Il existe aujourd’hui une opinion communément admise chez les Tunisiens qui trouvent que si la corruption qui a sévi pendant le règne de Ben Ali s’est aggravée et s’est propagée de façon endémique depuis 2011 au point de devenir un fléau socio-culturel difficile à éradiquer.
Les dommages sociaux, politiques et économiques de la corruption sont difficilement réparables et son impact incalculable. En outre, la corruption érigée en système a créé une atmosphère de laxisme et de négligence généralisée qui finissent ce que la corruption a commencé.
Les archives : un secteur oublié par l’Etat mais convoité par d’autres
L’État en Tunisie génère via ses différentes administrations, ministères et entreprises publiques une masse très importante de documents administratifs chaque jour, tels que les rapports, les correspondances, les factures, les formulaires, les contrats et bien d’autres encore qui nécessitent des quantités importantes de papier pour être imprimés.
Une grande partie de ces documents produits dans le cadre de des activités administratives est conservée en tant qu’archives pour être consultée en cas de besoin. Bien que de nombreuses administrations aient mis en place des initiatives pour réduire leur consommation de papier, telles que la numérisation et la réduction du nombre des documents administratifs, l’État reste le premier producteur de documents et le premier consommateur de papier du pays.
Toutefois, cette situation représente une véritable aubaine qui suscite la convoitise de gangs qui, prétextant le recyclage d’une partie de cette masse colossale de papier, s’en emparent et la transforment en une véritable manne financière à leur profit et en privent l’Etat.
Des mafias pillent les archives
Tout comme le reste des secteurs, les archives, bien que négligées par les gouvernements après 2011, elles n’ont pas échappé aux mafias qui cherchent à exploiter de nouvelles niches de profit illégal.
Un cas de pillage et de malversation dans le secteur des archives a été révélé par une émission télévisée d’investigation d’une chaîne privée, le 11 janvier 2018, qui a dévoilé l’implication d’un responsable du ministère de la Santé dans la vente d’archives hospitalières, moyennant des sommes importantes d’argent à une société privée pour les « recycler ».
Selon des témoignages concordants de certains des collègues au ministère de la Santé présentés dans l’émission sous couvert de l’anonymat par crainte de représailles, ce responsable et ladite société ont commis de graves abus étant donné que les archives en question sont couramment consultées par les services médicaux des hôpitaux et que leur destruction cause un grand préjudice aux malades et aux services médicaux qui se trouvent obligés de refaire des examens coûteux afin d’assurer le suivi de leurs patients.
La même source a souligné que le « responsable » percevait 250 dinars pour chaque « cargaison » d’archives depuis l’hôpital Farhat Hached uniquement, notant que 3 camions en moyenne, transportaient ces archives quotidiennement, sans parler du reste des hôpitaux, ajoutant que parfois des archives courantes sont transférées, ce qui est interdit par la loi. Une fois ces dossiers médicaux triés, les documents papier sont destinés à être recycler en carton quant aux radiographies, elles sont traitées afin d’en extraire l’argent, d’où cet engouement et cette convoitise des archives hospitalières. Une affaire, entre autres, dont on ne connaît pas la suite et dont les protagonistes séviraient encore.
Selon certains observateurs, un volume important d’archives publiques est cédé « gratuitement » ou presque causant ainsi des préjudices financiers et administratifs à l’Etat difficilement calculables. Combien d’archives ont été vendues et détournées sous prétexte de les faire recycler ? Dieu seul le sait.
Le feu et la négligence ravagent les archives
Outre ces mafias qui pillent les archives en toute impunité, c’est le feu qui fait ravage et détruit des dossiers et des documents précieux pour le fonctionnement normal des services de l’Etat.
Mercredi 3 mai courant, un incendie s’est déclenché au niveau de la buvette de la banque Zitouna au rez-de-chaussée, puis a gagné les étages supérieurs selon une source officielle. Les dégâts matériels sont très importants et un volume indéterminé de dossiers aurait été détruits. Une enquête a été ouverte pour déterminer les causes de cet incendie, selon des sources officielles.
Malheureusement, cet incendie n’est pas une exception. En effet, deux incendies se sont déclarés, 14 mai 2022, dans les sièges de la CNAM e de la CNRPS à Tunis. Plusieurs véhicules de pompiers ont été nécessaires pour venir à bout des flammes.
