Politique

Abdelaziz Gatri : Non, Bruxelles ne bruxellera pas pour Saïed (si Tunis n’est pas unie autour de lui)

Abdelaziz Gatri : Non, Bruxelles ne bruxellera pas pour Saïed (si Tunis n’est pas unie autour de lui)

Le président Saïed s’est envolé aujourd’hui pour Bruxelles pour assister au sommet UE-UA (Europe Afrique) en étant dans une situation inconfortable et d’isolement, aussi bien sur le plan interne qu’externe.

Sur le plan interne, il fait face à au moins deux fronts hostiles qu’il s’est évertué à se créer lui-même. Le premier est un front « naturel », composé de tout(e)s les parti(e)s lésé(e)s par les mesures prises par le président un certain soir du dimanche 25 juillet 2021. Ce sont ces « mutilés de guerre » qui se font appeler « citoyens contre le coup d’Etat », avec à leur tête le parti terroriste qui, du jour au lendemain, ont perdu le pouvoir et tous les avantages qui vont avec : portefeuilles ministériels, postes diplomatiques, postes de députés, immunité et  impunité, voitures de fonction et carburant, marchés publics…

Le second front interne est constitué par des forces politiques, des organisations nationales, des membres de la société civile et des personnalités qui, dans un premier temps et pour des raisons diverses, ont applaudi les mesures du 25 juillet, mais ont vite fait de déchanter sous l’effet du comportement désinvolte du président les jours suivants. Les mesures prises par le président dans son décret-loi du 22 septembre ont fini par donner le coup de grâce à leurs illusions de voir le pays prendre le chemin d’une transition démocratique contrôlée, surtout avec la concentration de tous les pouvoirs dans les mains présidentielles, la décision de légiférer par ordonnances, la dissolution de l’instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois et l’interdiction de tout recours contre ses ordonnances. La dissolution du conseil supérieur de la magistrature et son remplacement par un conseil dont les membres sont nommés directement ou indirectement par l’exécutif fut la goutte qui a fait déborder le vase de la patience de toutes les forces imbues des principes de la démocratie, dont la séparation des pouvoirs est l’un des fondements incontournables.  

Dans le tumulte de cette situation interne intenable, s’est constitué un autre front hostile à Saïed à l’échelle internationale et dont les membres pèsent lourd sur le futur proche de la Tunisie et ses chances de bénéficier du soutien financier du FMI pour éviter que les déficits structurels du budget de l’Etat, des balances commerciale et des paiements, la flambée des prix, la raréfaction des produits de première nécessité, l’effondrement du dinar et du pouvoir d’achat…ne mènent à la faillite générale. En chef de file de ce front extérieur, il y a le G7 dont les ambassadeurs se sont fendus le 10 décembre dernier d’un communiqué par lequel ils déclarent soutenir fermement le peuple tunisien (et non son président) dans son aspiration à une gouvernance efficace, démocratique, et transparente.

Tout en « réaffirmant l’importance de la stabilité socio-économique » et en encourageant « le redressement de la situation économique et financière… en cours de négociation avec les partenaires internationaux », ils réaffirment leur « attachement au respect des libertés, à un processus politique inclusif, à une large participation des forces politiques (comprendre Nahdha et ses affidés)…pour permettre un retour rapide au fonctionnement des institutions démocratiques, avec un Parlement élu ». Le communiqué conclut « cela permettra de garantir un soutien large et durable aux progrès futurs de la Tunisie ».

Il faut vraiment être sourd pour ne pas entendre ici un conditionnement du soutien des sept auprès du FMI à ce « retour au processus démocratique ».

De guerre lasse, et après la décision de Saïed de dissoudre le CSM, les mêmes ambassadeurs ont publié un autre communiqué le 8 février courant dans lequel ils se disent préoccupés par cette annonce et réclament une justice indépendante dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs.

« Votre préoccupation nous préoccupe (قلقكم يقلقنا) », leur a rétorqué Saïed, dans sa réponse du berger à la bergère.

Faut-il rappeler à Saïed et à son entourage que la Tunisie est signataire de plusieurs conventions et traités internationaux par lesquels elle est tenue de respecter les normes internationales en matière de respect des droits et des libertés et d’indépendance de la justice ?

Faut-il leur rappeler que cette Union Européenne, dont on sollicite le soutien tout en bafouant les règes sur lesquelles est fondé notre partenariat avec elle, n’a pas hésité à sanctionner deux de ses propres membres, la Pologne et la Hongrie, en les privant de  23,9 milliards et 7,2 milliards d’euros de subventions que doivent recevoir respectivement ces deux pays au cours des cinq prochaines années, faute d’engagement des deux gouvernements en faveur d’une plus grande indépendance de la justice ?

Ceux qui, contre toute logique, nourrissent quelques espoirs sur cette participation, oublient surtout qu’il ne s’agit pas d’un sommet UE-Tunisie, mais d’un sommet UE-UA. Il y sera surtout question de problèmes stratégiques, politiques, sécuritaires, et économiques, en rapport avec la situation sécuritaire dans le Sahel africain qui a connu deux coups d’Etat au mali et au Burkina, et où les groupes terroristes s’imposent au rythme du retrait des troupes françaises. En rapport aussi avec les flux incessants d’immigrants clandestins vers l’Europe et la question de leur rapatriement qui sera à l’ordre du jour, surtout après la décision de la France de réduire drastiquement le nombre de visas accordés aux ressortissants maghrébins pour les sanctionner du manque de coopération de leurs pays respectifs dans ce domaine.

La question économique se pose aussi avec acuité, sur fond de sourde lutte avec la Chine, et à un degré moindre la Russie, pour le contrôle des richesses du sous-sol africain, des marchés colossaux d’infrastructure et des rouages de l’économie, à travers le contrôle des Etats africains.

Les questions d’ordre bilatéral ne feront l’objet que de quelques rencontres entre chefs d’Etat en marge du sommet.

Dans ce climat délétère aux niveaux national et international, Saïed se rend à Bruxelles plus isolé que jamais, sans aucune concertation préalable avec ses homologues africains et sans même avoir participé au sommet de l’UA tenu à Addis-Abeba le 5 février courant.

Rappelons que, malgré l’insistance de Macron, président de la France et actuel président de l’UE, Tebboune ne se rendra pas à Bruxelles.

Compte-tenu donc de tous ces éléments et de la persistance de Saïed à ne s’en tenir qu’à sa ligne de conduite des affaires du pays sur fond de déclarations aussi populistes que stériles, je ne nourris personnellement aucun espoir sur cette participation.

J’invite donc le président de la république, pour lequel j’ai voté au second tour et dont je paie une partie des émoluments consistants qu’il perçoit à partir de ma pension de retraite, à donner l’intérêt qu’ils méritent aux problèmes socio-économiques que connait le pays et qui risquent de l’emporter lui et son gouvernement, à faire preuve de discernement dans ses choix de collaborateurs, à renoncer à son projet insensé de consultation nationale et de référendum sur fond de division nationale, et surtout, à faire preuve de qualités d’écoute qui lui ont fait défaut jusqu’ici.

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