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Ma vie: Dalila de Kairouan nous raconte son combat

Ma vie: Dalila de Kairouan nous raconte son combat

Tunisie Numérique a mené une série d’interviews auprès des familles tunisiennes pour savoir comment elles gèrent leurs budgets en ces temps de crise que traverse le pays.

Ces tunisiens proviennent de différentes classes sociales, sont d’âges différents et habitent dans des quartiers aussi bien huppés que populaires. Ils ont accepté volontairement de répondre de manière spontanée et anonyme aux questions de Tunisie Numérique. Les récits ont été retranscrits tels quels.

Dalila a 58 ans. Elle ne travaille pas et habite dans un des quartiers de la ville de Kairouan.

Dalila est divorcée. Elle a 2 filles de 41 et 35 ans, les 2 mariées et mères de familles.

Dalila vit toute seule dans la maison de ses parents décédés. Elle perçoit une allocation de l’Etat pour familles démunies de 230 dinars par mois.

Dalila nous confie : « J’habitais dans les années 70 avec mes parents et ma famille nombreuse en compagne. On était 09 en tout. J’ai 3 frères et 3 sœurs. Nos conditions de vies étaient, le moins qu’on puisse dire, très modestes. »

Dalila poursuit : « En milieu rural non seulement les conditions sont dures mais les traditions et coutumes font que ma vie était infernale à tous les niveaux ».

Dalila nous raconte que son père était travailleur agricole journalier.  Elle nous dit à ce sujet : « Notre situation sociale difficile a poussé mes frères à abandonner prématurément les études. Mes frères étaient brillants et intelligents. Ils fréquentaient une école qui  était à 20 Km, en aller-retour, de notre maison ».

Dalila soupire et continue : « Pour nous les filles, il était interdit d’entrer à l’école même si on voulait étudier. Il ne fallait surtout pas insister. Chez nous, il ne faut pas contredire les parents, ni faire face à la société. Ils ont décidé pour moi et les autres filles de ma génération. On nous a condamné ! ».

Un mariage forcé

Dalila nous parle de son mariage : « Le destin- المكتوب a fait que je me marie à 16 ans comme toutes les filles de mon village.  On m’a imposé mon cousin paternel qui vivait à l’étranger comme futur époux. Ma vie a chaviré depuis ! ».

Le visage de Dalila se fige pendant quelques secondes. Elle reprend son souffle, murmure plusieurs Hamdoullah et dit : « J’ai refusé de me marier avec mon cousin, je ne l’aimais pas. J’étais encore jeune et je ne connais rien de la vie. Il était impulsif et avait une sale réputation. Mon père en a voulu autrement. Je n’avais pas le choix, c’était soit le mariage soit le bannissement de la famille ».

Dalila nous raconte : « Les problèmes ont commencé à partir de mon quatrième mois de mariage. C’était à cause de l’argent mais surtout parce qu’il me frappait ».

Dalila accélère la parole et continue : « Il me battait, il me ruait de coups et j’ai fini par m’enfuir chez mes parents. C’était mon seul refuge. J’étais déjà enceinte ».

Dalila prend une gorgée d’eau et rajoute : « Quelques mois après l’accouchement, la famille a intervenu pour revenir vivre avec mon mari. Mais je ne suis pas restée longtemps. Il a recommencé à me taper.  Je me suis enfuie encore une deuxième fois, j’étais enceinte aussi. Cette fois, c’était décidé, je ne reviendrai plus. Plus jamais avec lui ».

La vie après le divorce

Dalila nous confie qu’elle a tout fait pour se séparer juridiquement de son ex-mari. Elle a finalement obtenu le divorce malgré l’opposition de la famille.

Dalila dit à ce sujet : « J’ai souffert. Il fallait que je le quitte, c’était pour mes enfants aussi. Comment ils allaient vivre avec un tel monstre? Ma famille ne voulait pas que je divorce. Dans notre milieu le divorce était tabou et c’était une source d’humiliation pour mes parents ».

Dalila nous raconte que la famille a fini par déménager et s’installer dans le centre-ville de Kairouan.

« Nous avons commencé une nouvelle vie différente de celle de la compagne » s’exprime Dalila.

