Economie

Le secteur de la santé entre les « hôpitaux de la marge » et l’échec de la réforme (1/3)

Le secteur de la santé entre les « hôpitaux de la marge » et l’échec de la réforme (1/3)

Une étude récente intitulée « Le droit à la santé en temps de la pandémie du Covid-19 », élaborée par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), s’est concentrée sur un certain nombre de problèmes qui concernent le secteur de la santé, notamment la corruption, le délabrement des infrastructures et la présence d’un secteur privé relativement développé au niveau des services, mais qui souffre de plusieurs lacunes.

L’étude a pointé quelques-unes des raisons qui ont contribué à la dégradation de la qualité des services de santé, mettant l’accent, sous cet angle, sur la corruption, le détournement de matériel médical, le vol de médicaments et leur vente sur le marché parallèle, la propagation de la corruption dans les appels d’offres publics pour les hôpitaux, et la mainmise des lobbies – locaux et internationaux – sur la distribution des médicaments, etc.

Selon l’étude, le secteur privé de la santé s’est développé rapidement et au détriment du secteur public. Ainsi le système de santé s’est scindé en deux systèmes à deux vitesses différentes. La baisse du niveau des services due à la corruption dans les hôpitaux publics, dernier recours pour les milieux pauvres incapables de supporter les coûts des services de santé du secteur privé, a contribué selon le Forum, à incarner le modèle des « hôpitaux de marge », qui fournissent des services de santé médiocres pour ces franges de la société.

Le Forum a précisé que l’ampleur de la corruption dans le secteur de la santé au niveau mondial est estimée à 5,59 % des dépenses mondiales de santé, et que les dépenses de santé, selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé, s’élevaient à environ 8,3 trillions de dollars américains en 2020, ce qui signifie à peu près une perte d’environ 464 milliards de dollars américains dans le monde en raison de la corruption.

D’autre part, de nombreux rapports qui mesurent l’étendue et l’ampleur de la corruption en Tunisie par secteurs, confirment que la corruption dans le secteur de la santé occupe toujours les trois premiers rangs parmi les secteurs les plus touchés par la corruption. Dans un rapport publié en 2019 par l’instance nationale de lutte contre la corruption, le secteur de la santé était classé au troisième rang parmi les secteurs les plus touchés par la corruption.

Le rapport sur la perception de la corruption en Tunisie publié en 2018 dans une enquête de l’Afro-baromètre a estimé que 11% des Tunisiens sont prêts à payer des pots-de-vin pour obtenir des services de santé.

Bien qu’il n’y ait pas de chiffres des tribunaux sur le nombre d’affaires de corruption dans ce domaine, elles sont nombreuses, dont la plupart préoccupent l’opinion publique, comme l’affaire de décès de 14 nouveau-nés au centre de maternité et de néonatologie- Wassila Bourguiba, à la Rabta.

L’étude du FTDES a indiqué, par ailleurs, que les formes de corruption dans le secteur public de la santé se subdivisent en corruption administrative et financière dans divers établissements de santé, incluant les recrutements et la facturation. La corruption touche principalement les structures organisationnelles et réglementaires, les prestataires de services et les patients.

Il est à noter que, selon les données publiées par le ministère des Finances à la fin de l’année dernière, le budget du ministère de la Santé est passé de 3868,2 millions de dinars l’an dernier à 3250 millions de dinars pour l’année en cours, soit une diminution de 618,2 millions de dinars ou 16%.

Dans le cadre du projet de budget du Ministère de la Santé pour l’année 2022, 420 millions de dinars ont été alloués aux projets et programmes, répartis entre 263,8 millions de dinars pour les projets en voie d’achèvement et 156,2 millions de dinars pour de nouveaux projets. Le budget du ministère ne représente que 6,8% du budget général de l’Etat.

Les orientations du ministère de la santé pour l’année en cours portent également, selon les autorités, sur la priorité à la médecine préventive en soutenant les programmes nationaux tels que ceux liés à la vaccination, à la lutte contre les hépatites virales et au vaccin contre les germes pneumococciques, et au renforcement des établissements de santé en moyens médicaux de pointe, notamment dans les domaines de l’imagerie médicale et du traitement des maladies cancéreuses. A cet effet, des crédits d’un montant de 626,5 millions ont été prévus.

Cependant, les données officielles montrent qu’il n’y a aucune trace au niveau des projets cités de la réalisation d’études ou d’étapes préliminaires pour la construction du CHU Kairouan promis par les autorités depuis des années et tant attendu par la population du gouvernorat et du centre du pays.

En outre, les données présentées et concernant le budget 2022 du ministère de la santé ne montrent aucune allocation de fonds spéciaux pour la lutte contre la pandémie Covid-19 !

Rappelons qu’à fin novembre 2016, au cours du Forum 2020, un haut responsable saoudien annonçait à Tunis « un don de 100 millions de dollars, dont 85 millions de dollars seront consacrés à la construction d’un hôpital pluridisciplinaire à Kairouan… » mais le projet rester lettre morte.

En juillet 2020, la présidence de la République tunisienne annonçait le lancement de la 2ème phase du projet de la cité médicale à Kairouan.  En effet, le 27 février 2021, le chef de l’Etat faisait lui-même, à ce titre, le déplacement à la région de « Menzel Mhiri » à Kairouan, dont les images montraient un terrain encore nu de tout début d’infrastructure et sans même aucun signe de lancement de travaux, pour le projet.

Alors que la propagation du virus Covid-19 a mis en lumière l’importance stratégique du secteur de la santé en général et du secteur public particulier, et a révélé la détérioration de ce secteur, le projet de loi de finances pour l’année en cours révèle l’intention des pouvoirs publics de procéder aux mêmes politiques d’austérité.

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