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Par Abdelaziz Gatri : Entendez-vous les ricanements de Mme Kristalina Georgieva* ?

Par Abdelaziz Gatri : Entendez-vous les ricanements de Mme Kristalina Georgieva* ?

(*Kristalina Georgieva : Directrice générale du FMI)

De même qu’en Islam le divorce est la chose licite la plus détestable à Dieu, en termes de budget, l’endettement devrait être la chose la plus détestable pour un gouvernement. Il ne devrait y être fait recours qu’en dernier ressort, après avoir épuisé toutes les autres sources autonomes de financement du budget, car l’emprunt implique la cession d’une partie de sa souveraineté au prêteur à travers la batterie de conditions exigées par celui-ci pour ouvrir la manne.

Les tunisiens en savent quelque chose, eux qui ont dû subir les affres de la commission financière à la fin du 19ème siècle, sorte de collège des créanciers qui, suite aux déboires et à la prodigalité des beys et de leurs ministres, était sensé dicter au gouvernement d’alors sa politique économique pour se faire rembourser les crédits contractés pour le bon plaisir de la monarchie. Et comme cela n’avait pas suffi, il a fallu subir 75 ans d’occupation française pour le même prétexte.

C’est dans un contexte semblable, empreint de prodigalité et d’irresponsabilité gouvernementales, de mauvaise gouvernance, de copinage et de corruption rampante, qu’une délégation «composée du ministre des Finances, du gouverneur de la Banque centrale et de plusieurs représentants de l’UTICA  ainsi que d’experts économiques, s’est envolée pour Washington,  pour des concertations avec le FMI » selon les déclarations du chef du gouvernement.

Qu’a donc préparé Si Ali Kooli, notre trésorier en chef, comme arguments pour prouver le bien-fondé de sa démarche à la directrice générale du FMI, qui s’en est montrée très dubitative dans sa dernière lettre adressée à Mechichi ? Après avoir énuméré les conditions d’un soutien du FMI à la Tunisie (soutenabilité des finances publiques et de la dette, des réformes ambitieuses des entreprises publiques, de la masse salariale dans la fonction publique et des subventions énergétiques, amélioration du climat des affaires, stabilité du secteur financier et inclusion financière, protection sociale et gouvernance), elle lui a signifié qu’elle avait demandé à son équipe « d’entamer des entretiens techniques avec vos services, dès que nous aurons reçu votre programme de réforme », sous-entendu que jusqu’ici, aucun programme de réformes n’a été adressé à l’instance monétaire internationale.

Dans ces conditions, il y a bien lieu de se poser des questions sur l’opportunité même de ce déplacement périlleux. Et onéreux. Quel discours tiendra M. Kooli face aux pontes du FMI ? Leur dira-t-il « prêtez-moi l’argent, je vous enverrai le programme quand moi-même j’en saurais quelque chose »? Ou alors : « j’ai un système bancaire qui réalise des bénéfices records quand l’économie et le peuple sont à l’agonie, je protège une vingtaine de familles monopolistiques de rentiers qui asphyxient le pays et je souhaite obtenir de quoi les enrichir encore plus » ?

Est-il besoin de rappeler qu’en tant que ministre des finances, il est le chef de l’administration fiscale et douanière qui, à elles seules, détiennent plus de 12 milliards de dinars de créances constatées, somme qui, à quelques milliers de dinars près, correspond au montant du prêt sollicité, et  dont le recouvrement aurait pu nous épargner les affres de la mendicité? Sans compter les impayés des caisses sociales évaluées à plus de 2 milliards de dinars et le manque gagner de l’exploitation du phosphate.

Bien sûr, je vois d’ici ceux parmi mes anciens collègues qui me feront remarquer que  je suis très bien placé pour savoir que toutes ces créances ne sont pas recouvrables, et j’en conviens. Bon nombre d’entre elles concerne des débiteurs étrangers, des personnes physiques décédées ou introuvables, des sociétés dissoutes ou tombées en faillite etc., et leur recouvrement relève aujourd’hui de l’impossible. J’irais même plus loin en affirmant que ces créances sont exagérément élevées, du fait que les verbalisateurs ont tendance à exagérer la valeur des marchandises réellement saisies, à les grever de saisies fictives à volonté et à faire valoir le concours d’infractions douanières et de change à même de multiplier le montant des amendes requises par plus de 10 fois la valeur des saisies réelles et fictives, les faisant monter à des millions de dinars, quand l’objet de l’infraction ne porte que sur quelques milliers de dinars de droits et taxes éludés. Ces pratiques, destinées à gonfler les chiffres de la lutte contre la contrebande aux yeux des supérieurs et de la tutelle, mettent les juges devant le fait accompli, génèrent des verdicts avec des amendes faramineuses et sans rapport avec les capacités des contrevenants, et rendent impossible  toute opération de transaction raisonnable.

Il est néanmoins légitime de se demander quelles ont été les diligences entreprises par les administrations concernées pour la perception  du reste des créances collectables quand on sait que le taux de recouvrement des créances douanières en 2013 par exemple était très proche de 0% ? Quels moyens ont été mis à la disposition des receveurs des finances et des douanes pour améliorer l’efficacité de leurs travaux et ce taux ? Quel est le sort des milliers de demandes de transaction adressées par les contrevenants désireux de payer et restées sans suite ?

Je croyais que nous avons déjà touché le fond du ridicule avec l’annonce d’un ancien directeur général de la douane, avec fierté et à qui veut bien l’entendre, que le recouvrement a réalisé un bond de 700% (je vous laisse calculer ce que représente 700% de zéro), jusqu’à ce que j’apprenne dernièrement, qu’une «négligence» presque fortuite avait permis à deux contrebandiers des plus notoires du pays d’échapper à des condamnations d’un montant total de 1,3 milliards de dinars.

Ne riez pas tous à la fois, comme dirait l’autre. Mais vous rirez encore plus jaune quand je vous aurai dit que le directeur général, sous lequel s’est produit cet « exploit », fait partie de la délégation de M. Kooli. Avec sa formation de juriste et son expérience de juge tant dans le ministère public que dans les chambres civiles et criminelles, il pourrait être d’un grand secours à ses maîtres dans la perspective de poursuites futures pour leurs manquements dans la gestion des affaires publiques et des deniers de l’Etat. C’est sûrement dans cette perspective qu’ils l’ont promu garde des sceaux, n’eût été le véto présidentiel.  Mais face aux redoutables requins du FMI, il ne sera d’aucune utilité. Leur dira-t-il : « j’ai laissé des milliards de créances non recouvrées, mon administration a permis à des contrebandiers d’échapper à des condamnations de 1,3 milliards, les frontières dont j’ai la charge sont tellement poreuses que les marchandises de contrebande envahissent tout le pays, détruisent son tissu industriel et privent le trésor de recettes substantielles, et je viens plaider la cause de mon gouvernement pour obtenir un chèque de 4 milliards de dollars » ?  Bonjour la confiance. J’entends d’ici les ricanements de Mme Kristalina Georgieva.

Et dire que Mechichi déclarait que « ces rencontres visent à rétablir la confiance entre le FMI et la Tunisie ».

Abdelaziz GATRI. Conseiller pour les opérations douanières, le commerce international et le contentieux douanier.

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