Dalila nous confie : « Vu nos conditions financières difficiles, j’ai été contrainte de ‘‘confier’’ une de mes filles à mes voisins qui n’ont pas eu la chance d’avoir des enfants. C’était de bons parents pour elle. Ils se sont occupés de ma fille comme si c’était la leur. Maintenant elle est mariée et a 4 enfants ».

Dalila rajoute : « Mariée à 16, j’ai été battue par mon ex. J’en garde encore des traces. Je fais encore des cauchemars. Pourquoi toute cette violence et cette haine ?! je n’ai rien fait de mal mon dieu-  ما عملت شي خايب يا ربي ».

Le combat contre le cancer

Dalila paraît plus soulagée d’avoir partagé avec nous cet épisode douloureux de sa vie.

Elle continue à nous parler, visiblement plus sereine et dit : « Je n’oublierai jamais le 02 août 2007, date à laquelle j’ai découvert que j’avais un cancer du col de l’utérus. La maladie était dans un stade très avancé. Les médecins ont estimé que j’avais 1% de chance de guérison. ».

Dalila reprend une gorgée d’eau et continue : « Dieu est grand –  الحمد الله ربي كريم ويرحم, je tiens à remercier les médecins qui se sont occupés de moi. Je remercie particulièrement mon frère Hedi qui a été mon seul soutien familial et qui m’accompagnait durant 35 jours pour toutes mes séances de chimiothérapie de Kairouan à Sousse.  J’ai guéri, c’était un miracle – معجزة الاهية».

Dalila rajoute : « Je remercie tous ceux qui m’ont aidé financièrement, les amis, les voisins, des bénévoles inconnus…L’Etat m’a aidé également en me donnant la carte des soins gratuits ».

Dalila vit dans la maison de ses parents à côté de celle de son frère Hedi. Elle souffre de maladies chroniques comme le rhumatisme, le diabète et l’hypertension.

Dalila s’exprime à ce sujet : « Ma vie est très difficile. Je n’ai ni la santé, ni l’argent pour m’en sortir. Ma deuxième fille, Bahija, aussi est malade. Elle souffrait depuis son âge de problèmes psychologiques. Malgré tout, elle s’est mariée et a eu trois garçons. Le mari de Bahija est handicapé moteur ».

En attendant le carton – الكردونة

Dalila nous parle de son quotidien difficile : « Seul l’Etat m’aide avec son allocation de 230 dinars par mois. J’attends Ramadhan, les fêtes religieuses, les Aïds et les autres occasions pour prendre mon carton de produits alimentaires – مواد غذائية كردونة  ».

Dalila nous dit qu’heureusement elle a la maison familiale. Sinon elle serait incapable de payer un loyer et serait aujourd’hui dans la rue, sans toit.

Dalila nous confie : « Avec l’allocation de l’Etat j’achète des produits alimentaires, une bouteille de gaz, je paie la facture de la STEG et de la SONEDE. Souvent j’emprunte la somme manquante ».

La facture de la STEG est de 30 dinars en moyenne. Dalila paie également 20 dinars pour la SONEDE. Dalila n’a ni lave-linge, ni réfrigérateur, ni climatiseur.

Dalila nous parle de la cherté de la vie : « Comme ça ne suffisait pas que tout soit cher, on retrouve plus rien : Pas de sucre, pas de farine, pas de semoule, pas d’huile,…L’huile subventionnée – زيت الحاكم est introuvable, je suis obligée de cuisiner sans ou avec de la graisse ».

Dalila nous précise :« J’ai essayé de travailler comme aide-ménagère mais mon état de santé ne le permettait pas. Mon frère Hedi m’invite à manger chez lui, avec sa famille, de temps en temps. Il m’aide avec un peu d’argent, quand il peut malgré sa situation compliquée lui aussi ».

Dalila rajoute : « J’attends l’Aïd Kébir pour pouvoir manger de la viande grâce à la charité des voisins ».

Dalila fini par nous dire : « C’est en résumé quelques épisodes de ma vie, que dieu m’aide ainsi que les pauvres, les démunis et les nécessiteux – كان الله في عوني وعون كل الفقراء والمحتاجين  ».

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