Le ministre des Affaires sociales, Malek Zehi, a assuré aux médias que l’incendie était dû à un court-circuit, et qu’il a occasionné d’énormes pertes notamment en ce qui concerne les équipements électroniques des deux caisses.
Le 15 novembre 2022, un incendie s’est déclaré dans une partie de l’hôpital Habib Thameur à Tunis dans une salle d’archives d’une superficie d’environ 400 m². Les archives des malades sont parties en fumée.
A cette triste affaire s’ajoute un autre incendie qui est survenu le 6 avril 2023 à Gabès. La protection civile avait alors annoncé que ses agents étaient parvenus à venir à bout d’un incendie, qui s’est déclaré dans un entrepôt de la douane au port de Gabès. Les pompiers sont intervenus, indique la protection civile en ajoutant que les flammes ont touché 3 bureaux d’archives, 7 véhicules totalement détruits et 3 autres partiellement incendiés. En attendant des enquêtes qui concluraient à une fatalité ou une négligence qui resteront, certes sans suite, des archives précieuses sont parties en fumée.
Les Archives Nationales de Tunisie absentes ou presque
A l’instar de nombreux domaines, la Tunisie dispose d’un corpus légal riche en matière d’archives. Ainsi, le secteur est organisé par la loi n° 88-95 du 2 août 1988 relative aux archives. En vertu de cette loi, les Archives Nationales de Tunisie, un établissement public à caractère administratif sous la tutelle de la Présidence du gouvernement a été créé et chargé de sauvegarder le patrimoine archivistique national, de collecter, conserver, organiser et mettre à disposition tous les fonds d’archives des services et organismes visés par la loi.
Selon la loi, les archives nationales fournissent aux services et organismes visés à l’article 3 de la loi, l’assistance technique en matière d’archives et sont censés contrôler les conditions de conservation des archives courantes et des archives intermédiaires des dits services et organismes et assurer la collecte, la conservation, le traitement et la communication des archives définitives de ces mêmes services et organismes.
Cependant, malgré ses nombreuses missions et son vaste champ d’action, il semble que les Archives nationales n’aient pas pris assez de mesures pour assurer un contrôle et une supervision adéquate du secteur. Au fait, malgré de multiples incidents, incendies et affaires qui ont secoué le secteur des archives, les Archives nationales de Tunisie ont publié, le 17 mars 2023, un simple communiqué qui rappelle un autre déjà publié début août 2021, qui s’est voulu rassurant quant aux « rumeurs sur les soupçons de destruction de documents publics liés aux communes » et « appelle tous les agents de l’Etat à protéger les documents qu’ils créent ou obtiennent dans l’exercice de leurs fonctions et à signaler tout acte susceptible de détériorer les documents administratifs. Dans ce même communiqué, les Archives nationales de Tunisie « appellent également les citoyens “à la prudence et à ne pas se laisser influencer par des informations liées au sujet sans vérification … ».
Cependant, ce communiqué n’indique en aucune façon que des mesures ont été prises pour protéger les archives contre les incendies qui les ont détruites à maintes reprises, ni toute autre mesure préventive contre le vol ou le détournement des documents publics.
Triste constat
Les incidents récents ont mis en lumière l’absence d’un vrai suivi dans un secteur très important, à savoir les archives. Cette situation est d’autant plus préoccupante que certains individus auraient essayé ou essayeraient en volant les archives ou en les détruisant de dissimuler des preuves de mauvaise gestion.
Il semblerait que certains aspects échappent au contrôle des Archives nationales de Tunisie, et que les « mesures » réduites à un simple communiqué sur son site web ne suffisent pas à arrêter les malheurs de ce domaine et des graves problèmes dont il souffre notamment après 2011.
Toutefois, les conséquences pourraient s’avérer préoccupantes : une collecte insuffisante de documents d’archives, une gestion lacunaire des archives publiques, ou encore une transparence limitée en termes d’accès à l’information.
Il convient ainsi de s’interroger sur les différentes causes à l’origine de cette situation, et d’envisager des solutions concrètes pour garantir la préservation et l’accès aux archives, pierres angulaires de la mémoire et de la culture nationales.
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