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PLF 2022 : Saïed va remplacer la dépendance du FMI par une autre dépendance, plus risquée

PLF 2022 : Saïed va remplacer la dépendance du FMI par une autre dépendance, plus risquée

De ce qu’on sait du Projet de la Loi de Finances (PLF) 2022, on aura un très beau texte, très structuré, formellement inattaquable. Le ministère des Finances a savamment orchestré des fuites dans la presse pour clamer haut et fort, ici et en direction des partenaires étrangers, que le gouvernement est à la manoeuvre et que l’affaire sera rondement menée. Il est vrai que le département des Finances regorge de compétences qui savent faire en la matière. Reste le nerf de la guerre pour que tout ça tienne : l’argent. Et de ce point de vue on n’est guère avancé. Comme en 2021, la Tunisie va manifestement mettre la charrue avant les boeufs, le tapis avant la mosquée. Puis après, comme en 2021, tout cela se soldera par un joli déficit budgétaire en 2022 et on devra, exactement comme c’est le cas actuellement, compter sur de petits cadeaux du ciel pour atténuer le choc. Pour le reste, on devra courir derrière les partenaires – ou plutôt les nouveaux financiers – pour qu’ils daignent nous donner les moyens de notre politique budgétaire.

La Tunisie n’est pas la France ou le Japon, et Saïed n’est pas Poutine ou Jinping

Le pays est englué dans un endettement croissant et pour lequel il ne semble y avoir aucun remède, à moyen terme en tout cas. 90,2% du PIB, c’est l’affolant chiffre avancé par le dernier rapport du FMI sur la dette publique en Afrique. Que voulez-vous, avec une croissance moyenne d’à peine 0,7% depuis près de 10 ans – de 2011 à 2020 -, on ne peut que s’endetter plus que de raison. Et la note de Caa1 que se coltine la Tunisie lui ferme de fait la porte des marchés internationaux pour un emprunt obligataire. Et même si d’aventure Tunis mettait sous le tapis ce rapport explosif du FMI et y allait quand même, elle ne ramasserait rien, ou très peu, et à des taux d’intérêt prohibitifs. Fini le temps où Tunis surfait sur une très bonne réputation dans les cercles financiers internationaux. Maintenant c’est passage obligé par le FMI, la Banque Mondiale ou par un pays étranger très costaud pour garantir un prêt. Mais qui ??

Certains diront que la France ou le Japon sont beaucoup plus endettés que la Tunisie. Je leur dirai que la France et le Japon ne sont pas la Tunisie, et que eux inspirent confiance aux investisseurs du monde entier et peuvent se permettre d’emprunter à des taux très bas, sur leurs marchés intérieurs s’il vous plait, en dépit de leurs dettes publiques abyssales. Je leur dirai que le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, n’a pas le gaz du président russe, Vladimir Poutine, lequel chauffe l’Europe et qu’il n’a pas la puissance financière du président chinois, Xi Jinping. Et qu’en conséquence Kaïs Saïed ne peut pas faire ce que font ses homologues : envoyer balader le FMI et tout le toutim. A moins qu’il ait un plan B très solide, et il n’en a pas !

Le président frappe, encore et toujours

La place publique bruisse encore de la dernière sortie musclée du chef de l’Etat où il a souligné énergiquement le besoin impérieux de “nettoyer” la société tunisienne. Peut-être qu’il a été mal compris, mal interprété par les observateurs, politiciens, experts, etc.  Soit. Le problème c’est que ça ne devrait pas être le cas. Il devrait s’arranger pour être bien compris de tous, pour éviter toute mauvaise interprétation de nature à troubler l’ordre public, à diviser les citoyens. Sauf que le palais de Carthage n’est pas intervenue depuis pour corriger, nuancer, préciser.  Ce qui pousse à dire que Kaïs Saïed l’a fait exprès, et savoure peut-être même l’agitation que crée chacun de ses discours. Et ça ça pose un vrai problème…

Un problème qui s’ajoute aux autres gros pépins qui ont valu au pays sa mauvaise notation à l’international : absence totale de lisibilité politique et institutionnelle, de visibilité économique. Personne ne peut prédire la trajectoire de la Tunisie. Quid de l’avenir de la démocratie, telle que nous la connaissons depuis 2011 ? L’Assemblée nationale – Parlement – est-elle définitivement morte et enterrée, alors que nulle part ailleurs dans les démocraties qu’on cite on voit une telle chose ? Du reste Kaïs Saïed n’a pas caché, durant sa campagne électorale, sa volonté d’en finir avec le régime parlementaire et de mettre à la place des assemblées populaires régionales. Donc il n’a pas surpris ceux qui ont voté pour lui…

Il était d’usage que la nouvelle équipe gouvernement déclame sa politique générale devant les députés. De députés il n’y a plus, et de discours de politique générale il n’y aura pas, manifestement, Kaïs Saïed ayant décrété une nouvelle façon de faire, dans la droite ligne de la nouvelle doxa depuis le fameux 25 juillet 2021.

Il n’y a pas, non plus, de vraie politique économique, avec  des grands objectifs clairement dessinés, des grandes tendances, etc. Pour le moment ce qu’on a c’est un dédain pour les arguties et subtilités économiques, lesquelles nous rattraperont tôt ou tard. A moins que le chef de l’Etat ait d’autres atouts dans sa manche…

La révolution qui ne dit pas son nom

Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Marouen Abassi, a beau dire que la Tunisie est toujours dans les petits papiers du FMI et qu’elle négocie sec en ce moment avec son principal bailleur, la réalité semble toute autre. Le coeur du nouvel exécutif tunisien – Kaïs Saïed – ne bat plus pour l’institution financière internationale. Le chef de l’Etat, semble-t-il, n’a d’yeux que pour les coffres pleins – le pétrole paye bien en ce moment – de l’Arabie saoudite, de l’Algérie, de la Libye. Pourvu que Saïed ait vu juste !

Quand on voit comment Riyadh traite en ce moment le Liban, juste parce que son ministre de la Communication, avant sa désignation, avait osé critiquer le déluge de bombes que l’Arabie saoudite et ses alliés – affidés devrait-on dire – larguent sur les civils au Yémen, on se dit que la Tunisie s’embarque dans un chemin périlleux. Qu’arriverait-il si Tunis osait s’en prendre à Riyadh, dans un dossier chaud ? L’Arabie saoudite contraindrait-elle ses voisins à couper tout lien avec la Tunisie pour propos jugés offensants, comme elle l’a fait avec Beyrouth ? La Tunisie laissera-t-elle sa chemise dans cette future aide saoudienne ?

Idem pour l’Algérie. Nos amis et frères algériens se sont embarqués dans un combat sans fin avec le voisin marocain, avec des coups de plus en plus violents. Si l’Algérie file des sous à la Tunisie, cette dernière sera-t-elle en mesure de préserver sa traditionnelle diplomatie neutre et équidistante entre les parties en conflit au Maghreb ? Le futur pacte algéro-tunisien sera-t-il bien reçu par le Maroc. Rien n’est moins sûr…

La Lybie interroge presque dans les même termes. C’est un pays loin d’être stable, et le mot est faible, avec un avenir en points d’interrogation. Les armes se sont tues, certes, mais pour combien de temps ? Dieu seul le sait. Si ça venait à dégénérer de nouveau, ce que personne ne souhaite à ce pays cher aux Tunisiens, que feraient les autorités tunisiennes ?

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