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Par le polytechnicien Hazem Bouzaiane – Corona : faut-il vraiment choisir entre la maladie et la faim ?

Par le polytechnicien Hazem Bouzaiane – Corona : faut-il vraiment choisir entre la maladie et la faim ?

Faudra-t-il à chaque pandémie arrêter le monde pour le sauver… ? C’est ce que je me suis demandé dans mon dernier article en parlant de ce venimeux sujet du Coronavirus.

Faut-il vraiment choisir entre la maladie et la faim ? C’est ce que nous véhiculent aujourd’hui certains décideurs en parlant d’un dilemme épineux, un dilemme vieux de quelques siècles déjà…

Je pense qu’il y avait moyen de suivre une autre approche, anticipative, synchronisée, intelligente et digitale…

Une autre approche qui résonne mieux avec…2020… !

Après la découverte du virus et des premiers cas en Chine et en notant son aspect très contagieux qui était remarquable depuis le début, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), en coordonnant l’implication de plusieurs experts à travers le monde, aurait dû prendre le leadership pour étudier le virus et ses caractéristiques biologiques, pour ensuite évaluer son potentiel de propagation et de gravité et arriver à une classification basée sur les éventuels dégâts futurs (dans ce cas, classer ce virus en tant que pandémie « potentielle »). Avoir une approche conservatrice pour faire une sur classification (en exagérant les conséquences) serait acceptable et aurait beaucoup moins de dégâts qu’une sous-estimation.

Pendant les épidémies et d’une façon générale, ce qui représente le plus de danger pour le monde est la rapidité de propagation beaucoup plus que la gravité médicale. Il y a eu plusieurs maladies auparavant tel que, dernièrement, le SARS qui était beaucoup plus dangereuses médicalement parlant, mais qui a fait beaucoup moins de dégâts, le monde a pu la cerner car le pouvoir contagieux n’était pas aussi puissant que celui du virus actuel.

En le classant en tant que pandémie potentielle, l’OMS aurait dû commencer à travailler immédiatement (depuis le mois de Décembre ou début Janvier au plus tard), en impliquant les experts, les sociétés pharmaceutiques et les laboratoires de recherche dans une approche par anticipation et synchronisée, pour développer un système de dépistage (test) efficace, rapide et économique. Il est inconcevable qu’on puisse faire face à un virus pareil avec un test qui prend plus que 24h, et qui coûte plus que 100 USD/test. Cette défaillance est tout simplement désastreuse et a beaucoup contribué à l’état actuel. D’ailleurs, maintenant, on commence à entendre parler de tests qui prennent quelques minutes, qui coûtent beaucoup moins cher et qui sont raisonnablement efficaces (mieux vaut tard que jamais !). Ensuite, par cette même approche orchestrée par l’OMS et dès le début de la propagation en Chine, il fallait commencer à travailler sur le vaccin et le traitement. Là on sait que cela obéit à un certain processus de développement qui dure plusieurs mois, mais plutôt on commence, plutôt on finit.

En parallèle, l’OMS émettrait un manuel de procédure qui définit la réponse de chaque pays à chaque instant et les mesures à prendre, une feuille de route qui assure un minimum d’harmonie et d’uniformité entre les pays, au lieu que chaque pays émette ses propres mesures indépendamment des autres, sachant que le monde est devenu étroitement connecté, plus ce que l’on pense.

Certains pourront dire mais il y a des différences entre les pays, en termes de moyens, de cultures et d’état de propagation du virus… L’OMS peut tenir compte de tout cela pour mettre les conditions et conjonctures en face des mesures appropriées.

Rôle de l’OMS

Là j’ouvre une parenthèse sur le rôle de l’OMS, qui, à mon avis devrait être revu pour éviter de telles catastrophes dans le futur. Le rôle de cette institution ne devrait pas se contenter de donner des recommandations pour, soit-disant, ne pas toucher à l’indépendance des décisions des pays. Ceci est un faux argument quand on parle de santé, du droit humain le plus important : vivre. La FIFA (fédération mondiale pour le Football) gère et décide du football dans le monde, en s’interférant dans les décisions nationales des pays. Est-ce que le football plus important que la santé ?

