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Par Hadi Sraieb – Il est grand temps de changer de paradigme économique !

Par Hadi Sraieb – Il est grand temps de changer de paradigme économique !

Un paradigme et un modèle sont des concepts distincts, mais ils sont souvent utilisés dans des contextes similaires en science, comme dans d’autres domaines.

Un paradigme se réfère à un ensemble de croyances, de valeurs, de pratiques et de perspectives partagées au sein d’une communauté ou d’un domaine particulier, à un moment donné de l’évolution de l’humanité. Il est de reflet d’une époque et se transforme au gré de changements engendrés par cette évolution. Il représente, un cadre général qui guide la façon dont les individus perçoivent, comprennent et abordent un sujet ou un domaine spécifique. Les paradigmes influencent la manière dont la réflexion et l’action sont menées, les façons de définir les problèmes et les possibles solutions à y apporter.

Un modèle, en revanche, est une représentation simplifiée et spécifique d’un phénomène. Il prend la forme d’un agencement particulier et limité de présupposés et de méthodes reconnues qui retient certaines approches et en excluant d’autres.

Un modèle met en évidence l’articulation de manifestations d’un phénomène liées par des relations d’interdépendance visant à comprendre, expliquer et prédire.

Le paradigme économique fait référence à l’ensemble des croyances fondamentales, des idées et des théories qui guident la compréhension et l’analyse de l’économie dans une période donnée.

Il englobe les perspectives dominantes sur la manière dont l’économie fonctionne, les relations entre les différents acteurs, et les politiques économiques mises en oeuvre.

Le paradigme économique évolue au fil du temps en réponse aux changements importants au plan social, technologique ou politiques et aujourd’hui climatiques. Le modèle économique est de son côté, est une représentation simplifiée de la réalité économique.

C’est une construction conceptuelle et statistique qui tente de décrire les relations entre différentes variables économiques adossée à une vision théorique. Les modèles économiques sont utilisés pour analyser et comprendre les dynamiques, évaluer des politiques, formuler des prédictions ou des recommandations. Ils sont des outils pratiques pour la simulation et la prévision.

On comprend dès lors que le paradigme ne se réduit pas à celui de modèle même si par de nombreux traits il s’en rapproche. Synonymes oui…mais jusqu’à un certain point !

Le paradigme s’apparente donc plus à un ensemble de représentations globales du monde, qui concerne toute la configuration du savoir à une époque donnée, quand le modèle se cantonne à un choix entre diverses options théoriques et méthodologiques qui précisent comment les problèmes doivent être posés et doivent être résolus.

Le paradigme est dès lors constitué de l’ensemble normatif de croyances, de valeurs et de doctrines reconnues et communes à une époque quand le modèle n’en est qu’un sous-produit destiné à formaliser l’approche d’un domaine spécifique.

Tant est si bien que notre idée est ici, mais compte tenu de l’espace imparti, de plaider pour un changement dans le mode de perception et d’évaluation des faits socio-économiques essentiels à notre pays. En d’autres termes plaider pour un renouveau du « modèle de croissance et de développement ».

On aura aisément remarqué que le dit « modèle économique tunisien » revêt une forme chiffrée (en apparence neutre), circonscrite à certains agrégats macroéconomiques (production, consommation, chômage, déficit, inflation,…etc.) qu’il convient d’articuler par la mobilisation de relations de causalité, sous tendues elles-mêmes, par une vision théorique particulière, en l’occurrence la doxa (opinions reçues sans discussion, comme évidentes) libérale.

Le paradigme vaudrait de l’on intègre d’autres dimensions.

 De fait la formule: « l’investissement crée la croissance qui crée à son tour l’emploi », fiction abstraite s’il en est, ou bien celle encore affirmant « la promotion de l’initiative privé est le moteur principal du développement », toute aussi équivoque et contestable, et quelques autres du même acabit, sont étonnement largement partagées par les dits spécialistes et élites dirigeantes, et par une toute aussi large fraction de l’opinion publique. Les diagnostics, interprétations, préconisations sont tous emprunts de ces apriori prétendument objectifs, mais habillement dissimulés derrière une technicité statistique (entendez socialement neutre). Une vision qui du haut de la superbe de son discours prétendument logique et rationnel persiste à ignorer et à exclure des pans entiers de cette réalité. A savoir : La présence d’une large économie informelle, d’un marché parallèle, d’inégalités régionales et sociales criantes, de dommages causés à la nature (pollutions multiples, atteintes aux écosystèmes et à la biodiversité), d’épuisement des sols, de tarissement des ressources en eau, de dérèglement climatique. Tout cela n’existe pas ! Pour preuve la procédure et contenus des lois de finances n’ont significativement pas varié depuis des décennies. Rien véritablement, sauf à la marge, qui indiquerait un changement de cap !

Les tenants du modèle économique, -à vrai dire inchangé depuis les années 80-, outre leur amnésie constante sur toutes ces dimensions importantes, et indissociables d’une réalité économique bien plus large, n’en continuent pas moins, à discourir sur le chiffre après la virgule, du taux de  croissance économique (quand la moitié de cette économie est invisibilisée), sur le taux de chômage (quand une personne en âge de travailler vit d’expédients), ou encore à revendiquer la libéralisation du change (alors que les finances du pays sont engluées dans un endettement quasi insoutenable et que le manque de devises fait cruellement défaut).

Un entêtement aveugle et stérile sur un modèle désormais obsolète !

 Il y a là plus qu’une hémiplégie méthodologique, mais bel et bien une crise de cette pensée économique, incapable de rendre compte de la totalité de cette réalité économique complexe. Certains, encore fort minoritaires, s’en rendent compte et s’aventurent à proposer « une croissance plus inclusive et un développement plus durable » ! Tiens donc ! Celle-ci était donc exclusive, mais alors au bénéfice de qui ? Et un développement qui était donc lui aussi insoutenable après avoir loué pendant des décennies le « miracle économique tunisien » et à vouloir de nouveau avec acharnement, le voir se prolonger au prix de réformes dites douloureuses ! On pourrait ainsi égrainer longtemps toutes ces omissions, errements et autres contrevérités de ce modèle économique tunisien. Un fait est certain, il est à bout de souffle !

Aussi les questions économiques véritablement essentielles qui désormais vaillent d’être reposées sont : Que produire, comment et pour qui ? Questions simplistes ! Pas si sûr si l’on veut bien interroger les attendus, les présupposés idéologique prétendument neutres de ce modèle (une économie de sous-traitance), mais qui en l’occurrence continue à éluder la montée en puissance de la précarité sous ces nouvelles formes (sociale, sanitaire, éducative, culturelle), mais aussi la fuite ininterrompue et croissante de cerveaux et de talents multiples, ou bien encore de la bifurcation désormais irréversible du climat et sa cohorte d’emballements: la multiplication et l’intensification des événements climatiques extrêmes comme les canicules et sécheresses, les feux de forêt ou les inondations….et les tempêtes dévastatrices !

Nos distingués économistes n’en ont cure. Ils continuent à croire et à faire croire que ce modèle amendé de réformes appropriées pourrait retrouver une seconde jeunesse. Rien n’est plus faux !

Il y a bien entendu aucune réponse simple disponible sur étagère, mais il est grand temps de réintégrer dans une nouvelle approche plus totalisante (et par là paradigmatique) ce qui est resté en marge de la réflexion et d’esquisser les contours d’une alternative économiquement plus viable, socialement plus équitable, et écologiquement plus soutenable.

 

Hadi Sraïeb, Docteur d’Etat en économie du développement

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