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Par Hedi Ben Doua : Problématique du développement dans la région

Par Hedi Ben Doua : Problématique du développement dans la région

La relation entre investissement et croissance économique est fortement établie. L’influence de cette relation sur l’emploi renvoi à distinguer la croissance intensive (investissements productif) de la croissance extensive (investissement de capacité).

L’emplacement des investissements, dans un objectif de croissance, obéit à des conditions afférentes à la présence d’une demande forte (associée à un fort pouvoir d’achat), ainsi qu’au coût des facteurs de production. Aussi, le retard économique de certaines régions (dans un pays) est expliqué, entre autres, par l’existence d’une structure économique peu évoluée, la faiblesse structurelle des différents secteurs, une situation socio-économique défavorable, etc. La traduction de ce retard se manifeste par le taux de chômage et le niveau de revenu.

Transformation des systèmes productifs

Dans ce cadre, la petite et moyenne entreprise constitue l’embryon des approches de développement territorial par ce qu’elle autorise de synergie entre dynamique industrielle et dynamique territoriale. La logique territoriale invoque cependant les spécificités propres à chaque région et les relations que les entreprises entretiennent dans l’espace où elles sont localisées, le transformant en un élément actif. Le savoir-faire n’étant pas uniquement technique, mais également organisationnel, commercial, relationnel, puisant sur un ensemble de règles, propres à l’espace, tel que les principes de coopération, de concurrence, de solidarité et de confiance. La transformation des systèmes productifs locaux ne peut cependant s’opérer à travers les seules entreprises, mais également sous l’influence d’un ensemble d’acteurs économiques et sociaux, à travers des projets communs dans un contexte marqué par une certaine ambiance économique, dont l’innovation au sens large est le moteur et le facteur premier de pérennité. L’échec ou la réussite de certains territoires est par ailleurs expliqué par la flexibilité de la relation capital/travail permettant une flexibilité offensive ou défensive, dans le cadre d’une concurrence internationale.

Promotion des individus versus promotion des lieux

D’un point de vue économique, la problématique du développement régional est abordée selon deux approches. La première s’intéresse à la promotion des individus, alors que la seconde se préoccupe des lieux. Le choix de l’une ou de l’autre des deux approches, ou leur combinaison, dépend de la mobilité des individus, ainsi que des choix politiques sur la base des critères d’efficacité et d’équité. Les politiques régionales obéissent de ce fait à des considérations d’ordre patrimonial, financier et de pouvoir.

Attractivité des avantages accordées à une région

A travers les avantages financiers et fiscaux la politique régionale de développement se propose de réduire le coût des facteurs de production par une localisation des investissements dans les régions à croissance économique moindre. Théoriquement de telles politiques auront à générer des résultats positifs dans le cadre d’un équilibre spatial des activités. Ces politiques font apparaître des comportements opportunistes (renseeking-behavior), tel que la délocalisation de certains investissements (investment diversion effect). Afin d’éviter des aubaines au profit des projets, ces aides doivent concerner uniquement les investissements marginaux. L’approche marginale de la taxation effective développée par King et Fullerton permet de mesurer l’impact de ces avantages sur le rendement des investissements et d’orienter par conséquent le choix des investisseurs.

Au-delà d’une attractivité tirée par les avantages fiscaux

L’expérience internationale en matière de développement régional montre que l’évaluation de telles politiques ne peut se résumer par les seuls facteurs économiques. Le développement du capital humain, l’urbanisation accrue, en plus des investissements publics et les subventions à l’échelle locale, déboucheront, grâce à une volonté de développement qui anime l’ensemble des acteurs, sur un développement économique harmonieux. C’est pourquoi la politique de développement régional en Tunisie a connu une évolution mitigée. On distingue, en se référant à une échelle temporelle quatre périodes distinctives. Désormais, la région est érigée en pôle actif de développement. Ce choix s’intègre dans le cadre de la promotion de l’investissement privé et la création de petites et moyennes entreprises, pour une meilleure croissance, ainsi qu’à la création d’emplois. L’examen de la politique de développement régional, en Tunisie renvoie à rappeler les phases de cette politique, débutée par la création de pôles industriels de valorisation, suivie par des orientations visant à réduire les disparités spatiales causée par une tendance plus libérale de l’économie, ensuite le soutien du secteur privé et le renforcement des attributions des collectivités locales et le renforcement du cadre institutionnel entourant l’investissement, et enfin la consécration du rôle de la région. Néanmoins, l’impératif de développement nécessite le renforcement de la promotion de l’esprit entrepreneurial et l’adhésion de la population locale. L’aspect culturel du développement demeure une variable indispensable. Le rôle pouvant être joué par les pouvoirs publics dans ce cadre est capital. La contribution de la population locale dans ce processus de développement économique du pays pourrait être bien plus importante qu’elle ne l’est actuellement.

