 2015, mais si cette recette miracle avait fonctionné on n’aurait pas eu le Pacte de Carthage 1 puis le 2. Si ça avait marché on n’aurait pas eu le projet innommable de Kais Saied qu’il essaye maladroitement de vendre aux citoyens tunisiens et aux partenaires étrangers.

Comment tout ce bouillonnement se terminera ?

Et bien la messe a été dite par la délégation des parlementaires européens en avril dernier, après le quitus de la France. Ce sont les élections de décembre 2022 qui redessineront l’avenir de la Tunisie. C’est même plus important que toute cette agitation autour du référendum, de la réécriture de la Constitution, etc. Il ne faut jamais  oublier que ce qu’une main a fait une autre peut le défaire. Si le successeur de Kais Saied et le peuple jugent que la Tunisie est allée trop loin ou pas assez, des inflexions et correctifs seront apportés dans le texte fondamental. Ce n’est même pas un débat…

Par contre l’état dans lequel le président de la République laissera le pays ça c’est important. On peut douter de tout sauf de sa volonté de changer les choses et de laisser la Tunisie dans un meilleur état qu’il l’a trouvé. Au passage il aimerait certainement écrire son nom en lettres d’or dans les annales de l’Histoire. Ça compte beaucoup pour tout chef d’Etat digne de ce nom, mais est-ce que Saied a les moyens de marquer positivement la trajectoire de la Tunisie ? C’est cela la vraie question…

Ce qu’on sait, en l’état, c’est qu’il peut s’adosser sur une popularité qui ne s’est jamais démentie, malgré quelques fléchissements. C’est même le dirigeant le plus populaire de l’après-Révolution, une popularité dans la durée qui plus est. Mais c’est cette même popularité qui le condamne à l’action et au succès. Si les Tunisiens ont choisi un iconoclaste qui n’a aucun lien avec le personnel politique, qui n’a dans son passé aucun compromis ou compromission avec les politiciens honnis c’est bien pour qu’il y ait une rupture nette avec tout le système de l’après-Ben Ali. Et c’est ce préjugé favorable, cette capacité à raser net et à nettoyer au karcher qu’on lui prête qui expliquent la cote de confiance de Saied…

Il est interdit au président de la République de reculer sur ses promesses électorales, de trahir la parole qu’il a donnée et qu’il réitère à chacune de ses apparitions, et le partenaire européen ne l’ignore pas. Les Tunisiens y croient. C’est une force pour Saied, ça le porte mais c’est aussi un sacré sacerdoce. Il est le seul à ne pas avoir droit à l’échec. C’est valable pour ses électeurs, pour l’écrasante majorité des citoyens mais aussi pour les partenaires étrangers. Tout le monde l’attend au tournant. Son crédit court jusqu’à fin 2022. S’il n’arrive pas à remettre le pays en orbite, économiquement, socialement et politiquement, ses soutiens, d’ici et d’ailleurs, se feront un malin plaisir de lui présenter la facture de ses promesses et engagements. Et l’addition sera très salée.

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