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L’ancien ministre Pierre Joxe assène ses vérités : la France est «encore malade de son colonialisme»

L’ancien ministre Pierre Joxe assène ses vérités : la France est «encore malade de son colonialisme»

On a beaucoup dit sur la descente aux enfers de la France en Afrique et dans le monde arabe, un rapide déclin amorcé par l’ancien président Nicolas Sarkozy et qui a été spectaculairement accéléré par l’actuel chef de l’Etat français, Emmanuel Macron. Pierre Joxe, une figure centrale de l’avènement du socialisme en France (il fut ministre de l’Industrie de mai à juin 1981, de l’Intérieur de 1984 à 1986 puis de 1988 à 1991 et de la Défense de 1991 à 1993), s’est exprimé dans le journal “Le Point” ce mercredi 3 janvier, sans langue de bois…

À 89 ans celui qui a grandi en Algérie puis y a fait son service militaire n’a pas bougé d’un iota sur son anticolonialisme et ses autres combats. Au sujet de l’agitation autour de la loi immigration il est d’avis que “La crise ouverte par cette loi est grave mais pas surprenante. Quand on n’a pas de majorité parlementaire, la vie devient très compliquée, et il est dangereux de faire semblant d’en avoir une. On s’obstine à appeler majorité relative ce qui est une minorité”.

Pour autant il ne pense pas que la dissolution du Parlement soit la voie royale pour sortir par le haut de cette crise. “Je ne crois pas que la question se pose en ces termes. J’ai voté contre la Constitution de la Ve République qui donne trop de pouvoir à un seul homme. Le 49.3, par exemple, est un véritable scandale politique, juridique et philosophique. Le problème, c’est que l’homme qui pouvait faire modifier cette Constitution, François Mitterrand, malheureusement, ne l’a pas fait. Il faut à présent construire une organisation solide des forces de gauche. Cela n’arrive qu’une fois tous les trente ans”, a-t-il indiqué.

Au sujet du leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, qui cristallise les attaques de la droite et de l’extrême droite mais aussi certains membres de son propre camp Pierre Joxe est formel : “Jean-Luc Mélenchon a su rassembler la gauche. Il a commis des erreurs, comme d’autres à gauche. Mais malgré les injures, les insultes dont on le couvre, c’est un homme estimable. L’ensemble des forces de gauche – et je n’oublie pas les communistes – va un jour s’unir pour redevenir majoritaire… Quand ? Je ne le sais pas”.

Et quand on demande à l’ancien ministre de l’Intérieur si la gauche doit durcir sa posture sur l’immigration si elle veut s’offrir une chance de revenir au pouvoir il rétorque ceci : “Ayant passé mon enfance en Algérie, je suis moi-même un peu immigré – et tout à fait antiraciste. Ce qui est sûr, c’est que la thèse du « grand remplacement » est une impasse, une imposture scientifiquement démontrée. La France est un pays encore malade de son colonialisme. Hélas, beaucoup de Français sont imbibés de préjugés racistes et suprémacistes”, assène-t-il.

A propos du mariage entre l’héritage colonial de la France et son legs culturel, ses coutumes et lois le ministre de François Mitterrand défend ce qui suit : “Magistrat retraité, je suis devenu tardivement avocat (bénévole) pour défendre des mineurs. Ce que je sais à présent de science certaine, c’est que, lorsqu’un enfant commence à commettre des délits, il ne va généralement pas bien d’un point de vue familial, médical, alimentaire, scolaire… Si on ne l’aide pas à sortir de la misère morale, physique, intellectuelle et sociale dans laquelle il est plongé, il ne deviendra jamais un bon citoyen. Vous le savez, les études postcoloniales suscitent la haine de la droite, précisément parce qu’elles analysent ce qui vient après la décolonisation : un entre-deux entre le monde d’origine des immigrés et celui où ils grandissent”.

Interrogé sur l’islam de France Joxe répond : “L’islam est très respectable mais mal connu des Français. Pourtant, dès le temps des Lumières, dans son Dictionnaire historique et critique (1697), Pierre Bayle (1647-1706), admiré par Voltaire, écrivait au sujet de Mahomet : «Je ne vois point que ce faux prophète a dérogé à la Morale de l’Évangile […].» C’est une vérité. Que l’islam ait provoqué des guerres, c’est une autre vérité. Dans toutes les autres religions, des croyants ont poussé à l’extrême leur fanatisme. Il n’y a aucune différence entre les criminels invoquant fallacieusement l’islam aujourd’hui et les criminels chrétiens d’autrefois qui massacraient souvent femmes et enfants…”.

Quid de la possibilité pour la France de peser dans le règlement du conflit au Proche-Orient ? Il pointe sans détour les occasions manquées. La France “n’est plus, malheureusement, dans la situation que j’ai connue comme ministre de la Défense avec Mitterrand, ou lorsque Dominique de Villepin parlait en notre nom à l’ONU. Il y a un an, en novembre 2022, cinq anciens ministres des Affaires étrangères européens, dont mon ami Hubert Védrine, ont écrit, dans une tribune au Monde, que les pratiques d’Israël à l’encontre des Palestiniens équivalaient au crime d’apartheid. À l’époque, ce texte est malheureusement passé inaperçu. Or, les événements actuels confirment tragiquement sa pertinence. Israël est l’un des derniers pays au monde qui se targuent de coloniser. Cette crise est le produit d’une histoire ancienne, dans laquelle la France et la Grande-Bretagne ont une responsabilité. Après la Première Guerre mondiale, Irak, Syrie, Liban, Palestine sont nés d’un partage colonial…”.

Toutefois l’ancien ministre ajoute ceci : “Reste que les massacres du 7 octobre, d’une sauvagerie inouïe envers les civils, n’ont pas eu lieu dans les colonies. Et ils sont le fait d’un groupe terroriste, le Hamas, qui n’a pas pour objectif la paix, mais la destruction de l’État d’Israël…

Ces massacres épouvantables de jeunes civils israéliens sont évidemment d’horribles événements… Ils me rappellent fatalement les massacres commis dès 1948 à Deir Yassin [village situé à l’ouest de Jérusalem, où une centaine de Palestiniens sont tués par des groupes paramilitaires juifs, NDLR], par exemple, ou, pire encore, en 1982, à Sabra et Chatila [à l’ouest de Beyrouth, camps, encerclés par l’armée israélienne, où des réfugiés palestiniens sont massacrés par des milices chrétiennes, NDLR]. Hélas, toutes les guerres coloniales produisent et aboutissent à des massacres. Nous l’avons bien appris en Indochine, à Madagascar, en Algérie. En Palestine, il y a près d’un siècle que le Proche-Orient a été colonisé et morcelé par la France et la Grande-Bretagne. Il y a aujourd’hui plus de cent résolutions de l’ONU non appliquées en Palestine. Mais, bien heureusement, le secrétaire général de l’ONU, M. Gutteres, élève sa voix pour dénoncer le cimetière d’enfants de Gaza…”.

“La tragédie actuelle ne doit pas nous exonérer de notre propre responsabilité. La France a un rôle éminent à jouer en raison de notre siège permanent de membre du Conseil de sécurité de l’ONU et de notre tradition de relations avec le monde arabe”, conclut l’ancien responsable politique.

 

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