Gouvernance du développement de la région

Par ailleurs, Les politiques de développement régional ne peuvent se développer en dehors du cadre institutionnel mis en place par les autorités publiques. Cadre, dont le changement ne peut s’opérer unilatéralement ou d’une façon brutale, et pour lequel l’effort engagé par les différentes parties prenantes, peut lui seul réaliser les évolutions escomptées. Le changement du rôle de l’Etat doit induire un changement au niveau des pratiques administratives, héritage de l’époque d’une économie administrée. Par ailleurs, s’il est indéniable, que les avantages accordés à une région ne peuvent être que favorables à la création de projets d’investissement, ces derniers n’ont pas pu impliquer davantage la population locale et drainer une croissance des activités autours des projets crées. Le défi de développement et de la promotion de la région doit se situer au cœur de la politique de développement engagée par l’Etat dans un objectif de rééquilibrage entre les régions littorales et les régions de l’intérieur. Le processus engagé semble modifier les enjeux pour les acteurs du domaine de l’investissement à travers la question d’arbitrer entre la croissance économique (création et développement de l’investissement) et le développement des régions. Dans ce cadre l’approche de la gouvernance, se propose une analyse dépassant les relations marchandes et inter-entreprises, pour mieux comprendre de quels acteurs dépend l’évolution des systèmes de production, distinguant deux types de pouvoirs : asymétrique (noyau) et symétrique (halo).

Déterminants de la localisation des investissements

Il est généralement admis que la demande est le principal déterminant quant au choix du lieu d’implantation des projets d’investissement. Aussi, les régions d’implantation des projets doivent vérifier certaines conditions relatives à la présence d’une demande forte (ou de grande taille) associée à un fort pouvoir d’achat. Pour l’implantation de son projet dans une région dont la population est assez dispersée avec un faible pouvoir d’achat, tout investisseur aura à calculer les coûts liés au lieu d’implantation choisi (transport, temps…) puisqu’il sera amené à orienter sa production vers les régions les plus favorables. Aussi, l’amélioration du niveau de vie des populations semble être une des raisons indispensables au choix d’implantation des investisseurs et par conséquent l’une des mesures nécessaires à entreprendre par l’Etat dans le cadre d’une politique de développement régional. Outre la demande (caractérisée par la taille de la population et le pouvoir d’achat), les coûts des facteurs de production (facteur travail et facteur capital) présentent des éléments décisifs pour le choix du lieu d’implantation des investissements. Aussi, une étude réalisée par l’Institut National des Etudes Quantitatives (IEQ) en 1996 touchant une population de 179 entreprises (capacité d’employabilité supérieure à 200 personnes par entreprise), montre que les coûts des facteurs de production représentent pour la majorité des entreprises la principale entrave à leurs activités d’investissement.

L’existence d’infrastructures modernes est également un important déterminant quant au choix du lieu de localisation des projets. Ceci est dû au rôle fondamental que peut jouer l’infrastructure en termes de diminution des coûts de transaction. Aussi, les économies modernes se caractérisent par des réseaux de transport de communication et d’approvisionnement fiables et denses.

