L’irruption de l’extrême droite au coeur du pouvoir en France était jusqu’ici une simple hypothèse, après trois finales ratées au second tour de la présidentielle (Jean-Marie Le Pen face à Jacques Chirac en 2002, Marine Le Pen contre Emmanuel Macron en 2017 et 2022). Cette hypothèse est devenue une très forte probabilité. Cela a commencé aux dernières législatives, avec les 89 sièges de députés décrochés par le Rassemblement national (RN) ; ça monte crescendo depuis que l’extrême droite a laminé les camps adverses aux élections européennes et surtout depuis que le président Emmanuel Macron a eu l’idée – bonne, mauvaise ? – de dissoudre le Parlement pour convoquer des législatives anticipées. Le RN est bien parti pour les gagner, selon les sondages. Les premiers qui seront frappés sont les musulmans, surtout d’origine algérienne. Le recteur de la Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, l’a bien compris.
Il est sans aucun doute le responsable religieux le plus actif de toute l’histoire de l’institution, et d’ailleurs il n’a d’autre choix que de bouger face aux questions sociétales et urgences sociales qui l’assaillent. Mais ses problèmes seront sans commune mesure avec les tourments qui l’attendent, lui et sa communauté, si l’extrême droite rafle la mise ce 30 juin et confirme le 7 juillet prochain. Des racistes et des xénophobes à la tête de la 7e puissance économique mondiale et 2e puissance de la zone euro ce n’est pas rien. Aux problèmes de Chems-Eddine Hafiz s’ajoutent ces musulmans qui ont voté Jordan Bardella le 9 juin.
Le recteur de la Grande Mosquée de Paris a évoqué dans une tribune diffusée lundi dernier ces musulmans de France qui ont rallié l’extrême droite lors des élections européennes. A ceux qui agitent l'”épouvantail” du “soi-disant vote musulman (…) pour semer la peur” il leur dit que les musulmans sont des Français comme les autres, la preuve eux aussi votent extrême droite, jouent contre eux-mêmes, contre leur propre camp…
Hafiz a confié que d’après ses “observations et ses contacts” les musulmans de France ont été nombreux à choisir le bulletin du RN dimanche dernier, dans une proportion qui “n’est guère éloignée de la moyenne nationale (…). Ce constat me laisse perplexe : dois-je m’en réjouir ou m’en alarmer ?“, questionne-t-il. Selon lui ces choix surréalistes confirment au moins une chose : “les Français musulmans sont avant tout des citoyens français, sensibles aux mêmes enjeux sociaux, économiques et politiques que leurs compatriotes“.
“Cependant, cette réalité souligne également notre incapacité collective à démontrer aux électeurs français musulmans les dangers insidieux dissimulés derrière les discours mielleux des représentants locaux du Front National”, commente le recteur de la Mosquée de Paris. L’homme met en relief le grand danger qui se profile, avec des “élus, habiles et rusés, (qui) se montrent très à l’écoute des préoccupations des représentants du culte musulman dans leurs territoires, masquant ainsi leur véritable agenda sous des promesses séduisantes et des attentions superficielles”.
Plus généralement il lance un appel en direction du camp républicain pour “contrer la montée en puissance de ceux qui prônent la division et la haine“. Il est d’avis que le président Emmanuel Macron en renversant la table s’embarque dans une “voie périlleuse” et fait le lit de “l’incertitude” et de “perspectives plus sombres“. Le billet mis en ligne sur le site de Mosquée de Paris pointe une éventuelle cohabitation avec le RN comme un “mariage forcé” qui draine un “péril significatif” et pourrait “paver la voie de l’Élysée aux héritiers du maréchal Pétain“.
Chems-Eddine Hafiz s’adresse en premier à tous les partis républicains, qu’ils soient “héritiers du grand Charles de Gaulle”, “successeurs du fin stratège François Mitterrand” ou du “combatif Georges Marchais (…). Il vous reste vingt jours pour prouver que vous êtes dignes de la grandeur de la France (…). Il est temps de vous ressaisir et de sauver la France (…). Nous ne pouvons permettre à l’histoire de se répéter“, le “devoir” des partis républicains français est de “s’opposer fermement à l’extrême-droite“, clame-t-il.
Le recteur de la Mosquée de Paris était monté au front dès le 24 mai dernier pour demander à la communauté musulmane de se mobiliser et de voter massivement aux européennes. Manifestement la mayonnaise musulmane n’a pas pris, en tout cas si elle a pris c’est en faveur de Bardella, de l’aveu de M. Hafiz. Alors il insiste auprès des mosquées affiliées à la Fédération de la Grande Mosquée de Paris, “et au-delà“, pour prêcher la bonne parole et inciter les fidèles “qui se sont réfugiés dans l’abstention” à aller voter ce 30 juin. “La neutralité en ces temps critiques n’est pas une option” et “l’abstention n’est pas une neutralité, mais une abdication“, a-t-il asséné.
Est-ce que cette fois le recteur de la Mosquée de Paris sera plus entendu que lors des européennes ? Nous verrons bien. Ce qui est certain c’est que le chef de l’Etat a mis un sacré coup de pied dans la fourmilière et les musulmans de France seront les premiers à trinquer si Bardella s’installe à Matignon le soir du 7 juillet 2024.
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