Société

Ma vie à Asakura, sud du Japon: de la quête de soi à l’éveil de la conscience identitaire [Photos]

Ma vie à Asakura, sud du Japon: de la quête de soi à l’éveil de la conscience identitaire [Photos]

Je suis installée au Japon depuis plus de trois ans et à Asakura depuis environ deux ans. Asakura est une petite ville située au sud de l’archipel sur l’île de Kyushu et faisant partie de la préfecture de Fukuoka. Elle a gardé son aspect agricole et possède trois grands barrages d’eau installés sur ses rivières qui découlent du fleuve Chikugo, le plus important du sud du Japon. 

Comme beaucoup de tunisiens, ce pays m’a fasciné depuis l’enfance. Comme une bonne partie de ma génération, j’ai grandi en regardant l’animation japonaise. Depuis longtemps, je me suis familiarisée avec les traditions du pays du Soleil-Levant, à titre d’exemple, Hanami, le petit pique-nique sous les cerisiers en fleurs en plein printemps, Hanabi, le Festival d’été avec les feux d’artifices et le port du Yukata (habit traditionnel japonais, équivalent du Kimono qu’on porte durant la saison estivale) ou encore le voyage de détente vers les sources chaudes (Onsen) avec la famille, les collègues, ou les amis.  

Je fais un travail assez atypique qui m’a plongé directement dans les aspects les plus uniques du pays et surtout de ma région. En effet, j’exerce comme coopératrice locale de revitalisation. C’est un emploi qui a été créé par le gouvernement japonais dans plusieurs zones rurales et semi-rurales du pays afin d’encourager les citadins à découvrir puis potentiellement investir dans ces régions qui souffrent de la dépopulation. C’est suite à ce contrat que j’ai déménagé de Saitama au sud du Japon, à Asakura. C’était aussi mon premier contact avec la campagne japonaise! De par mon métier, j’étais amenée à découvrir les traditions et les coutumes japonaises ancestrales. 

J’ai donc commencé à assister à plusieurs ateliers sur l’artisanat japonais (Washi, la confection du papier traditionnel, Shibori, technique de teinture du tissu, céramique de Koishiwara, etc.) et les arts populaires dans la région (Kogetsu, l’art du tambour et Ozutsu, l’art du canon à main depuis l’ère Edo). Pour ma part, j’ai participé à plusieurs projets et j’ai coanimé d’autres dans les centres communautaires, écoles et lycées du coin. Avec mes collègues, nous avons présenté des travaux sur la diversité culturelle, et j’ai été amené à présenter à plusieurs reprises différents aspects de la vie en Tunisie. 

Ce contact étroit avec une culture si éloignée de ma culture d’origine m’a éveillé sur l’essence même de cette dernière. La culture japonaise est extrêmement technique, elle mise sur le sens du détail, le perfectionnement progressif et continu, subtil et sans zèle qui se développe à force de persévérer. Au Japon, on ne croit pas aux exceptions, aux miracles, à l’individualisme ou aux génies sortis de nulle part. Le talent, certes, existe, mais sans travail et sans application, ce talent finit par régresser et perdre son avantage du départ. Pour cela, que ce soit dans le milieu familial, scolaire, social ou professionnel, on valorise la discipline, l’effort et la normalité. 

C’est toujours l’équipe, le groupe, la sphère collective qui prime sur l’individu. Il ne faut en aucun cas briser cette harmonie. Etre brillant peut être mal perçu au même titre qu’être moins bon que la plupart. Au Japon, sortir de l’ordinaire, ça peut déranger. Il y a un certain esprit communiste qui règne. C’est une société régie par des normes strictes et ancestrales, elle continue à perpétuer ses traditions et sa vision en imposant discipline, sens du devoir, allégeance à la communauté, respect de la hiérarchie et travail continu. Cela vous paraît-il trop abstrait? Quelques exemples variés de différents contextes pourront nous éclairer. Dans la cuisine japonaise, on ne mélange pas les aliments et on utilise peu d’épices. On aime garder le goût original et pur de chaque aliment d’où la consommation de poisson cru (sushi, sashimi) et même de la viande de cheval crue (basashi). Dans le milieu scolaire, il y a un règlement intérieur qui régit jusqu’au moindre détail de l’apparence et de la vie des élèves, port de l’uniforme, coupe de cheveux, couleur des accessoires et bien d’autres. Si un élève a une couleur de cheveux naturellement différente, il est prié de la changer, ou au mieux, on la photoshope sur ses photos de classe! 

C’est un peuple homogène qui tient beaucoup à garder son homogénéité. La tenniswoman metisse Naomi Osaka, Ex numéro un au classement WTA bien apprécié à l’etranger pour ses prises de positions et son militarisme a été critiquée pour son engagement en faveur du mouvement Black Lives Matters par la presse japonaise locale, je cite le quotidien Mainichi: on « continue à considérer comme une vertu pour les athlètes de se consacrer uniquement à la compétition et de ne pas s’immiscer dans les questions politiques ». 

Ce pays a décidé de ne rien laisser au hasard. Il subit déjà assez les intempéries et les catastrophes naturelles en tout genre. Pour ce faire, il a misé sur un système de valeurs solides appliquées dès la tendre enfance en toute circonstance. La grande force du Japon, c’est sa capacité à maintenir l’ordre. 

En Tunisie, c’est le règne du chaos et de l’imprécision. Tout est laissé à l’appréciation générale des individus, toujours plus forts que toutes les lois. Si vous avez de bonnes relations avec un employé administratif, ça vous sera plus utile que d’être conforme à la loi. Que ce soit le goût vestimentaire, les normes sociales, le bien et le mal, il n’y a pas de conformité. Chacun son opinion propre qu’elle soit bonne ou mauvaise, fondée ou insensée, et tout le monde continue à critiquer tout le monde. C’est un chaos surnaturel où la sélection naturelle fait son œuvre. Des plus brillants qui réussissent en Tunisie et s’imposent à l’etranger dans des domaines variés à ceux qui ne maîtrisent ni science ni métier, préférant dire que c’est à cause des femmes que les hommes ne trouvent plus de travail.

 

Tout cela me laisse profondément perplexe. Entre un peuple qui ne remet presque jamais le système en cause et qui libère toute sa créativité dans l’industriel et le technique, et un autre qui ne cesse de remettre tout en question et donner son avis sur tout, à tort et à raison. Dans ma tête, ce sont deux exemples extrêmes qui se trouvent aux antipodes. 

J’ai énormément appris dans ce pays. Je suis très reconnaissante surtout envers ma petite ville Asakura. Les relations humaines demeurent plus solides en milieu rural et les gens sont plus chaleureux et accueillants. Je suis infiniment reconnaissante envers la direction et le cadre enseignant de différents établissements scolaires qui nous ont ouvert leurs portes et nous ont permis d’ouvrir mutuellement de nouveaux horizons. Inévitablement, la jeunesse japonaise se libère d’une certaine discipline héritée des siècles auparavant proche de la discipline militaire et des années de guerre. Doucement mais sûrement, comme à la japonaise sans faire de vagues et sans altérer l’harmonie générale, la jeunesse apprend à marginaliser moins la différence et l’intégrer mieux, avec notamment les assouplissements récents des règlements scolaires et en milieu professionnel. De son côté la Tunisie a un tout autre type de défis à relever, celui d’accepter son identité multiple tout en faisant primer la loi au-delà de la subjectivité des individus.

Par Nahed Belkhiria

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