Raisons du retard de certaines régions

La position géographique d’une région peut être un élément qui peut expliquer son retard par rapport à une autre. L’inexistence de ressources naturelles ou leur insuffisance est également un facteur déterminant du degré de croissance économique d’une région. Combinées aux effets des économies d’agglomération, ces deux facteurs permettent d’expliquer aisément le processus qui a conduit à la faiblesse économique et sociale des zones en question. Néanmoins, les raisons du retard de certaines régions ou zones, résulte parfois d’une exploitation insuffisante des ressources, qui se limite à leur extraction. Les industries finales se situant dans les zones les plus évoluées. Le retard de certaines régions est également expliqué par des raisons historiques telles que la concentration historique du pouvoir politique, administratif et économique dans des régions particulières. Le retard économique d’une région peut être dû aussi à l’existence d’une structure économique peu évoluée, à la faiblesse structurelle des différents secteurs ou à la présence d’une situation socio-économique défavorable. La structure économique se traduit par la prédominance du secteur primaire qui absorbe la majorité des emplois. La faiblesse structurelle est traduite par des niveaux de rendement faibles en raison de plusieurs facteurs tel que le morcellement des terres arables pour le secteur de l’agriculture, ou bien la faible qualification des professionnels et la faible mécanisation en raison de l’absence de capital financier. La faiblesse structurelle pour le secteur de l’industrie s’explique par l’inexistence d’industries modernes. Combinée à l’absence des activités de service, les investissements industriels ne permettent aucune synergie économique au niveau de la région, qui reste un simple lieu d’implantation. La situation socio-économique d’une région explique également le retard accusé par certaines régions. Il s’agit notamment de la qualité des infrastructures de transport et de communication, des équipements collectifs, l’insuffisance des services sociaux, de santé, d’institutions culturelles et de loisir ainsi que des écoles professionnelles et des universités. Les conséquences du retard de certaines régions se traduisent généralement par un faible pourcentage de la population occupée par rapport à la population active ou par un taux de chômage élevé en comparaison des régions les plus développées. Ces conséquences se traduisent également par ce qu’on appelle le chômage caché, définie comme étant l’existence d’un grand nombre de personnes actives qui travaillent dans des conditions mauvaises et qui perçoivent des rémunérations faibles. On peut également détecter le phénomène de travailleurs navette voyageant continuellement de leurs lieux de résidence vers le lieu du travail.

Prospérité des lieux Versus prospérité des individus

La problématique du développement régional est abordée selon deux grandes approches d’intervention. La première s’intéresse à la promotion de la prospérité des individus, alors que la seconde se préoccupe de la promotion de la prospérité des lieux. L’approche « promotion de la prospérité des individus » envisage le territoire comme une somme d’individus mobiles dont le gouvernement doit maximiser l’utilité. L’approche « promotion de la prospérité des lieux » considère le territoire comme un ensemble de lieux dont la population est immobile ou peu mobile et dont il faut maximiser la production respective. Aussi, le degré de mobilité de la population, détermine le choix de l’une ou de l’autre des deux options sus-indiquées. Néanmoins, le choix de l’une ou l’autre des deux approches de développement ou leur combinaison revêt le caractère d’une politique qui n’est pas sans coût. Le choix « politique » dépend ainsi de la position du gouvernement quant à l’interventionnisme de l’Etat dans l’économie, ainsi que le coût qui est y associé. Il s’agit d’un coût d’opportunité résultant du choix effectué. L’analyse des deux approches (lieux versus individus) se base sur deux critères principaux : l’efficacité et l’équité. Le dosage entre ces deux critères revêt également un aspect politique et constitue un exercice qui façonne la philosophie et le mode de mise en vigueur d’une politique régionale de développement.

Disparités régionales et équité

La disparité régionale est souvent mesurée par le niveau de revenu et le taux de chômage. L’explication de la disparité entre régions à travers le revenu revêt toutefois un aspect complexe. Ce dernier comporte en effet la composante revenue non monétaire. On estime qu’il est nécessaire de prendre en considération, outre le revenu d’emploi, un ensemble d’autres facteurs tel que la propriété du logement, les dépenses de santé et d’éducation, l’espérance de vie, etc. L’intégration de la variable revenu non monétaire permet ainsi de réduire les écarts entre régions que si l’on se contente uniquement d’une comparaison basée sur le revenu d’emploi. Les mesures des disparités régionales généralement utilisées, en l’occurrence la différence du revenu par tête d’habitant (per capita) et le taux de chômage régional, ne font que fournir des écarts de plus en plus alarmants, donnant ainsi une image exagérée des différences interrégionales. Il convient ainsi de prendre en considération au niveau de la fonction d’utilité des individus leurs revenus non monétaires. Aussi, l’attachement que manifestent certains pour leurs lieux de localisation témoigne de l’existence du « sens of place », dimension qui compense l’infériorité du revenu monétaire et révèle que ces gens consomment un bien public qui les satisfait. Dans des cas pareils la société est en mesure d’accepter leur choix sans pour autant les subventionner, à priori. Il en résulte ainsi que le taux d’emploi ou le taux de chômage ne sont pas des mesures parfaites des disparités régionales en termes de bien-être ; sont-ils d’abord des effets que des causes ? En effet, ils résultent de l’augmentation locale de la productivité (qui engendre un surplus de main-d’œuvre), de la mobilité de la population, de l’importance des rentiers locaux, etc.