Si l’OMS avait un pourvoir de regard et de contrôle sur les sociétés pharmaceutiques par exemple, elle aurait pu, entre autre, exiger que pendant les pandémies mondiales, les traitements et les vaccins se vendent à leurs coûts de production sans marge bénéficiaire. Ceci limiterait la propagation mais aussi l’intérêt de cette fameuse théorie conspirationniste.

On ne doit pas rendre de l’OMS le bouc émissaire, mais je pense que les pays doivent se réunir pour redéfinir le rôle de cette institution si importante.

L’importance du dépistage

Pour revenir à ce manuel de procédure, l’approche adéquate, selon moi, était, depuis le premier jour (et même avant l’apparition du virus dans le pays), de tester au maximum, toutes les personnes avec des symptômes, ou venant de l’étranger (dans les aéroports), ou en contact avec des cas confirmés.

Certains pourront dire mais les tests coûtent chers et certains pays n’ont pas les moyens. Ceci est faux. Même en supposant qu’il n’y a pas eu de développement de tests rapides et économiques comme ça aurait dû être le cas, le coût de ne pas faire les tests est beaucoup plus important (sans généralisation des tests, c’était clair qu’on on allait droit au confinement qui a un coût économique beaucoup plus signifiant).

Dans un pays spécifique, il a été prouvé que le nombre de cas confirmés est proportionnel au nombre de tests effectués dans le temps, et donc le seul moyen de s’assurer que le nombre de cas confirmés est assez proche du nombre de cas réels est d’avoir un taux de dépistage élevé.

Beaucoup de pays aujourd’hui, tels que la France, l’Italie et les Etats Unis, sont entrain de reconnaître qu’ils auraient dû tester plus au début de l’épidémie, et que le manque de dépistage a joué un rôle important dans la propagation rapide du virus. Pire encore, il est facilement prouvable statistiquement que le nombre de tests est en corrélation avec le taux de mortalité, en prenant les pays avec un stade de propagation avancé (le taux de mortalité n’a pas vraiment de signifiance lorsque le nombre de cas est encore faible). Exemple de pays ou le taux de mortalité est assez bas et qui ont pratiqué des taux de dépistages élevés : Chine, Corée du Sud, Taiwan, Japon, Allemagne et Canada. Certes, il y a d’autres facteurs qui impactent ce taux, tels que le stade de propagation, l’efficacité du système médical, l’âge moyen de la population, la discipline et la culture du peuple, etc.

Méthode « tester et isoler »

Si, et seulement si, le test est positif, on procède à l’isolation. Là, on vérifie d’abord les conditions sociales de la personne en question pour valider si un isolement à domicile est possible (taille du domicile, nombre de personnes dans le même domicile, moyens financiers pour pouvoir tenir la période d’isolation, adule accompagnant capable d’aider pour un isolement adéquat, etc.). Si ceci est validé, on demande l’isolation à domicile avec une procédure de suivi digital (que j’expliquerai plus tard). Si ceci n’est pas possible, faire l’isolation dans des endroits assurés par l’état (anciens espaces qui peuvent être réaménagés pour accueillir les malades). Après la période d’isolation, re-tester (le malade ainsi que ses contacts limités telle que sa famille) pour décider du déconfinement.

C’est ce que j’appellerais la méthode « tester et Isoler », basée sur les principes suivants :

Les hôpitaux ne doivent pas être impliqués dans l’isolation, ils doivent se focaliser sur le traitement des patients avec des symptômes sévères et/ou en besoins de respirateurs. Isolation pour les cas confirmés seulement. L’isolation à domicile ne se fait que lorsque les conditions du domicile et du malade le permettent. Suivre digitalement les personnes isolées. Punir sévèrement (prison) ceux qui ne respectent pas. En gros, élargir le dépistage et optimiser les isolements.

