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Par Hadi Sraieb – Les distorsions paralysantes de l’évolution économique et sociale !

Par Hadi Sraieb – Les distorsions paralysantes de l’évolution économique et sociale !

Tout ou presque, semble-t-il, a été dit en matière de diagnostic: « le modèle économique » serait altéré, abimé par toutes sortes de dysfonctionnements et de défaillances qui l’empêchent de retrouver son rythme de croisière.

Les uns insistent sur la détérioration du climat des affaires, voire plus largement du climat social, quand d’autres mettent l’accent sur l’impéritie (incapacité) des gouvernements successifs à juguler les déséquilibres et à engager des réformes structurelles qui n’ont que trop tardé !

Nul besoin ici de recenser les allégations et imputations diverses et multiples qui tournent toutes autour de facteurs ou mécanismes qui entravent le retour à la croissance.

Tour à tour, et sans ordre de préférence, il est question de la dérive des déficits jumeaux (extérieur et public), de la surreprésentation de l’économie informelle (près d’un actif sur deux), des entraves manifestes à la libre concurrence et non faussée (prévalence des rentes de situation) concomitantes aux détournements pernicieux de l’économie de contrebande et mafieuse.

On notera avec insistance, -qu’en arrière fond-, à ces multiples approches et raisonnements discursifs se trouve un leitmotiv (un paradigme) unique : celui de la croissance marchande !

Dans leur très large majorité, experts et commentateurs sont obnubilés, pour ne pas dire hantés, par la topique de la « croissance » perçue comme vecteur univoque d’amélioration des conditions générales de vie de la société.

Dit autrement l’ubiquité (omniprésente) de cette notion dans l’univers imaginaire (représentation symbolique de la réalité) de nos distingués experts, témoigne pour le moins d’une « crise de la pensée économique ».

En effet la croissance n’est jamais qu’un indicateur statistique de la variation d’un agrégat lui-même statistique le PIB, censé rendre compte et reflété (en réalité infidèlement) tout à la fois de la richesse matérielle produite, du niveau de vie de la population et par là même du degré de développement de la société.

Un raisonnement tautologique quasi métaphysique (la croissance n’est pas observable) qui fait en permanence l’impasse sur les fondements de l’économie politique (que certains appellent science), à savoir : Quoi produire ? Comment produire ? Pour qui ?

Peu importe que le pays ait vu sa base économique se rétrécir au profit d’un flux croissant d’importations, que son industrie ait décliné (25% dans les années 80 à moins de 15% aujourd’hui) au profit d’une hypertrophie de la sphère marchande et de services à plus de 55% !

Que les activités artisanales et de commerce traditionnel de proximité aient été anéanties par la déferlante des franchises et grandes enseignes étrangères. Tout cela n’a toujours que peu d’importance aux yeux des « chantres de la croissance » pour autant que cette sacro-sainte croissance soit au rendez-vous !

Il va sans dire qu’il n’est nullement question ici de remettre en cause les avancés et progrès accomplis par ce petit peuple travailleur nonobstant les qualificatifs nouveaux de « paresseux », de « tire-au-flanc », de « velléitaire » dont l’affublent désormais l’intelligentsia économique !

Cela étant, le dit modèle de croissance est obstinément considéré comme sain et viable, pour autant qu’il soit débarrassé de ses dérives mafieuse et informelle (la moitié de la population en âge de travailler ! Excusez du peu !), et que quelques correctifs structurels lui soient appliqués !

La croissance se voit alors et désormais affublée d’un nouvel adjectif celui « d’inclusive ». Un aveu posthume car à l’évidence celle-ci ne l’a jamais été !

Ce fondu enchainé, sorte de passe-passe, n’en masque pas moins de graves « impensés » (des angles morts) jamais évoqués à l’exception de quelques distorsions visibles qui devraient faire l’objet de corrections structurelles.

Le regard oblique et biaisé des élites économiques et de leurs multiples supplétifs se porte tout entier et exclusivement sur la dispendieuse compensation (4.5% du PIB), l’inacceptable déficit public (6% du PIB), l’intolérable surendettement de l’Etat (90% du PIB), les inadmissibles dettes abyssales des entreprises publiques (20% du PIB). Soit ! Et cela mérite, à l’évidence traitement, mais dans une perspective d’ensemble plus globale.

Car si le modèle est bien en grave difficulté du fait de l’action de l’Etat, il l’est tout autant du fait du secteur privé.

Ce dernier bénéficie immodérément de largesses de ce même Etat (3,5% du PIB : réduction et dérogation fiscales, subventions diverses). Un secteur lui-même surendetté de l’ordre de 50 à 55% du PIB, qui se traduit dans les faits par un endettement global insoutenable du pays bien plus conséquent que celui du seul Etat, soit en réalité 160% du PIB (90% Etat, 20% entreprises publiques, 50 % entreprises privées).

Un secteur privé qui pèse aussi sur le crédit bancaire. En effet les dettes irrécouvrables (NPL : non performing loans) de l’ordre de 13% du PNB des banques sont tout autant à mettre sur le compte du secteur public que du secteur privée.

Au total et n’en déplaise aux louangeurs et flagorneurs du secteur privé « locomotive de la croissance et du développement » celui-ci est bel et bien en panne: L’investissement privé demeure depuis près d’une décennie au plus bas de toute son histoire, pas même en mesure de couvrir ses propres besoins de renouvellement, d’où le vieillissement prématuré de ce qu’il reste de la base manufacturière nationale.

Cherchant à tout prix à sauver le modèle (consommation + création d’emploi = paix sociale) en dépit de ses nombreux travers (déclin de l’industrie locale) et déficiences sociales (inégalités croissantes, 25% de pauvres, sous-emploi endémique, fuite des cerveaux), les autorités publiques successives se sont imprudemment laissées enfermer dans un dilemme « reform against cash » (austérité contre argent frais) préjudiciable et funeste pour le pays.

Quand elles n’ont pas été sciemment, -ces dernières années-, au-devant des attentes du FMI qui, -lui de son côté-, n’a pas changé d’un iota la logique austéritaire de ses interventions, ni à son exigence de mise sous tutelle.

Comme le disait déjà Mme Thatcher en son temps, TINA (there is no alternative) semble bien être l’issue douloureuse et pour ainsi dire « critique » à plus d’un égard (aggravation possible de la récession) vers laquelle se dirige inévitablement les pouvoirs publics du moment. A moins que la diplomatie ne trouve une autre issue !

 

Hédi Sraieb Docteur d’Etat en économie du développement

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