Au total, le taux de chômage a de la signification surtout dans le cadre de l’approche « prospérité des lieux ». Il devient une mesure de l’immobilité géographique et occupationnelle des gens, du mauvais fonctionnement des marchés du travail, du manque d’information, etc. À l’inverse, l’approche « prospérité des individus », nous fournit un taux de chômage qui reflète les effets de la mobilité face aux opportunités d’emploi. Paradoxalement, dans ce cas, les régions prospères peuvent afficher des taux de chômage élevés parce qu’elles absorbent l’émigration des régions en difficulté. L’interprétation du taux de chômage en termes de niveau de bien-être est donc ambiguë. On ne sait pas s’il y a du chômage parce que la productivité augmente (une augmentation du bien-être) ou s’il y a du chômage parce que les gens hésitent à accepter des emplois.

Le critère d’équité pour le choix de l’approche de développement (Lieux Vs Individus)

La comparaison entre régions, sous l’optique d’une fonction d’utilité n’intégrant pas la composante revenue non monétaire, nous conduira nécessairement à dégager une disparité importante entre régions, et donc un problème d’iniquité. Toutefois, l’équité entre région ne se limite pas à la seule fonction d’utilité des individus. Elle est détectée par ailleurs à travers les préférences des individus pour un lieu déterminé. Elle consiste ainsi à permettre aux gens de continuer à vivre là où ils désirent en ayant accès à la même qualité des services que sur le reste du territoire.  Il en est ainsi deux sources d’iniquité : les revenus d’emploi et les services publics. Dans les deux cas, l’engagement implicite de la société à maintenir une certaine équité, si engagement y est, ne saurait être absolu et illimitée.  Sous l’angle de revenus monétaire aucune société ne promet une égalité de revenu (obtenue par subvention) à des gens fainéants, continuant d’être localisés dans de « mauvais » endroits. Ce même raisonnement est utilisé pour éviter de subventionner des gens qui se « situent » volontairement dans des professions ou métiers à bas revenus. Par ailleurs, c’est au nom de l’équité, que la société offre des services publics, à des coûts raisonnables pour les citadins des périphéries. Aussi, peut-on apercevoir une discrimination contre les citoyens du centre, qui doivent payer un prix plus élevé pour un même service rendu. Cette discussion mène à des questions éminemment pratiques. Par exemple, doit-on subventionner le transport aérien entre Tunis et Tabarka, qui coûte apparemment aussi cher que le trajet Tunis-Djerba ? La réponse, dans le cadre de l’approche « prospérité des individus », est non, puisque l’efficacité requiert d’économiser l’espace et le temps. En d’autres termes, une localisation d’activités économiques à Tabarka est efficace seulement si elle peut supporter les coûts de transport (des marchandises et des personnes) afférents à cette localisation. Il importe ainsi de réaliser que l’option « prospérité des lieux », qui est souvent justifiée sur la base de considérations d’équité, est potentiellement coûteuse en termes d’efficacité. Sauf dans les cas prospérité des lieux, il existe donc généralement un arbitrage entre l’efficacité économique – incarnée par l’option « prospérité des individus » – et une certaine équité interrégionale – incarnée par l’option « prospérité des lieux » – qui n’est résolu à priori que par le processus politique. Des décisions pareilles ne sauraient ainsi être prises que par une population avertie et bien informée quant au coût d’opportunité résultant d’un certain degré de « prospérité des lieux ».

Hedi Ben Doua.

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