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Par Mohamed Ammar : Devoir de réponse à un intellectuel tunisien : Fan ‘’d’une révolution printanière’’ – 1ère partie

Par Mohamed Ammar : Devoir de réponse à un intellectuel tunisien : Fan ‘’d’une révolution printanière’’ – 1ère partie

Au hasard de ma promenade dans Facebook, je tombe sur une interview de Hichem Djait paru dans le journal La Presse de décembre 2020. En la lisant, j’ai saisi le degré d’imprégnation de beaucoup d’intellectuels arabes par la propagande impériale. L’interviewé estime que les diverses agitations en  Tunisie découlent de l’environnement démocratique. Il se console en estimant « qu’il faut accepter le réel tel qu’il est ». En termes plus clairs, la Tunisie  est en ’’processus démocratique’’ depuis une décade, donc depuis ‘’le printemps sioniste’’ !!! Ce projet  traduisait la volonté de l’Empire américano-sioniste de détruire les structures étatiques du Moyen-Orient. Il est étonnant que  l’interviewé n’intègre pas la réalité des rapports de force dans les relations interétatiques dans son analyse. Il aurait découvert que l’Empire façonne la géographie selon ses intérêts car dans l’économie-monde capitaliste les rapports de pouvoir sont déterminés par les Etats les plus forts. Les    objectifs géostratégiques de ces derniers- grâce à l’efficience de la propagande- sont intériorisés par les intellectuels et les pions. Alors, les Khouangias ou  leurs par chocs, ces pions  des américains auxquels ils ont inoculé le germe de la servitude sont installés au pouvoir pour exécuter les objectifs de destruction des structures étatiques dans le Moyen-Orient défini par les stratèges américains. Les intellectuels, dans notre économie-monde capitaliste, ont en majorité fait sien la position des dominants. Cette donnée objective se vérifie quand on lit les travaux de recherche des académiciens sur ce ‘’printemps arabe’’. Hichem Djait ne fait pas exception à la règle. Il  donne son opinion sur la situation politique, économique et sociale de la Tunisie.  Son diagnostic, l’amène à proclamer la nécessité de« siffler la fin de la partie » voulant signifier que ces ‘’tunisiens révolutionnaires’’ sont en mesure de redresser la situation chaotique de leur pays. L’interviewé joue le rôle assigné dans le capitalisme, au stade de son implosion. Cette interview atteste une tendance de nombreux intellectuels à servir de courroie de transmission aux dominants. Il est donc impératif d’examiner sérieusement son contenu pour éclairer un public qui- en raison de l’aura de l’historien- peut être sensible à la manipulation. Son analyse passe sous silence les conditions économiques, sociales et surtout géostratégiques. Chemin faisant, il dénonce « l’incapacité des tunisiens à s’élever à un niveau de vision globale des maux du pays » !!! Cette adhésion de  l’intellectuel aux thèses de l’Empire israélo-américain est partagée par les intellectuels français. J’ai donc fait le rapprochement avec le livre de l’historien Shlomo Sand « La fin de l’intellectuel français ? De Zola à Houellebecq », parue aux éditions La Découverte, 2016. Pourquoi, tout simplement, parce que Shlomo Sand écrit son ouvrage à un moment où la France est en crise, où la nation éprouve un sentiment de malaise grandissant face à sa situation actuelle et à ses perspectives d’avenir. Les deux parlent donc de leur société en crise. Shlomo Sand dénonce le déclin de l’intellectuel français alors que Hichem Djait affirme, avec l’autorité de l’académicien, que la Tunisie a fait une ‘’révolution’’, qu’elle est sur ‘’la voie démocratique’’ !!! Un lecteur averti, peut déduire que l’interviewé, répand  sciemment la thèse des promoteurs du « printemps sioniste ».

