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Par Hadi Sraïeb – Refonder le pacte social : Clé de voûte du redressement et de la marche en avant !

Par Hadi Sraïeb – Refonder le pacte social : Clé de voûte du redressement et de la marche en avant !

Le pays est en panne…. dit le  bon sens de nos compatriotes ! Nul besoin d’une extrême sophistication pour constater tout à la fois, une économie amorphe, des conditions d’existence malmenées, une protection sociale en grande difficulté, mais plus gravement encore une totale absence de perspective ! Déconvenue, amertume, apathie, ont progressivement envahi tout le corps social !

Ce n’est pourtant pas faute de tenter d’y remédier ! Élites intellectuelles en tous genres comme toutes les formations politiques semblent dans l’incapacité d’imaginer et de formuler la moindre réponse !

Chacun, bien sûr, y va de sa recette ! Les oracles, devins, experts en formule-choc se sont multipliés !

Les différents gouvernements qui se sont succédé ont bien tenté aussi de remédier à cette léthargie généralisée. Ils ont invariablement et continuellement pointé « la confiance » et « le climat des affaires » comme le nœud gordien et la clé de voûte du marasme ambiant.

Un verrou qu’il convenait de faire sauter de façon à libérer les énergies et la reprise économique, affirmaient-ils de manière récurrente ! Pouvoirs législatif et exécutif se sont donc attelés à la tâche afin de dépoussiérer et rajeunir l’arsenal juridique et réglementaire de l’entreprise (nouveau code de l’investissement, harmonisation fiscale on-shore-off-shore, loi sur les PPP, etc…) mais également en redoublant d’efforts afin de susciter la venue des fameux investissements directs étrangers IDE : (conférence sur l’investissement Tunisia 2020, multiplication des rencontres, colloques et séminaires généralistes ou sectoriels déclinant primes à l’investissement et à l’employabilité, avantages fiscaux, subvention aux infrastructures lié à l’investissement…le liste est bien trop longue).

A l’évidence rien n’y fait ! Le taux d’investissement national demeure dramatiquement en dessous de son rythme de croisière (18% au lieu des 25% habituels) mais un taux surfait qui masque mal l’effondrement de l’investissement privé dans le secteur productif. Les détenteurs de capitaux (hormis quelques activités rapidement lucratives dans l’immobilier ou la distribution) semblent toujours éprouver une aversion extrême à investir en dépit des efforts considérables déployés en vue de l’assainissement du dit « climat des affaires ». On peine à comprendre tant les dispositions et facilités diverses accordées sont nombreuses. Un cadre qui s’apparente désormais à un mélange d’avantages résultant de la combinaison de deux logiques: celle de zone franche et celle de paradis fiscal !

Mais au final : Pas plus d’investissements domestiques que d’investissements directs étrangers !

C’est à n’y rien comprendre ! Chercher l’erreur ? Où se situe le chaînon manquant ?

Excès de protectionnisme local, d’absence de libre concurrence, de bureaucratie tatillonne, diront certains, des arguments recevables mais qui n’épuisent l’intégralité du questionnement. D’autres évoqueront l’étroitesse du marché solvable, le manque de main d’œuvre qualifiée, explications toutes aussi acceptables mais qui sont en contradiction avec l’histoire économique du pays. Force est de constater qu’il existe de très nombreuses opportunités d’investissements sur des segments viables.

Où donc se situeraient ces blocages ? Quelles autres raisons pourrait-on dégager à ce qui ressemble à un refus, à une aversion quasi absolue, des investisseurs à faire le pas et passer à l’acte !

Sans conteste, c’est du côté du « climat social » qu’il faut chercher. Par climat il faut entendre l’ensemble des rapports interpersonnels et collectifs qui s’organisent au sein des entreprises autour des questions de rétribution et de compensation d’une part et des questions de subordination et d’autorité d’autre part. On dispose de quelques indices qui devraient inciter à fouiller dans cette direction. En effet, les chefs d’entreprise se plaignent tous et de manière récurrente et constante, de l’absentéisme, du turn-over, de négligence insouciante, du manque total de loyauté…la liste est bien plus longue qu’il n’y parait. Des symptômes qui ne sont d’ailleurs pas strictement et exclusivement liés aux modalités de rémunération. L’espace imparti pour cet article ne permet que d’esquisser une réflexion sur  le « travail et le climat social » non pas tant dans ses contenus salariaux mieux connus, que dans ses contenus non-salariaux, lesquels demeurent la boite noire ignorée, inexploitée.

