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Par Mohamed Salah Ben Ammar : Le 14 janvier, une porte ouverte sur l’inconnu !

Par Mohamed Salah Ben Ammar : Le 14 janvier, une porte ouverte sur l’inconnu !

 « Le peuple agit toujours en réactionnaire. C’est la colère qui le guide, non la raison. A cause de cela, il va toujours au-delà du but visé. » Hervé Biron (auteur Québécois).

Le 14 janvier 2011 restera sans doute une date clé dans l’histoire de la région. Depuis femmes et hommes se révoltent un peu partout contre l’oppression, les inégalités, l’inertie sociétale,  l’injustice, les lignes bougent, mais pour aller vers quel(s) modèle(s) de société(s) ? Le mouvement enclenché en Tunisie, n’est pas né ex nihilo mais il a ses racines dans des décennies d’obscurantisme, il est donc prévisible qu’il débouche sur cette confusion.

Nos peuples sont tiraillés entre une modernité qu’ils craignent ou qui les craint et un passé sombre mais magnifié par des démagogues très habiles. Les élections de 2019 leur a donné une représentativité parlementaire. Ils en usent et abusent depuis 4 mois.

Après des siècles de décadence, le 20eme siècle a été celui des échecs et des humiliations pour les pays arabes. Il est remarquable de constater que nos dirigeants ont, à chaque étape importante de l’histoire récente, fait le mauvais choix. L’admiration des nationalistes arabes pour un Nasser a fait long feu. Ce militaire charismatique, mais autocrate, a fait des choix qui ont conduit l’Égypte à la ruine ; Son fonds de commerce, le pan-arabisme, s’est révélé illusoire dans un environnement fait de régimes dictatoriaux. Les expériences baathistes ont, quant à elles, conduit toute la région à la catastrophe, toujours en raison des dérives autoritaires des dirigeants en place. Les rares expériences socialistes se sont terminées sur des potences sur les places publiques ou par des guerres civiles. Pour le moment les déceptions se suivent et se ressemblent. Le non Maghreb nous coute un à deux points de croissance par an !

Clairement ce fut encore un autre demi-siècle de perdu pour des générations entières.

La Tunisie faisait figure d’exception dans la région, puis est venu le coup d’état militaire de 87 ! Vingt-trois ans de dictature nous ont légué une situation catastrophique sur le plan social et politique.

Cette oppression a généré des incohérences. En effet depuis quelques temps prolifèrent à la droite de Ennahdha des groupes de zélotes en costume cravate, maniant des smartphones dernier modèle et se déplaçant de grosses berlines allemandes. Que propose-t-ils ? Difficile à saisir « Le phénomène apparaît comme le symptôme pathologique d’une douloureuse transition des sociétés traditionnelles vers la modernité. Ce qu’il ne faut pas confondre avec le retour en grâce des questions spirituelles dans les sociétés modernes » (Pierre-Henri Tavoillot).

Sommes-nous condamnés en 2020 à refaire les mêmes erreurs que les autres en 1920 ? Certes nous ne sommes à Rome ou à Berlin ou à Moscou dans les années 20 mais les similitudes dans le modus operandi sont frappantes. Complotisme, victimisation, glorification du passé, tous corrompus ; en fait surfer sur les souffrances des citoyens, désigner des ennemis de l’extérieur et de l’intérieur voici les ingrédients de leur soi-disant politique. La suite logique serait la purge du parlement de l’opposition, de l’administration, du monde des affaires…des opposants. Ce groupe dénonce à la fois à la religion traditionnelle, zitounienne, paisible et tolérante et le modèle de démocratie occidental. Ils se réclament de la révolution mais sont pour une société figée, leurs références remontent au 7 et 8eme siècle. Leur rhétorique eschatologique est faite de culpabilisation, de manipulations des peurs, de sexe, d’exploitation des frustrations,  et de ressentiments envers les occidentalisés, les binationaux, les minorités et tous ceux qui ne leur ressemblent pas. Leur discours fait de la haine de l’Autre un tremplin vers l’action. L’identité arabo-musulmane serait une ligne rouge ? Il y aurait une unanimité sur cela ? Soit admettons mais le glissement se fait subtilement vers laïc synonyme d’athée, liberté de conscience synonyme d’apostasie, féministe de dépravé, et pour résumer le tout la démocratie véhiculerait un modèle occidental qui a échoué et qui menace notre identité.

En face d’eux il y a les modernistes appelés, socio-démocrates, progressistes, les bâtards selon un député, les mécréants, les vendus à l’occident comme ils les désignent. Ils sont désorganisés, ils ne trouvent pas la parade, ils sont désunis, ils n’arrivent pas à se regrouper. Dès qu’on leur parle d’Islam ou d’identité arabe, ils sont tétanisés, pour se défendre ils vont sur le terrain des autres, ils se justifient, proclament leur foi et leur attachement au modèle de société que les autres ont décrété. Naturellement aux élections ils n’obtiennent que 0.0x % de voix des électeurs. L’un des rares capables de mener un débat d’idée contre eux était Chokri BELAID, au fait il a été assassiné, par qui ? Le saura-t-on un jour ? Nous l’avons constaté à propos du rapport du COLIBE. Nos progressistes sont pour les droits de la femme mais il ne faut pas exagérer, jusqu’à un certain point seulement, pas à propos de l’héritage. Peut-être n’ont-ils pas réalisé à quel point l’asservissement de la femme a été et restera un poison qui freine tout progrès dans nos sociétés ?

Enfin il n’a échappé à personne que nous sommes au 21eme Siècle, que le petit robot Curiosity a exploré la planète Mars pendant 7 ans et y a pris des photos de 1.8 milliard de pixel !

Qu’aussi bien le cosmos que l’infiniment petit semblent ne plus avoir de limites, que la révolution de l’intelligence artificielle est déjà en marche…Tout cela glisse sur nos fanatiques, Al Sharia, Ibn Taymmia ont répondu à toutes leurs questions. Sauf quand il s’agit de se faire soigner ou d’utiliser des machines ou des logiciels, ou de voyager, là ils sont moins critiques envers les mécréants.

Encore un fois il ne s’agit nullement de magnifier un mode de vie par rapport à autre, ça serait tomber dans le piège des obscurantistes, mais de défendre les libertés individuelles. Toutes les sociétés ont leur travers, les injustices et les écarts entre les couches sociales sont encore plus intolérables dans un environnement d’abondance.

Il ne s’agit de mimer ou copier un modèle mais notre pays, notre région ne peuvent pas rester une espèce d’ilot isolé du reste du monde. Si nous ne voulons pas continuer à faire souffrir nos jeunes et moins jeunes nous devons combattre les obscurantistes, ceux qui veulent nous imposer un modèle de société rétrograde. Il nous faut regarder la réalité de nos sociétés et rentrer de plein pied dans le 21eme siècle, arrêter d’être des consommateurs passifs mais des acteurs. Etouffer la créativité de la jeunesse ou vouloir la cadrer, interdire, punir créent de la frustration et donnent des générations de refoulés.  Accepter les mutations sociétales qui vont avec n’est pas une trahison de la langue, arabe ou de la religion ou des cultures locales mais une ouverture et un enrichissement. C’est tellement évident !

Pr. Mohamed Salah Ben Ammar, Ex-Ministre de la santé publique (2014 – 2015).

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