Intellectuel soucieux de la situation de son pays, il est supposé avoir lu le livre de  Mezri Haddad qui a révélé la face cachée de la révolution tunisienne (Voir, Mezri Haddad, La face cachée de la révolution tunisienne-Islamisme et Occident, une alliance à haut risque, éd. Apopsix, 2012). Je crois qu’il est du devoir de tout citoyen préoccupé par la situation de son pays,  de  disséquer l’interview pour dévoiler sa dimension manipulatrice, donc conforme à la propagande  impériale (Voir, Mohamed Ammar, A son Excellence Monsieur l’Ambassadeur de l’Empire américain, www.tunisienumerique.com).  Je me vois contraint de publier l’analyse en deux parties. Mon souci est que le lecteur saisis la portée symbolique de l’interview.

Un intellectuel au service du « printemps sioniste »

Les citoyens lecteurs (hélas, peu nombreux) doivent croire que la dégradation sociale, économique et politique résulte du système démocratique tunisien ! Honni soit qui mal y pense ! Une intervention étrangère, un projet géostratégique impérial, jamais, la Tunisie est un pays souverain !!!  Une telle proclamation d’un intellectuel renommé est une manière de nier la nature des rapports de force dans l’économie-monde capitaliste ; c’est aussi une tentative fallacieuse de camoufler que le monde est en en train de basculer : d’un monde unipolaire, aux ordres de l’occident comme il l’a été depuis la fin de la guerre froide, à un monde multipolaire comme le préconisent les émergents. Quand un historien travestit la réalité que le « printemps sioniste » s’inscrit dans cette problématique planétaire. Son approche est une adhésion à la propagande américano-israélienne prétendant réaliser la ‘’démocratisation’’ des pays du Grand Moyen-Orient. Elle cautionne  la stratégie des néoconservateurs de remodeler le ‘’GMO’’ en y cassant les Etats  pour les réduire à un patchwork d’identités confessionnelles ou ethniques, de manière à ce que l’Amérique s’en assure le contrôle stratégique et qu’Israël y garde la prééminence.

Le lecteur averti pourrait penser que notre intellectuel ne connaisse pas l’influence des néoconservateurs – dans la détermination des objectifs géostratégiques de l’Empire israélo-américain, allié des  lobbies des multinationales du pétrole, des armes et de la finance, déterminante dans la fixation des objectifs de la diplomatie yankee. Le lecteur a compris que l’interviewé veut faire croire que le ‘’processus démocratique’’ est le résultat du ‘’génie’’ tunisien. Personne ne peut croire que Hichem Djait puisse être convaincu  de ce qu’il déclare. Mais le fait que l’interviewé ait pu soutenir la similitude – entre le mouvement des Gilets jaunes, mouvement marquant le retour, dans l’histoire de France, des luttes sociales et les ‘’printemps arabes’’, une des manifestations du conflit des puissances- m’incline à penser qu’il défend la position des dominants! Car établir une telle analogie procède d’une volonté de maquillage des rapports de force dans le système interétatique. Croit-il pouvoir dissimuler sa soumission aux dominants ? Seuls les réactionnaires français osent affirmer que les Gilets jaunes sont des agitateurs. Pourtant ces derniers dénoncent, en effet, la dégradation de la situation sociale du fait des dégâts de l’euro, le regain démocratique et la menace autoritaire. Il est établi que les manifestations des gilets jaunes, en France, sont une autre manifestation de la crise systémique de l’économie-monde capitaliste. Emmanuel Todd, dans son livre ‘’Les luttes de classes en France au XXIe siècle’’ paru chez Seuil, le démontre clairement. Notre intellectuel fait donc un amalgame de mauvais aloi. Il use d’élucubrations pour éluder l’évocation du « printemps arabe ».

Pourtant Hillary Rodham Clinton, dans le chapitre 15 de son livre ‘’Hard Choices’’ l’a largement analysé. Elle a expliqué la nécessité de revoir la politique américaine dans le Grand Moyen-Orient. Elle a donc présenté le projet des stratèges néoconservateurs de l’empire américain qui vise à détruire les structures étatiques du Grand Moyen-Orient. Yadh Ben Achour, autre courroie de transmission indigène des force dominantes, a prétendu ne pas aimer  le ‘’printemps arabe’’.  C’était sa méthode pour justifier sa soumission au projet de destruction de l’Etat de l’indépendance, décidé par l’Empire.  Il fait même « l’éloge de sa révolution puisque la lumière de la liberté a  illuminé – selon ses dires –  un peuple politiquement assoupi pendant plus d’un demi siècle ». Mais cela ne l’empêche pas de reconnaître que « la fabrication des textes, des symboles et des images de la révolution, prennent tout de suite un élan fulgurant grâce à ces techniques nouvelles de la communication… Fabriquées localement, les informations sont immédiatement transmises et internationalisées par la toile sans frontières… et par deux chaînes télévisées transnationales, Al Jazira et France 24 (en arabe).

