Société

Par Abdelaziz Gatri : Thomas Sankhara, ou l’Afrique assassinée

Par Abdelaziz Gatri : Thomas Sankhara, ou l’Afrique assassinée

Prochainement, s’ouvre à Ouagadougou le procès de l’assassinat du président Sankhara, 39 ans après le triste évènement.

Peu de jeunes tunisiens connaissent Thomas Sankara alors qu’ils gagneraient à mieux le connaitre et à s’en inspirer. De son père, ancien combattant mobilisé par la France pour la deuxième guerre mondiale où il fut fait prisonnier, il tient la rigueur militaire. De sa mère, il tient les valeurs de la religion chrétienne. Pourtant, enfant, et tout en continuant à servir la messe, il refuse d’entrer au séminaire, montrant ainsi des signes de rébellion précoce.

Issu d’une famille relativement aisée, il fit pourtant toutes ses études universitaires et sa formation militaire en Afrique (Burkina Faso, Cameroun, Madagascar, Maroc), effectuant le même parcours que son compagnon d’armes, Blaise Compaoré, avec lequel il fonde le Regroupement des officiers communistes. Jeune officier, il lit beaucoup, participe à la formation militaire, mais aussi politique des soldats, et fait preuve d’héroïsme dans la guerre contre le Mali, à 24 ans seulement.

En 1981, il est nommé à 32 ans secrétaire d’État à l’Information, mais il ne tarde pas à démissionner quelques mois plus tard suite à la suppression par le gouvernement du droit de grève. Dégradé et chassé de la capitale, on fait pourtant appel à lui deux ans plus tard pour le poste de premier ministre, poste qu’il n’occupera que 4 mois. La main invisible de la France y est, déjà, pour quelque chose. N’a-t-il pas scandé haut et fort « Lorsque le peuple se met debout, l’impérialisme tremble… L’impérialisme tremble. Il tremble parce qu’ici à Ouagadougou, nous allons l’enterrer ».

Mis en résidence surveillée, il est remis à la tête de l’Etat suite à une insurrection de l’armée.

C’est le début d’un règne court (4 ans), mais plein de succès contre la famine, la pauvreté, les épidémies, les incendies de forêt, le gaspillage dans l’administration, l’excision, la polygamie…, mais aussi de bavures et d’abus, notamment avec les procès expéditifs d’opposants et leur exécution immédiate. En l’absence de mécanismes et d’institutions de contre-pouvoir, rien n’est en mesure de contrôler la puissance dévastatrice du pouvoir et les tentations d’en abuser.

Il change l’ancien nom colonial du pays, Haute Volta, qui devient Burkina Faso « Pays des Hommes intègres », et met en place un pouvoir basé sur des Comités de défense de la révolution (tiens, tiens!, ça ne vous rappelle pas les LPR de Dghij et les Majalis de Saïed ?), ce qui favorise les excès et les exactions. Agissant en milice au service du pouvoir central, ces comités font régner la terreur, diabolisent les syndicats, font taire l’opposition. J’ai comme une impression de déjà-vu.

Les déclarations tonitruantes de Sankara à l’envers des organisations financières internationales, des puissances occidentales, et notamment la France, ancienne puissance coloniale, lui attirent les foudres de leurs dirigeants.

Et voici les dernières paroles de Thomas Sankhara au sommet de l’OUA d’Addis Abeba en 1987, quelques semaines avant son assassinat.

Au sujet de la dette, anticipant la réaction des pays occidentaux, il insiste sur la nécessité d’un refus collectif des pays africains de son paiement : « Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence ».

Et il ne fut pas là, à la prochaine conférence.

Car auparavant, Mitterrand en visite au Burkina Faso en 1985, avait lancé à Thomas Sankhara, lors du fameux échange de Ouagadougou:

« C’est un homme un peu dérangeant, le président Sankara. C’est vrai! Il vous titille, il pose des questions… Avec lui, il n’est pas facile de dormir en paix, il ne vous laisse pas la conscience tranquille ! », dans un sourire à son homologue. C’était un arrêt de mort.

Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara était assassiné par un commando et son compagnon Compaoré s’est emapré de la présidence. Et Mitterrand a dormi en paix, ce soir-là, la conscience tranquille.

Il y a 4 ans, Macron, en visite en Afrique, en pleine réunion avec des étudiants burkinabés, ne s’était pas contenté d’émettre un avis sur son homologue burkinabé, mais l’humilia sans ménagement. Suite à une panne de la climatisation, il l’accusa de négligence. Et quand il a voulu sortir pour un besoin, il lui lança : “Du coup il s’en va. Reste là“.

En humiliant un président africain, en le tutoyant et en lui lançant l’injonction de rester dans la salle, Macron a humilié toute l’Afrique.

Le 25 octobre courant s’ouvre le procès des bourreaux de Thomas Sankara. Mitterrand ne sera pas là pour répondre de son verdict fatal, mais j’espère voir les juges conduire ce procès à son terme, avec toute l’impartialité requise, loin des tensions et des passions, pour dévoiler tout un pan obscur de l’histoire de notre continent en rapport avec le système corrompu mis en place par l’ancienne puissance coloniale qui continue à sévir en toute arrogance et impunité.

Quand la France aura déclassifié TOUS les documents hautement confidentiels sur les coups d’État et les assassinats des présidents africains, dont le dernier en date est Kadhafi, on pourra alors parler preuve à l’appui.

Les assassins, les voleurs et les menteurs ne s’embarrassent pas de l’indécence, elle leur sied comme un gant.

Abdelaziz GATRI,

activiste politique, Alliance patriotique pour l’ordre et la souveraineté (A.P.O.S).

 

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