Le travail sous l’angle qualitatif, de respect des consignes et des prescriptions comme d’autonomie d’activité au sein d’un collectif et plus généralement ce qu’on appelle organisation et conditions de travail, sont au mieux le parent pauvre des études académiques, au pire passées sous silence par les institutions publiques (INS comme ministères). Le « travail » échappe totalement aux radars, sauf lorsqu’il prend une tournure dramatique (accident de transport de femmes agricultrices).

Si donc l’effort s’est porté sur « l’économie politique du capital » (code de l’investissement), les gouvernements n’ont prêté aucune attention à « l’économie politique du travail » (code du travail).

Déni, peut être ! Frilosité probablement ! Pas un seul texte législatif sur de nouveaux droits sociaux, à croire que la démocratie s’arrêterait aux portes de l’entreprise.

Répétons, car il vaut mieux deux fois qu’une, il n’est nullement question ici d’une approche inspirée d’un romantisme révolutionnaire qui dénoncerait l’exploitation et l’asservissement, mais bien plus sérieusement d’une approche autour de la conflictualité toujours présente, latente ou ouverte, mais aux implications bien plus nombreuses qu’il n’y parait de prime abord comme notamment les effets sur la productivité ou la qualité des produits.

Nombre d’élites intellectuelles et dirigeantes font encore l’impasse sur les multiples formes de précarité et d’insécurité qui se sont développées dans le monde du travail au cours des dernières décennies cherchant à obtenir une acceptation et une soumission plus forte aux normes comme aux pratiques managériales. Dérogations, contournements, entorses, inobservations, transgressions tout ce qu’il y a de plus légal, sans même à avoir à évoquer les infractions, auxquelles s’opposent désormais toutes sortes de résistance subjective ou collective, des plus passives au plus frontales.

Il y a un véritable mal être au travail que l’on perçoit de manière objective dans les arrêts de travail intempestifs, le néo-luddisme (détérioration ou vol de matériel), d’obstruction dans le processus de production se traduisant par des gaspillages et des retours usine ! Tout cela n’a rien à voir avec une paresse atavique devenue endémique, mais bien plus surement avec les conditions de travail et ce que ces dernières charrient au niveau mental tant en terme d’implication que de sens donné au travail !

Il est grand temps de rééquilibrer les relations de travail, et de sortir de la seule logique distributive dans laquelle sont « enfermées » ces relations. On perçoit bien aujourd’hui les limites de la répartition primaire comme de la redistribution secondaire (même s’il reste quelques marges) qui ne sont pas extensibles ! Il faut certes réduire les inégalités sociales d’éducation et de santé, mais il conviendrait tout autant de favoriser l’expression des salariés concernant l’organisation du travail (modalités, durée, intensité) comme de leurs propres conditions de travail (autonomie, pénibilité, nocivité).

Rajeunir et moderniser le code du travail n’est pas une chimère irréaliste et inatteignable !

Redonner du sens au travail, à une nouvelle dignité sur le lieu même de l’exercice de l’activité (et pas seulement de l’évaluation de la réalisation de la tâche) mérite qu’on s’attarde sur cet autre lieu de vie.

Quitte à faire dresser les cheveux de certains chefs d’entreprises et puisque nous en sommes toujours aux réformes structurelles pourquoi ne pas envisager celle du temps de travail (réduction à un régime de 36 heures et 42 heures sans diminution de salaire, annualisation de la durée), de la représentativité (délégué du personnel protégé, réactivation des prérogatives des comités d’entreprise), création de comités de codécision sur l’ensemble des questions ayant trait à l’organisation (droits de tirage de formation qualifiante). Il va sans dire qu’il ne s’agit ici que de l’amorce d’une réflexion générale qui mérite d’être débattue !

Hadi Sraieb Docteur d’Etat en économie du développement

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