Hillary Rodham Clinton a expliqué aussi la nécessité d’user des frères musulmans pour l’exécution du projet en les installant au pouvoir, par des élections !!! Les soixante-huitards ont lancé le slogan «  élection, piège à cons ». Les intellectuels ont dissimulé que  les Etats-Unis aient imposé la victoire de feu Mohamed Morsi en Egypte. Quant aux khouangias, Hichem Djait les intègre subrepticement dans le paysage politique alors que Yadh Ben Achour affirme sans ambages –prophétie de Moncef Marzouki oblige (Voir, Mohamed Ammar, Marzouki, le Don Quichotte moderne, www.businessnews.com.tn, 23/7/2015) – qu’ils ont accepté le caractère civil de l’Etat, l’égalité entre hommes et femmes, les libertés publiques et la démocratie. Les deux approches sont perfides mais militantes. Il ne faut pas perdre de vue que nos amis américains les ont installé au pouvoir par les urnes pour répandre le chaos et détruire les structures étatiques du ‘’Grand Moyen-Orient’’. Or, cette mansuétude vis-à-vis du mouvement des khouangias s’explique par la similitude du discours du capitalisme libéral  mondialisé et celui de l’islam politique. Ce dernier refuse le principe de la démocratie- le droit pour la société de légiférer, l’Etat n’ayant que la charge d’appliquer la loi définie une fois pour toutes (la « charia »). Cette idéologie est donc parfaitement instrumentalisée par la stratégie de domination.

L’intellectuel, fan de « la révolution » !

L’interviewé semble avoir été imprégné par l’éloge fait à ‘’sa révolution’’ par Stéphane Hessel qui glorifia « la capacité des tunisiens de faire tomber une dictature pacifiquement ». Si Abdelwahab Meddeb a soutenu qu’elle était « la première révolution pacifique par Internet » dans une interview au Nouvel Observateur du 20/12/2011, Yadh Ben Achour a fait une ode de « sa révolution inédite sans aucune filiation avec les multiples révoltes du passé qui n’avaient nullement pour objectif la liberté, ni avec les thwrâts, révolutions antérieures de type nassérien, ni encore moins avec la révolution iranienne » (Voir, Mohamed Ammar, De la fidélité du messager- Réflexion sur : « Une révolution en pays d’islam », leaders.com.tn du 20 janvier 2017). Si ce dernier estime que sa « révolution n’a pas été manipulée par les yankees comme l’ont été les révolutions de l’Est », Hichem Djait, à l’instar de la grande majorité des intellectuels français qui ont analysé les événements de 2011, ont propagé la thèse ‘’révolutionnaire’’.

A la différence de Jean Daniel qui « a craqué pour la révolution de la jeunesse », notre interviewé  a été moins pathétique en affirmant : « nous avons fait une révolution et il faut du temps pour qu’il y ait intériorisation des règles démocratiques et constitution d’un équilibre… ». Cette affirmation cherche à convaincre le lecteur que la situation catastrophique de la Tunisie n’est que le résultat de la mauvaise gouvernance des tunisiens. En clair, la situation chaotique en Tunisie est causée par « le défaut d’intériorisation des règles démocratiques par les tunisiens ». En d’autres termes, le chaos en Tunisie est l’œuvre des Tunisiens. Pourtant les néoconservateurs américains ont élaboré la théorie du chaos dans le but de détruire les structures étatiques du Grand Moyen-Orient. Hichem Djait veut croire que l’Etat profond américain n’intervient pas dans la politique intérieure des Etats du Sud (Voir, Mohamed Ammar, Le Chaos. La nouvelle stratégie US ).

 

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