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Par Hadi Sraïeb : «Qu’attendre d’un gouvernement hétéroclite de gestionnaires et techniciens ?»

Par Hadi Sraïeb : «Qu’attendre d’un gouvernement hétéroclite de gestionnaires et techniciens ?»

Le nouveau chef du gouvernement, issu du sérail des grands commis de l’Etat, cherche à regrouper autour de lui des « compétentes » nationales a-partisanes (à ne pas confondre avec apolitiques) susceptibles de mettre en œuvre une politique de relance et de réformes structurelles graduelles.

Pour reprendre le langage politique de circonstance, ce gouvernement aurait pour mission « le redressement du pays » en s’attaquer à 5 priorités majeures: Mettre fin à la gabegie et à l’hémorragie des finances publiques, restaurer le secteur public dans ses prérogatives, rétablir un climat sain des affaires, lutter contre l’érosion du pouvoir d’achat, renforcer le soutien aux populations défavorisées.

Précisons d’emblée ! Nous ne faisons que retranscrire ici grossièrement et sans souci d’exhaustivité « ce qui se dit et ce qui s’écrit » de la teneur des entretiens que conduit le chef du gouvernement avec les différentes parties prenantes (formations politiques, corps intermédiaires, experts de la société civile).

Le pays subit une crise économique et sociale sans précédent, inconnue dans son histoire contemporaine, d’une violence extrême et dévastatrice. Une dérive récessive, aggravée par la  propagation des effets induits de la pandémie « extraordinairement » puissante (perte de 160.000 emplois en un trimestre) qui nécessite donc des solutions toutes aussi « extraordinaires ».

En dépit du scepticisme ambiant, il convient de ne pas trop vite préjuger de ce que pourrait faire cette nouvelle version d’un « gouvernement de technocrates », formule qui parfois réussit à enrayer la spirale régressive. Reste, malgré tout, que le doute est permis compte-tenu des conditions objectives dans lesquelles va devoir agir ce nouvel attelage.

D’emblée le Premier Ministre cherche à se constituer un minimum d’état de grâce, -pour reprendre la formule consacrée-, en s’entourant de techniciens et de gestionnaires sans étiquette, à la tête de ministères dont les dénominations sont également changées.

Une opération cosmétique qui ne trompera que les plus crédules, mais qui devrait avoir l’avantage de refréner et d’atténuer provisoirement les chamailleries des divers bancs de l’Assemblée. Un temps que le chef du gouvernement s’évertuera à utiliser pour exposer sa méthode et tenter de retrouver la confiance minimale nécessaire à l’exercice de son mandat.

Tout devrait donc se jouer entre les 3 à 6 mois qui viennent, non pas tant en termes de résultats que d’inversion de « l’humeur sociale » (A. Gramsci). Un changement qui se traduisait par une sensible décrue des tensions et un regain de bienveillance quant à l’action menée. Tout le pari du chef du gouvernement réside dans cette reconquête de l’opinion et de rien d’autre!

Il va très vite se trouver de très nombreuses « voix autorisées » pour venir spéculer sur les chances de réussite. Si le populisme s’est invité dans la vie politique du pays, que dire de l’économisme qui fait florès !

Trop de prétendus experts font plus de mal que de bien par leurs prédictions hasardeuses mais aux effets alarmistes et démobilisateurs. On a que faire à ce stade de savoir si la croissance sera de 1,3 ou de 1,4% !

L’enjeu est ailleurs ! Il réside dans cette dimension anthropologique sans laquelle rien n’est possible : la confiance. Une confiance qui se déploie sur les différents registres de la morale, de l’éthique et de la politique, de façon interpersonnelle comme institutionnelle. Dit autrement, la confiance est un acte de foi, une croyance, « une attitude mentale d’acceptation ou d’assentiment, un sentiment de persuasion, de conviction intime » (P Ricœur)…en rapport avec son objet de croyance (promesse, serment, accord, etc…).

Du coup la confiance collective du peuple n’accordera « crédit » qu’à ce qu’elle pourra vérifier scrupuleusement. Or, le nouveau chef du gouvernement comme ses ministres partent avec un handicap considérable !

Nul besoin de revenir sur cette suite continue et infernale d’inconstance, simulacres, duplicité, impostures, volte-face, parjures, reniements dont ont fait preuve les gouvernements successifs, institutions et appareils dont ils avaient la charge. Tour à tour ou simultanément toutes les catégories sociales en ont fait l’amère expérience !

Le lien de confiance à l’autorité est pour l’heure brisé ou pour le moins abîmé. La défiance dans sa version passive et dépitée comme dans sa version fébrile et rageuse, s’y est substituée et installée; la politique ayant horreur du vide. Il découle de ce qui précède une évidence sous forme de nécessité. Le gouvernement doit dessiner les contours d’un nouveau pacte social et en formuler quelques idées forces !

Ce ne sont donc pas de vagues promesses programmatiques dont il s’agit, mais de tout autre chose !

Ce gouvernement va-t-il renoncer à « gérer du mieux possible l’existant » ou va-t-il oser faire réellement de la politique, autrement-dit engager le pays sur une autre voie avec audace, courage et détermination?

Plus facile à dire qu’à faire, on peut aisément en convenir, surtout dans un contexte de possible rebond de la pandémie. Mais c’est précisément l’art de la politique, celui de surprendre, celui de proposer une bifurcation vers un nouveau vivre ensemble plus solidaire et plus viable, celui de redonner vigueur, vitalité et dynamisme aux biens communs et services publics dont tous les citoyens de ce pays ont été fiers si longtemps. Se faisant, le gouvernement pourrait redonner la primauté à l’idée de planification, non pas tant celle de la feuille Excel de ces dernières années, mais à celle d’une réflexion collective sur le devenir du pays !

Les questions lancinantes ne manquent pas : Quid des énergies nouvelles ? Quid de l’eau ?

Les gestionnaires et techniciens nommés ministres seront-ils capables de se départir de leur vision étriquée de l’économique réduit au bon fonctionnement du marché, d’imaginer une politique sectorielle autrement que par des critères de « cost killing », de « tax incentives »  et autres niaiseries sorties tout droit de la bien bien-bien-pensance conformiste ! Si comme nous le pensons, le temps est la propriété privée du marché, il est urgent de revenir au plan qui peut permettre de se rendre collectivement un peu plus maître de ce temps. Ces hauts fonctionnaires de culture comme d’expérience seront-ils en mesure de faire le pas, les semaines et les mois qui viennent nous en fourniront la réponse.

Souhaitons tout de même bon vent à cette nouvelle équipe gouvernementale !

Hédi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement.

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