Société

Par Jawhar Chatty : Schadenfreude, chmata et Rached Ghannouchi

Par Jawhar Chatty : Schadenfreude, chmata et Rached Ghannouchi

Il y a un mot en allemand pour dire exactement « chmata », ce mot absolument tunisien. Un mot qui traduit le ressenti après coup, le ressentiment.

Ali Larrayedh est depuis hier en garde à vue à Bouchoucha. Rached Ghannouchi y a passé 12 heures en attendant d’être entendu, non pas, cette fois, à titre de témoin. A Bouchoucha, Noureddine Bhiri ancien puissant ministre de la Justice se donne en spectacle pour dire la cherté de la vie, une  bouteille d’huile insaturée hissée haut. Les trois noms suscités étaient les maîtres absolus du pays depuis plus de onze ans jusqu’à  un certain 25 juillet 2021 et sans doute même un peu plus longtemps après, et encore aujourd’hui qui sait. Les ramifications sont profondes. On en vient pas à bout si rapidement.

Depuis hier cependant, aux environs de Bouchoucha, l’histoire semble s’accélérer  et  prendre un nouveau tournant. Celui peut-être  que  Kais Saïd entendait donner à l’histoire du pays un certain 25 juillet 2021. Et encore un peu plus clairement en juillet dernier et encore tout récemment avec son projet de loi électorale et le décret-loi 54 du 16 septembre relatif à «  la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication ».

Les islamistes ont fait beaucoup de tort au pays. Ennahdha a fait beaucoup de tort au pays. Ceci est un fait. Un constat qui fait presque l’unanimité chez les Tunisiens. Ce n’est point une rumeur qui pourrait tomber sous le coup de l’article 24 du décret-loi 54.

Les islamistes ont fait du tort au pays. En connivence, il faut le dire, avec beaucoup de dits progressistes qui pour satisfaire la confrérie et Rached Ghannouchi étaient prêts à marcher sur le cadavre de leurs mères. Il y a toutefois lieu de dire que certains ont payé très cher leur refus de faire allégeance à Ghannouchi. J’en connais une jeune et très ambitieuse politique qui, reçue par Ghannouchi à son bureau et à son invitation, avait non sans audace refusé d’être prise en photo avec …un président de l’Arp alors  au sommet  de sa puissance.

Schdenfreudel dans la langue de Goethe, ce mot traduit le mot tunisien « chmata ». Il le traduit mais en dit bien plus, beaucoup plus. L’expression allemande signifie la «  joie malsaine » ou la « joie maligne » que l’on éprouve en observant le malheur d’autrui.

A dire vrai, la « chmata » tunisienne n’a rien à voir avec l’allemande. Elle est passagère et volatile, éphémère et sans lendemain. Dans un sens, c’est tant mieux. Car au-delà de tous les procès, de tous les sentiments de haine et de rejet, et de l’exigence de justice, l’absolue exigence de demander des comptes à tous ceux qui ont fait du tort au pays, au-delà de tout cela, il nous faudra savoir absolument avancer. Être dans la construction, dans le mouvement de l’Histoire.

Jawhar Chatty

PS/

  1. La Schdenfreude . «  Si l’homme a des raisons momentanées d’être heureux lui-même, il n’en accumule pas moins les malheurs du prochain, comme capital dans sa mémoire, pour le faire valoir dès que sur lui aussi le malheur se met à fondre, c’est là également une manière d’avoir une « joie maligne ». Nietzsche, Humain, trop humain, Le voyageur et son ombre. Chap.17
  2. L’article 24 du décret-loi 54 est trop frustrant. J’en mesure toute la portée en rédigeant le présent papier.

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