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Par Hadi Sraïeb: Sortir de l’impasse ?

Par Hadi Sraïeb: Sortir de l’impasse ?

L’émoi est à son comble suite à la nouvelle baisse de la notation de la Tunisie !

Le spectre d’une crise à la libanaise hante désormais les esprits, et semble se rapprocher à grands pas. La Tunisie pourrait connaitre un « défaut de paiement » ! Une première dans son histoire moderne, post indépendance ! Un trouble désormais largement partagé par l’ensemble de la population, qui a pour effet de réactiver la mémoire collective du démon de la perte de souveraineté.

Pour les plus initiés, l’heure est à la réflexion, à ressortir les calculettes et à tenter d’explorer les voies possibles de sortie de cette impasse.

Le pic de remboursements est clairement identifié. Il se présente en 2023 et 2024. Il est à proprement parler infranchissable telle une vague scélérate dont la hauteur et la puissance engloutit et anéantit tout sur son passage. Cela ne signifie pas qu’un « incident de paiement » ne puisse pas survenir avant cette date !

Reste néanmoins que l’année 2022, -toutes choses égales par ailleurs-, devrait être sensiblement moins difficile en termes de remboursements que celle que nous venons de connaitre (- 2 Md DT).

Du coup l’année 2022 se présente comme l’année charnière au cours de laquelle pourraient être discutés  et négociés, les termes et conditions d’un évitement du défaut de paiement. Un petit répit qu’il convient de mettre à profit, d’autant plus précieux que la première tentative d’ouverture de discussions proposée par les autorités tunisiennes avec le FMI a est restée lettre morte.

Il est vrai que le document officiel d’engagement sur des « réformes structurelles » a été perçu comme irrecevable à plus d’un titre.

Pour avoir eu l’occasion d’assister à de nombreuses rencontres de « revues de situation » entre des pays en développement éprouvant des difficultés et les équipes du FMI, force est de constater que ces derniers ne se contentent jamais de déclarations d’intentions, fussent-elles louables ! Le FMI exige que soient démontrées, chiffres à l’appui, la faisabilité et l’acceptabilité sociale de chacune des mesures avancées !

Le catalogue actuel de réformes structurelles est jugé, pour l’heure, nul et non avenu.

Il faut donc tout reprendre depuis le début, et recréer les conditions et les modalités d’un véritable dialogue.

Il y a tout lieu de prendre en considération les prérequis d’une telle négociation aux aboutissants astreignants ! Le FMI ne peut permettre aucun faux fuyant, et réitérera se mise en demeure de « argent frais contre réforme ».

Une injonction toujours suivie d’effet comme en témoigne l’arrêt brutal de la deuxième tranche de la facilité de crédit du FMI sous le gouvernement de M Youssef Chahed.

Le FMI activera des garanties formelles tant en amont sous la forme de « conditionnalités » qu’en aval sous la forme de report ou d’interruption du programme.

Toutefois et pour étonnant que cela puisse paraitre, le FMI n’arrêtera totalement sa position qu’en accord avec les deux instances informelles que sont les clubs de Paris et de Londres.

Le premier plus largement préoccupé par les prêts publics bilatéraux et multilatéraux, le second par les prêts syndiqués sur les marchés privés de capitaux ! Il y a d’ailleurs fort à parier que les consultations entre ces trois instances sont déjà très avancées.

Le préteur international en dernière instance, n’arrêtera donc sa ligne de conduite définitive qu’à la suite d’un consensus hautement politique, qui tienne compte des intérêts immédiats comme géopolitiques des bailleurs. L’ensemble de la communauté financière (BIRD, BEI, BAD) comme privé va alors s’ajuster au plus près des objectifs de réformes décidés à la suite du nouvel accord.

S’il ne semble rien se passer alors que l’imminence du risque de défaut se rapproche à grands pas, cela tient d’une part aux atermoiements des autorités tunisiennes dans l’incapacité de formuler un véritable programme (chiffré, documenté) prévisionnel de réformes, et d’autre part, à la réticence à peine voilée du FMI à négocier avec un gouvernement provisoire de quasi-exception sans la moindre légitimité.

On comprend mieux l’insistance du FMI à exiger un consensus national autour de ce programme !

Mais encore plus étrange est le quiproquo qui semble s’être installé pour un temps entre les parties !

Tout se passe comme s’il ne s’agissait que d’un simple accord entre une acceptation et la mise en œuvre de réformes contre une nouvelle facilité de crédit ! De la dette et de sa restructuration, il n’est encore nullement question ! Pourtant et même avec un nouvel accompagnement financier, la Tunisie aura du mal à se reconstituer de réelles marges de manœuvre sans un reprofilage de sa dette extérieure.

S’il semble possible de franchir le cap des années 2023-2024, avec le soutien du FMI (avec un programme sur 3 ans), les années suivantes apparaissent toutes aussi difficiles en termes de charges de remboursement pratiquement identiques à celles d’aujourd’hui (sauf à connaitre une forte croissance).

Il ne peut donc être question de véritable redressement sans rééchelonnement à minima de cette dette.

Il ne s’agit donc pas d’une question proprement technique mais bien d’un enjeu politique !

Restructurer la dette aurait pour effet immédiat de réduire les sources possibles de financement et leurs conditions d’accès, les bailleurs de fonds devenant plus méfiants.

Pourtant, les autorités publiques actuelles comme celles du passé ne se résignent pas à abandonner l’échappatoire consistant « à faire rouler la dette » (fuite en avant: emprunter pour rembourser) fort commode puisqu’elle évite de rendre des comptes à qui que cela soit ! La raison en est toute simple: Tout le modèle économique repose sur le renouvellement permanent de la disponibilité de la devise étrangère !

De tergiversations en atermoiements, il est désormais trop tard et le pays n’échappera pas aux fourches caudines d’un plan d’ajustement aux dimensions austéritaires plus ou moins prononcées, doublé d’une restructuration de sa dette. C’est donc du degré d’austérité (ce que d’autres nomment rééquilibrage) dont il va être question dans les mois à venir ! Mais aussi des risques d’aggravation des tensions sociales !

Nous ne sommes plus très loin du point de bascule qu’évoque Machiavel dans son œuvre : « Contenter le peuple et ménager les grands, voilà la maxime de ceux qui savent gouverner ».

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement

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