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Texte de Slim Laghmani de son intervention à la présidence du Gouvernement

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Le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi a reçu ce matin, en présence de son chef de cabinet, Moez Mokaddem et de son conseiller juridique, Nabil Ajroud, des professeurs et des juristes au palais du gouvernement à la Kasbah afin de trouver des solutions juridiques en vue de résoudre le blocage du remaniement ministériel. Slim Laghmani a publié sur sa page Facebook le texte de son intervention à la présidence du Gouvernement. Il a commencé par regretter (comme d’autres intervenants) l’absence de certains collègues et nommément de Amin Mahfoudh:

  1. La crise actuelle ne peut être résolue par des opinions doctrinales ni par des avis consultatifs ni par l’intervention d’une IPCCPL manifestement incompétente. Le refus de témoigner du serment a, éventuellement, comme solution la théorie des formalités impossibles, mais ne règle en rien la question du refus de la nomination des ministres qui ont obtenu la confiance de l’ARP. Le fait est que, au-delà du droit, rien ne peut contraindre le chef de l’Etat à nommer les ministres qui ont reçu la confiance de l’ARP.
  2. La question de la constitutionnalité du refus par le président de la République de la nomination des ministres et de l’audition de leur serment ne peut être détachée de la question de la constitutionnalité de la confiance parlementaire accordée à la suite d’un remaniement ministériel. Je suis convaincu que le chef de l’Etat considère que ces refus sont des « contre-mesures », au sens du droit international, décidées en réaction à l’inconstitutionnalité du vote de confiance qui les a précédés et déterminés et donc de l’inconstitutionnalité de l’article 144 du règlement intérieur de l’ARP.
  3. L’ambivalence relative aux remaniements ministériels n’est pas due au texte de la Constitution mais à son silence. La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 ne traite pas, d’une manière complète, des remaniements ministériels c’est-à-dire de la modification partielle de la composition d’un Gouvernement. Il y a là une lacune, une lacune probablement volontaire qui s’est imposée faute d’accord.

La Constitution tunisienne traite de la confiance accordée au Gouvernement (article 89) ou retirée à un Gouvernement ou à un de ses membres par l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) (article 97). Elle dispose également que le président du Gouvernement est compétent pour démettre ou décider de la demande de démission d’un ou de plusieurs membres du Gouvernement (article 92). Par analogie avec la constitution du Gouvernement initial, on doit conclure que c’est le président du Gouvernement qui choisit les nouveaux ministres, mais la Constitution ne traite nulle part de la question de savoir si les nouveaux ministres doivent ou non obtenir la confiance.

Le règlement intérieur de l’ARP dispose, dans son article 144 paragraphes 2 et 6, que tout remaniement ministériel doit être soumis à l’ARP qui accorde la confiance à chaque nouveau ministre pris individuellement par un vote à la majorité des membres de l’ARP. La question est donc de savoir si le règlement intérieur de l’ARP a comblé une lacune en mettant en œuvre le principe du parallélisme des formes et des procédures (preater legem) ou s’il a violé la Constitution (contra legem).

La réponse à cette question dépend du sens que l’on donne au vote de confiance. Plus précisément la question est de savoir si la confiance est accordée à chacun des membres du Gouvernement ou au Gouvernement dans son ensemble.

– Si elle est accordée au président du Gouvernement et aux différents ministres qui composent le Gouvernement, un vote de confiance s’impose même en cas de remaniement partiel. Mais il faudrait pour cela que le vote initial de la confiance au Gouvernement soit individuel et non collectif, or ce n’est pas le cas: Le dernier paragraphe de l’article 143 du règlement intérieur de l’ARP qui traite du vote de confiance initial prévoit que la confiance est accordée en un seul vote à l’ensemble des membres du Gouvernement .

– Si au contraire la confiance est accordée au Gouvernement afin de mettre en œuvre sa politique et tant que cette politique ne change pas aucun vote de confiance n’est nécessaire, le président du Gouvernement étant seul juge des personnes à même de la réaliser. Or, l’article 89 paragraphe 5 de la Constitution dispose : « Le Gouvernement présente un exposé sommaire de son programme d’action devant l’Assemblée des Représentants du Peuple afin d’obtenir sa confiance à la majorité absolue de ses membres. » C’est donc à la politique du Gouvernement, à « son programme d’action » que la confiance est accordée. Ce qui signifie que la modification partielle de la composition du Gouvernement sans changement de sa politique ne requiert pas un vote de confiance. De ce point de vue, l’article 144 du règlement intérieur de l’ARP est inconstitutionnel.

– Une troisième possibilité serait de considérer que la procédure consacrée par l’article 144 du règlement intérieur de l’ARP s’est transformée à la suite d’une pratique conforme en une coutume constitutionnelle. C’est un fait que l’article 144 a été mis en œuvre par l’ancien président du Gouvernement Habib Essid qui avait opéré, le 6 janvier 2016, un remaniement ministériel. Le lundi 11 janvier 2016, l’ARP avait voté de confiance aux nouveaux ministres à titre individuel conformément à l’article 144 du règlement intérieur de l’ARP. Elle a également été mise en œuvre par son successeur à la tête du Gouvernement, M. Youssef Chahed, le 11 septembre 2017 et le 12 novembre 2018. Mais là aussi il faudrait qu’un tiers impartial décide que cette pratique s’est transformée en coutume.

  1. Ma proposition, à défaut d’un règlement politique de la crise à l’initiative du chef de Gouvernement, est que le chef de l’Etat et le chef du Gouvernement concluent une convention d’arbitrage. Il y a bien des arbitrages entre Etats pourquoi n’y aurait-il pas d’arbitrage pour régler un litige entre des pouvoirs constitués ?

Le chef de l’Etat et le chef du Gouvernement proposeraient, chacun, cinq noms. Si un même nom se trouve dans les deux listes, il sera arbitre unique. S’il s’en trouve deux, ils se réuniront pour choisir un surarbitre. S’il s’en trouve trois, ils choisiront parmi eux un président. S’il ne s’en trouve aucun, les premiers noms figurant dans chacune des deux listes seront désignés comme arbitres et choisiront un surarbitre. Tout cela dans un délai de deux jours à partir de l’acceptation de l’arbitrage par les deux parties.

Le chef de l’Etat et le chef de Gouvernement présenteront leur mémoire dans un délai de trois jours à partir du jour suivant la constitution de l’instance arbitrale

L’instance arbitrale rendra sa décision dans un délai de trois jours à partir du jour suivant la réception des deux mémoires ou du second mémoire

L’instance arbitrale se prononcera sur la constitutionnalité de l’article 144 du règlement intérieur de l’ARP, le refus de recevoir serment et le refus de la nomination des ministres auxquels la confiance a été accordée.

Si l’article 144 est déclaré inconstitutionnel, il demeurera en vigueur, mais le chef du Gouvernement renoncera à l’actuel remaniement. Si l’article 144 est déclaré constitutionnel, le chef de l’Etat procédera le jour suivant la décision arbitrale à la nomination des ministres et à l’audition des serments.

 

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Publié par
Tunisie Numérique