Société

Ma vie: Migrant clandestin de Darfour

Ma vie: Migrant clandestin de Darfour

Tunisie Numérique a mené une série d’interviews auprès des familles tunisiennes pour savoir comment elles gèrent leurs budgets en ces temps de crise que traverse le pays.

Ces tunisiens proviennent de différentes classes sociales, sont d’âges différents et habitent dans des quartiers aussi bien huppés que populaires. Ils ont accepté volontairement de répondre de manière spontanée et anonyme aux questions de Tunisie Numérique. Les récits ont été retranscrits tels quels.

A l’occasion d’épisodes spéciaux, Tunisie Numérique se propose de donner la parole  à celles et ceux qu’on croise dans la rue sans vraiment voire.

Dans cet épisode, notre journaliste a interviewé Mouhamadou, 23 ans, migrant clandestin Soudanais qui a bien voulu se confier à nous.

On a rencontré notre interlocuteur devant le siège l’Organisation Internationale pour les Migrations à Tunis (OIM), au Lac, dans le campement temporaire des migrants subsahariens.

Mouhamadou nous raconte qu’il se trouve en Tunisie depuis 3 ans.  Il nous confie qu’il est parti de Lybie vers l’Europe, en groupe de 30 personnes. Leur embarcation a échoué sur les côtes tunisiennes.

Mouhamadou nous dit tristement : « J’étais un des 05 survivants, tous les autres sont morts noyés. On s’est retrouvé à Zarzis. »

Mouhamadou nous confie : « Je n’ai pas choisi la Tunisie comme destination de mon voyage. La Tunisie nous bloque pour partir vers le nord, vers l’Europe. Nous n’avons pas pu repartir, ni avoir une vie digne ici. »

Mouhamadou rajoute : « J’imagine que les familles de mes compagnons morts en mer recherchent encore leurs enfants, ils ne les trouveront jamais. Moi et 4 autres survivants, nous venons tous de villages très éloignés et pauvres de Darfour… Nous n’avons pas pu établir de contact avec nos familles pour leur dire que nous sommes ici et que nous sommes en vie. »

Parfois, je pense qu’il fallait mieux que je meure en mer, que de subir cette vie de chien.

Mouhamadou nous parle de son dur quotidien : « Les chiens sont mieux traités que nous, les humains. Je n’ai pas un endroit sécurisé pour dormir, je n’ai pas où me laver, ni où faire mes besoins dans la dignité. J’avais un peu d’argent avec moi, c’est fini. Je mendie, les tunisiens me donnent… »

Depuis Avril, je vis avec les autres migrants devant le siège de l’OIM. 

Mouhamadou nous dit : « Nous nous sommes installés ensemble avec nos valises et nos matelas, au Lac, pour attirer l’attention sur nous. Nous voulons qu’on nous écoute et qu’on nous aide à trouver une solution pour qu’on puisse repartir. Au début de notre sit-in, nous étions mieux traités par les sécuritaires. Maintenant ils ont changé d’attitude, nous sommes considérés comme de dangereux terroristes. »

Mouhamadou précise : « Parmi nous il y a des familles avec des enfants. Certains pères de familles désespérés se tentent des braquages pour pouvoir nourrir leurs enfants. Je désapprouve totalement ça, mais sont-ils des terroristes pour autant ?  Certains envoient leurs enfants mendier. Il arrive que les tunisiens frappent ces enfants mendiants. ».

Très affecté, Mouhamadou nous dit : « Parmi nous il y a des Soudanais, des Ethiopiens, des Erythréens, des Tchadiens, des Somaliens, des Nigériens,…Les organisations internationales comme l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés et les autres nous envoient leurs négociateurs. Ils parlent avec nous et nous font des promesses. Et puis, rien.

On ne peut pas s’installer et vivre en Tunisie, ni aller vivre en Europe. Ni la Tunisie, ni l’Europe ne veulent de nous… On veut partir dans un pays qui respecte les droits de l’homme et où on aurait notre dignité : un pays comme les Etats-Unis, le Canada, ou l’EU. »

Durant ces 3 ans en Tunisie, j’ai beaucoup travaillé et j’en ai beaucoup bavé

Mouhamadou parle de sa vie en Tunisie : « Quand j’ai compris que j’étais coincé en Tunisie, j’ai essayé de m’adapter et de vivre ici. Au début, j’ai cru que c’est un pays où il fait bon vivre. J’ai entendu que c’est un pays qui respecte les droits de l’homme. J’ai découvert une autre réalité, c’était ma désillusion. ».

Mouhamadou donne plus de précisions : « J’étais serveur. Je gagnais 10 dinars par jour.  Mon travail était de recevoir des insultes du patron et de servir les clients ».

Mouhamadou rajoute en pleurant : « J’étais traité comme un animal par mon patron. Je n’en peux plus. Je ne peux pas respecter ce pays qui ne me respecte pas. Je suis dégouté. Parfois, quand j’étais mal traité par mon patron, les clients témoins tunisiens me défendaient.  C’était une minorité, la majorité s’en fichait. ».

Mouhamadou se calme un peu, reprend son souffle et dit : « Parfois, j’étais logé dans le café où je travaillais. Parfois, je dormais dehors. Quand j’avais du travail, je mangeais une fois par jour. Je préfère vivre ici, dans la rue, entouré de migrants comme moi, on s’entraide. Je ne veux plus retourner dans les cafés. Je vis au jour le jour. Chaque nui,t je m’endors avec une pensée : comment trouver de quoi manger demain ? »

J’ai fui mon pays où j’ai vu des enfants mourir de faim. J’ai cru qu’ici j’aurais une vie meilleure.

Mouhamadou nous dit : « Je veux partir d’ici vers un pays qui nous accepterait. Je suis désespéré. Toutes les portes se ferment devant moi. Les promesses des occidentaux sont vaines, je n’arrive pas à contacter ma famille qui pense peut-être que je suis mort. Mon cas est moins grave que celui de ces familles avec des enfants et de ceux qui sont coincés ici depuis plus de 3 ans. »

Avant de finir Mouhamadou, visiblement très fatigué, rajoute : « Je ne peux plus revenir dans mon pays, c’était l’enfer. Si mon pays était vivable, je ne l’aurais pas quitté.  Je veux partir ailleurs, où on me respectera : Aredh Allah Wessaa (La terre de dieu est grande). Je veux juste vivre comme les gens normaux. ».

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