Il y avait déjà des étincelles dans l’air entre l’exécutif tunisien et l’Union européenne (UE) autour de l’enveloppe dévolue au combat contre la migration illégale, une affaire que Tunis a fini par assimiler à de l’aumône tant le dossier a traîné, avec les contre-parties qu’elle draine. Le président de la République, Kais Saied, a in fine refusé publiquement la “charité européenne” au nom de la dignité nationale. L’affaire est tellement sensible que même l’aide européenne de 60 millions d’euros, qui sur le papier n’a rien à voir avec le mémorandum d’entente sur la migration, a été prise dans la tempête. D’ailleurs l’affaire a valu au ministre de l’Economie Samir Saïed un mauvais quart d’heure dans le bureau du chef de l’Etat. Si quelqu’un est habilité à porter la voix de Tunis et à clarifier la posture du président c’est bien le chef de la diplomatie, Nabil Ammar. Il l’a fait dans le journal belge Le Soir ce lundi 9 octobre.
«Les Européens ne sont pas clairs, à divulguer des montants un coup par ci, un coup par là. Les gens ne se retrouvent plus dans ces enveloppes, qui sont dérisoires. Même si ce n’est pas un problème de montant. Mais les Européens n’arrivaient pas à comprendre un message que l’on a répété à plusieurs reprises : “Arrêtez d’avoir cette vision de ce partenariat, comme si nous étions à la merci de cette assistance. A chaque fois, vous répétez des messages qui ne sont pas dans l’esprit de ce mémorandum d’accord, un partenariat d’égal à égal, de respect mutuel.” C’est insultant et dégradant», a déclaré le ministre des Affaires étrangères.
«Il ne faut pas donner cette idée fausse, laisser penser que ce partenariat se réduit à “on vous donne quatre sous et vous faites la police en Méditerranée et vous retenez les migrants illégaux”, ce sont les Européens qui tenaient» à cet accord, a asséné Ammar. «On ne veut pas être indélicat, mais ils couraient après cet accord qu’on était content de passer puisque l’on considérait que ce qui était écrit convenait aux deux parties», a-t-il ajouté.
«Ils nous l’ont dit ! “On va changer, on vous a compris.” Mais les anciens réflexes, les comptes d’épicier ont immédiatement repris. Ce langage-là n’est plus acceptable», martèle-t-il. «Nous sommes comme le roseau, on plie mais on ne casse pas et ce serait bien que les partenaires se le mettent en tête», lance-t-il à qui veut l’entendre…
Pourtant il affirme que le mémorandum d’entente signé en grande pompe à Tunis n’est pas jeté aux oubliettes, «pas du tout», soutient-il. «Cette crise est entièrement de leur part parce qu’ils n’ont pas voulu changer leur logiciel après le 16 juillet (date de signature du mémorandum, NDLR). Nous nous étions entendus sur un esprit nouveau», un partenariat d’égal à égal, rappelle-t-il. «Nous n’avons dévié du mémorandum d’accord, ni du dialogue stratégique. Ce sont les Européens qui ne s’entendent pas entre eux», clame-t-il.
«Je vais être gentil et je ne donnerai pas les noms. Nous savons qui est pour et qui est contre», ajoute Ammar…
Quant aux écarts sur les droits humains, ceux des migrants comme ceux des opposants, le chef de la diplomatie tunisienne déclare qu’il «n’y a pas eu un mot de critique (contre le régime tunisien, NDLR) dans ces longues réunions (avec l’UE, NDLR). C’est important de le noter (…). Pourquoi revenir aux anciens réflexes, aux comportements dégradants ? Il ne faut pas faire passer la Tunisie comme un pays qui vit de l’assistance. Cette assistance ne vaut rien par rapport aux dégâts causés par certains partenaires dans notre région. C’est d’ailleurs plutôt une réparation», dit-il.
Pas plus tard que le 22 septembre dernier la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a défendu la nécessité pour l’UE de tenir dans les plus brefs délais ses engagements financiers auprès de la Tunisie, sans les saillies habituelles sur la démocratie et les droits de l’Homme. La conviction ferme de Mme von der Leyen – la cheffe du gouvernement italien est passée par là – c’est qu’il faut signer des chèques sans faire de chichis. Mais ce n’est pas l’avis de certains Etats-membres de l’UE, dont la Belgique. Bref, la machine s’est grippée.
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