Approche a deux stades

On a beaucoup entendu parler d’une approche a quatre stades et du besoin d’aplatir la courbe de propagation mais je pense que ce qu’il faut plutôt pour ce genre de cas est une méthode a deux stades. Si, même après avoir appliqué la méthode (tester et isoler) depuis le premier jour, le nombre de cas continue à augmenter exponentiellement (ce qui est peu probable), on pourra passer au confinement général et a l’isolation totale (en tant que mesure extrême) pour ne pas arriver au seuil de saturation du système sanitaire. Ceci permet, par la même occasion, de raccourcir la durée de l’isolation totale a une durée gérable d’un point de vue économique et social. Une isolation trop longue ou dans des mauvaises conditions peut avoir un effet contraire en s’avérant plus dramatique que ce que l’on pense.

Pourquoi ne pas bénéficier de cette fameuse « Digitalisation » ?

Pour revenir au sujet du suivi digital, ceci pourrait être fait par des bracelets électroniques, par exemple, qu’on ferait porter aux cas confirmés, pour suivre leur mouvement par GPS, d’une façon centralisée au niveau du gouvernement. Des bracelets qu’on ne peut pas enlever et toute personne qui ose les détruire ou sortir en dehors du périmètre convenu serait punie sévèrement (prison).

Par ailleurs, on aurait aussi pu voir ces fameux drones pour servir les personnes isolées, des détecteurs de température grande échelle pour les espaces publics, des capteurs de distance pour alarmer les gens, des systèmes d’informations pour alter les citoyens sur l’emplacement et le passage des personnes contaminées, etc.

Coût du cycle de vie

Par analogie au jargon économique, on parle souvent du coût du cycle de vie comme le critère important pour évaluer une décision, plutôt que le coût initial seulement. Le coût du cycle de vie inclut tous les coûts durant le cycle de vie du sujet d’investissement : coût initial, consommation, entretien, manque à gagner et remplacement). Au fait, parfois le coût initial d’une décision est plus élevé, mais le coût du cycle de vie plus bas justifie que c’est la bonne décision à prendre.

Dans ce cas, la méthode ci-dessus « tester et isoler », qui n’est pas une méthode parfaite, certes, (on peut y trouver plusieurs inconvénients et défauts), aurait pu avoir quand même un coût du cycle de vie beaucoup plus bas que ce qui passe actuellement.

Encore faut-il trouver les bons décideurs qui ne paniquent pas, qui sont pragmatiques et qui tiennent en considération tous les aspects du cycle de vie.

Tirer les leçons

Certaines personnes n’apprécieront pas cette analyse pour dire comment on ose critiquer des experts d’épidémiologie qui ont passé leur vie à travailler sur de tels sujets et pour maîtriser parfaitement les méthodes à appliquer, je répondrai simplement que si ces experts, malgré toutes leurs connaissances, n’ont pas pu arrêter la catastrophe que nous vivons, les critiquer et imaginer une autre approche n’est pas un un grave pêché.

Evidemment, certains points mentionnés ne sont plus applicables à ce stade dans certains pays (d’autres si), mais je pense qu’il était important de les mentionner car une fois cette crise passée (elle fera beaucoup de dégâts certes, mais elle passera), il faudra tirer les leçons pour éviter de tels scénarios dans le futur.

D’ailleurs, d’autres sujets brûlants sont devant nous tels que le changement climatique, l’inégalité, la croissance de la pauvreté, la sécurité aquatique, etc. j’espère que, cette fois-ci, le monde trouvera les bons mécanismes pour travailler ensemble et anticiper avant qu’il ne soit trop tard…

A bon entendeur…

Hazem Bouzaiane, ingénieur polytechnicien et Master in Business Administration (MBA) de l’université de Manchester. Directeur régional dans une multinationale.

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